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Creipers

Les 5 Creipers

La Fraternité

Aana Creiper

Dans les montagnes du Nord, où régnaient jadis les géants, une rumeur se propagea aussi vite que souffle le vent dans les vallées voisines. La présence d’un être redouté par la population endossait la responsabilité de nombreuses disparitions et de très nombreuses victimes au sein des communautés de loups, d’ours et de chimères. Une dépêche du roi du conté fit partir une milice des meilleurs soldats de son royaume pour trouver l’origine du mal qui troublait l’ordre. Au nombre de vingt monstres entrainés et dotés de leurs capacités respectives de traceurs-chasseurs, ils s’aventurèrent loin dans les montagnes enneigées sur la piste du mal. Mais l’odeur de l’individu laisser dans les bois et les monts n’était pas connue des truffes qui cherchaient.
Après plusieurs jours de voyage, dévorant les quelques animaux sauvages qui vivaient reclus dans cet environnement désavantageux, la troupe atteignit un lieu très ancien et reculer du monde actuel. Les récits victorieux des monstres et des démons du passé, mentionnait cet endroit comme la Vallée des Pêcheurs. Mais au pied de celle-ci, au creux de deux chaines montagneuses, de gigantesques ruines de pierres, brisées en leur centre, surplombaient la voute intérieure. Plus ils s’avancèrent à l’intérieur de ces terres désolées et recouvertes de neige, plus l’atmosphère semblait pesante. Leurs espèces dominaient toutes les autres à travers tous les continents, mais ici, si loin du royaume, ils n’en étaient plus sûr.
Arrivée assez loin, la troupe fit halte en apercevant de très nombreuses traces de sang encore humide, stagnant dans la neige fraîche, au pied d’une vieille ruine, dont les fondations ressemblent à celle d’une grande tour.
Dégainant leurs armes pour certains, ou leurs membres mortels pour d’autres, ils continuèrent d’avancer prudemment jusqu’à tomber nez à nez avec ce qu’ils cherchaient.
Devant eux, surplombant quelques marches gelées, se tenait un siège, un trône même, sur lequel se trouvait un être à l’apparence commune et où s’arrêtaient les traces rouges.

– Avons-nous fait tout ce chemin pour une humaine ? Interrogea déçu l’un des soldats.
Mais le chef de groupe, un grand ours à la gueule de cochon qui se tenait sur ses pattes arrière, restait prudent et s’avança une hache à la patte avant-droite et un bouclier dans l’autre.

– Qui êtes-vous ? S’exclama-t-il en direction de la femme.

Cette dernière se leva, sans arme, et descendit une marche après l’autre en direction de son interlocuteur, jusqu’à se trouver à hauteur de coup.

– Partez d’ici. J’ai assez tué des vôtres ces jours-ci. Partez avant que je ne change d’avis.

La truffe de la chimère s’emballa quand l’odeur qui se dégageait de l’humaine n’avait nulle ressemblance avec les esclaves du royaume.

– Nous avons été envoyés par le roi pour vous trouver. Qui êtes-vous ?
– Comment ? Pourquoi discutez-vous avec cet esclave capitaine ? S’impatienta un loup-garou qui griffait frénétiquement le sol gelé.
– Vous devriez tenir vos animaux. J’ai assez de quoi me nourrir pour toute une vie. Je n’ai pas besoin de cochon à ajouter à mon buffet ce soir.

Mais s’approchant à quelques centimètres du supérieur, la femme chuchota quelques mots tandis que ses yeux se mirent à briller d’une lueur bleuté intense que seul le capitaine pouvait observer :

– Je vous laisse vingt secondes pour déguerpir de ma vue, ou je vous tuerai tous…
– Qu’attendez-vous capitaine ? Repris le même insubordonné.
– Nous partons ! Nous partons !
– Capitaine ?

Toute la troupe se regardait, surpris, jusqu’au moment où leur chef leur fit face. Sa gorge était entourée d’un anneau de glace qui se resserrait doucement et commençait à l’étouffer. Sa peur l’agita et il se mit à grouiner de sa grosse truffe. Sa hache tomba au sol, puis son bouclier tandis que ses pattes d’ours tentèrent d’enlever cette prison glaciale qui le faisait suffoquer.

– Les vingt secondes sont passées. Rétorqua la femme qui s’avança à hauteur de la chimère, la paume de la main grande ouverte à hauteur de la tête.

Sous l’attention ébranlé de tous les combattants, le poing de la main se referma aussitôt et la tête du capitaine fut séparée de son corps par cet anneau de glace qui la coupa nette.

– À qui le tour, chuchota-t-elle.

Le plus excité d’entre tous s’élança d’un bond puissant et rapide, et parvint à hauteur de l’assaillante. Son buste et sa tête fut instantanément transpercés de cônes de stalagmite qui le maintinrent en l’air.
Une chauve-souris s’élança dans les airs et survola leur cible, quand elle fit plomber au sol par des stalactites se formant au-dessus d’elle. Un autre couru à ras le sol pour atteindre les jambes de sa victime, mais la poigne de l’humaine l’attrapa à la gorge et la lui broya de sa seule force.

– Plus que seize.

Elle fit apparaître entre ses mains, un arc gelé dont les flèches en glace partirent sur chacune des têtes des autres bêtes, à l’exception d’une dernière chimère de loup et de tatou. Sa carapace fracassa aisément la rigidité des flèches ou des autres pointes gelées qu’elle lui envoya.

– C’est tout ce que tu sais faire, humaine ? Je serai grassement récompensé après avoir ramené ta tête au roi. Ton corps servira à nourrir ceux de ton espèce.
– Tu parles trop.

Se mettant en boule, il fonça sur son adversaire et broya tout sur son passage. Les carcasses de ses acolytes giclèrent de part et d’autre du chemin, jusqu’à ce qu’il percuta sa cible. Retrouvant sa forme normale, son regard resta figé et son corps tétanisé. La main avec laquelle elle avait broyé la gorge du loup-garou, le maintenait à distance de bras, et de l’autre, elle pourfendit sa carapace et traversa son intestin jusqu’au travers. Elle en ressortit peu après un léger sourire aux lèvres.

– Et dire que je voulais en garder un pour prévenir votre roi qu’Aana Creiper se rend au royaume… Tant pis.

Ataron Creiper

– Je me demande bien où sont partis les autres. Se demanda l’un des monstres assis à la table du tavernier.
– Profite donc de la chair humaine, elle est bien grasse celle-ci. Répond un autre en déchiquetant le bras frit qui lui a été servi.
– Tavernier, fit un troisième, prépares-en nous un autre !

On pouvait entendre les hurlements des prisonniers et les cris de pitié en arrière du bâtiment, où des bouchers aux crocs acérés venaient chercher les victimes pour les préparer aux clients. Après le craquement net d’un os, les cris des hommes cessèrent, et l’odeur du sang encore chaud parfumait l’antre où les bêtes affamées salivaient de plus bel.
Le portillon de l’auberge s’ouvrit interrompant le brouhaha ambiant. Entrant calmement, l’individu surmonté d’armures légères de la tête au pied, était muni de deux épées accrochées au dos, d’une arbalète optimisée et de couteaux à la ceinture. Son corps était recouvert de sang frais qui continuait de couler malgré qu’il s’avançât vers le bar.
Les monstres le regardaient, s’interrogeant pour certains, s’excitant pour d’autre à la vue d’un tel chasseur. Plus loin, des chuchotements grognant qu’il ne devrait pas sortir de cet endroit vivant.

– Grrr, je ne veux pas d’ennuis. Repartez immédiatement. Chuchota le tavernier à l’arrivant.
– De l’eau, fraîche. Lui répondit-il.

Une table bascula, puis une autre, et une horde de monstres se levèrent et sortirent leurs griffes.

– Que fais-tu ici, humain ? S’avança le plus grand et le plus robuste, dont la salive coulait jusqu’au sol. Tu n’as rien à faire ici. Tes congénères n’ont pas d’autres places qu’au garde-manger.
– De l’eau, fraîche, tavernier.
– M’ignores-tu ? Je vais me faire un plaisir de te bouffer tout de suite.

Les pas lourds firent tremblés le sol tandis qu’il s’avançait vers l’indifférent qui lui tournait le dos. Une forte respiration bestiale soufflait l’air ambiant.

– Tu vas mourir ici. Ricana la bête.

C’est alors que le tavernier, tremblant, fit glisser le pichet d’eau devant son client. Mais au moment de retirer sa main du gobelet, il croisa le regard de l’individu couvert de sang. Il aperçu la lueur flamboyante des yeux, et en tomba à la renverse devant toute la horde.

– Que t’arrive-t-il tavernier ? aurais-tu peur d’un humain ?
– C’est… c’est… c’est Ata…

Mais au même moment, la griffe acérée s’apposa sur l’épaule de sa cible.

– Nous sommes… fichus… Soupira le tavernier qui voyait le regard de l’être qui venait d’arriver commencer à briller d’une lueur brûlante. C’est Ataron Creiper…

L’eau du pichet se mit à bouillir ci-bien que le monstre se pencha pour regarder le phénomène tout en maintenant brièvement l’épaule de l’autre.

– Qu’est-ce que…

De l’extérieur, les quelques humains rescapés au bain de sang qui inondait la ruelle, virent des flammes gigantesques s’emparer du bâtiment où les monstres s’étaient attroupés. Des hurlements de bêtes émanaient de là et les quelques membres qui sortirent sur la terrasse fondaient sur le plancher rougeoyant. L’instant d’après, l’auberge s’écroula toute entière sur elle-même, et des hommes ou des monstres, seul le guerrier en sorti indemne.

– J’ai entendu les maîtres dire que des Creiper auraient refait surface. Dit une personne qui s’avançait vers la scène.
– Qu’est-ce que des Creiper, demanda un plus jeune ?
– Ce sont… des chasseurs de monstres.

Caspar Creiper

Beaucoup racontaient avoir croisé une armée, d’autres ne parlaient que d’un seul homme. Mais personne ne savait exactement de combien d’individus se formaient les Creiper.
Récemment, les rumeurs mentionnaient des apparitions dans des royaumes différents. Même les monstres en discutaient, et une liste officielle de noms fut affichée dans les rues. Ataron Creiper était en tête de liste et a été aperçu la même semaine. Après son passage, des corps calcinés d’humains et de monstres, mais aussi le roi de ces terres ne portant plus sa tête sur ses épaules ont été retrouvés. Considéré comme l’ennemi numéro un par les autorités démoniaques, il est facilement reconnaissable par sa tenue légère, ses deux épées et son arbalète. Le deuxième sur la liste est Caspar Creiper. Il n’y a aucun témoignage complet à son sujet, mais un homme aveugle affirma avoir croisé quelqu’un se faisant appeler comme cela. Cet aveugle se trouvait au milieu d’une hécatombe de rue. Les monstres éparpillés un peu partout autour de lui appuyait les dires de ce dernier.
Pour l’interroger, le roi le fit enfermer dans les cachots de son domaine et envoya ses meilleurs monstres pour vérifier l’authenticité de ses paroles. L’aveugle le savait, s’il mentait, il serait dévoré.
Mais au sein du bâtiment, aussi proche du seigneur de ces terres, cet aveugle, était en réalité très excité. Il tenta comme il put de se contenir, tant l’excitation d’être découvert l’amusa. Et tandis que de gros ours l’accompagnait jusque dans le cachot, il craqua et lâcha un sourire, puis se mit à rire.

– Qu’est-ce que tu as l’aveugle ? S’étonna le garde.
– Qui vous a dit que j’étais aveugle ? Soupira-t-il.

L’autre ours se pencha sur le visage de l’homme et aperçu ses yeux qui brillaient d’une lueur grisâtre.

– Les aveugles n’ont-ils pas les yeux gris ? Interrogea son acolyte.
– Laisse-le rire autant qu’il veut, on le laisse dans sa cellule.

Et entrant dans la pièce, il fut enfermé à l’intérieur et laisser dans l’obscurité.
Peu après, des boulons de la porte jusqu’à la serrure et la poignée, et chaque once de fer se mit à fondre et couler jusqu’au sol, formant peu à peu une boule grise métallique rouillée. L’homme la fit léviter devant lui, la fit virevolter afin de perforer la porte de sa prison de part et d’autre. Celle-ci s’effondra en lambeaux contre le sol et il en sortit calmement. Se dirigeant vers l’extérieur, empruntant les escaliers qui menaient à la cour, il perfora chaque ennemi qui s’opposa à son avancée. La balle fusait dans tous les sens, traversant sans résistance les crânes des monstres, détruisant les vieilles serrures et les verrous puis pourfendit les armes ou même les griffes de tous les ennemis qui tentèrent de l’arrêter.
Malgré que la cloche fût sonnée et que toutes les bêtes à disposition se mirent aux côtés de leur roi pour le protéger, rien n’arrêta la boule métallique qui fit jaillir la cervelle et le sang d’une centaine d’ennemis.
Quand il arriva enfin, seul, face au roi, il laissa tomber la boule sur le sol et fit la révérence puis se prosterna.

– Qu’est-ce que vous voulez ? Qui êtes-vous ? S’étonna le roi sans défense.
– Ce que je veux… Avoir mon nom en première place. Et pour cela, quoi de mieux que de tuer un démon parmi les rois ?
– Ah, un Creiper… Vous ne me faites pas peur. Mais laissez-moi vous mettre en garde.
– Dîtes toujours. Rétorqua-t-il en faisant léviter la boule métallique de plus bel jusqu’au visage de sa cible.
– Même si je ne serai pas là pour le voir, un pacte a été fait jadis. Si quatre des miens venaient à mourir, nous libérerons le seul vrai Roi Démon. Et vous périrez sous sa colère et sa rancune.
– Soyez rassuré, démon, nous les Creiper, sommes ici pour briser ce pacte et tuer une bonne fois pour toute votre véritable Roi.

Le corps tomba face contre terre, inerte.

« Ce jour est proche, nous devrions nous réunir à présent. »

Eilon Creiper

« Pourquoi ce monde est-il amplis de désespoir. Comment des hommes et des femmes peuvent vivre enchaîner jours et nuits et être traités de la sorte ? Est-ce ainsi qu’était la vision de mère ? A-t-elle seulement eu une idée de ce que la paix signifiait pour ces gens ? Plus je traverse ces terres, remontant depuis de longues semaines ce grand faussé qui scinde ce continent en deux, je n’ai pas encore vu d’humains ou de nains qui soient libres. Plus encore, je ne compte plus le nombre de boucheries, de charniers et de maltraitances qui décomptent les peuples faibles. Je n’ignore pas ses enseignements, et je comprends pourquoi elle désignait toujours les Creiper comme l’atout du monde. Mais je ne mesurais pas jusqu’alors ce que ce terme signifiait vraiment. Je pense qu’elle n’en connaissait pas non plus sa véracité. Depuis que nous nous sommes mis en route et que les autres veulent accomplir leur destin, je ne cesse de découvrir un monde si mal interprété et me questionne sur tout ce que je croise. Pourquoi la vie de ces êtres est-elle si éphémère ? Pourquoi sont-ils si fragiles ? Ont-ils toujours été esclave de leur survie ? Et ces bêtes, sont-elles toutes comme elle nous les avait décrites ? Sont-elles toutes mauvaises ? Certaines n’ont guère de proie au bout d’une corde, d’autres ne sont pas agressifs quand ils en croisent plus libre que leurs congénères. Notre destinée est-elle juste ? Est-elle justifiée ? Les autres n’ont pas hésités et semblent se ravir de dévaster et de détruire, qu’importe si les victimes sont dans un camp ou dans un autre. Mais je ne peux tracer mon chemin de la sorte. Tous ne sont pas coupables des atrocités du passé. Les humains n’ont-ils vraiment rien fait ? Ma mère n’a-t-elle rien à se reprocher non plus ? Pourquoi participerais-je à ce bain de sang ? Est-ce cela d’être un chasseur, d’être un Creiper ? Je sais, mère, que tu me considérais, déjà tout petit, différents des autres. Ta sagesse et ta douceur n’était destinée qu’à moi et si tu pensais bien faire, les autres m’apprirent à grandir bien plus vite qu’ils ne le firent. Mère, je ne peux remplir la mission que tu nous as donné tant que je n’aurais pas vu de mes propres yeux les méfaits que tu dénonçais. Et si aucun de ces monstres, de ces démons, de ces ennemis ne prend jamais partis du faible, de l’Homme, du Nain ou de tous les autres, alors peut-être agirais-je en leur faveur. Mais ces derniers ne deviendraient-ils pas à leur tour des monstres ? »

Une paysanne, ensanglanté de la tête au pied dont la chevelure imbibée de chaire séchée s’affala à ses pieds. Elle releva la tête et tenta de demander de l’aide, criant son nom, criant qu’il pouvait la sauver de ces maîtres qui allaient la tuer.

– Par pitié, disait-elle en s’accrochant de toutes les forces qui lui restaient, à la jambe du penseur. Aidez-moi, ils vont me tuer. Vous êtes un Creiper, n’est-ce pas ? Oui ! Aidez-moi. Aidez-moi…

Un couple de monstre à la tête de cochons et au corps recouvert de membre humains s’approchèrent en ricanant. C’était là les principaux accoutrements qu’Eilon avait croisé depuis le début de son périple. Ces bêtes s’ornaient des os et des membres encore frais de leur esclave les plus réticents, voire des maris ou des femmes qui pouvait leur servir de mise en garde. La femme se mit à pleurer, elle était effrayée et à bout de force. L’odeur de l’urine qui s’échappait de ses cuisses, forte et mélangée à la saleté et au sang séché, semblait exciter les oppresseurs plutôt que de les répugner.

– Viens par-là, Cuissette, tu ne pensais tout de même pas que nous laisserions un aussi beau morceau de viande s’échapper. La faute à ton mari qui n’est pas assez tendre, expliqua le mâle.
– Il est temps de festoyer. Nous rôtirons tes membres et boirons ta cervelle pour accompagner le corps de ton idiot de mari, ajouta la femelle.

La femme s’évanouit face contre terre et laissa ses maîtres à la seule merci des songes du philosophe. Malgré qu’il ne fût pas surpris par la scène, il n’avait encore jamais été supplié. Peut-être aurait-elle dû se donner la mort, pensait-il. Mais le destin de cette proie n’était qu’une voie de fait parmi tant d’autres, et les monstres qui s’apprêtaient à la dévorer ne faisaient que se nourrir de leur bétail. Quel mal y avait-il à cela ?
Alors qu’il tenta de se dégager de la scène, les bras de la femme restèrent serrés autour de sa jambe. Même si elle n’avait plus la force ni de courir ni d’affronter son avenir, elle en avait assez pour se maintenir à lui.

« Est-ce cela à quoi tu pensais, mère ? La force qui réside dans l’espoir ? Est-elle comme ces victimes que tu voulais que je protège ? Devrais-je l’aider, pour toi ? Elle finira par mourir, si ce n’est aujourd’hui, sa faiblesse la trahira un jour ou l’autre. »

– Toute l’humanité… avait mis l’espoir… en vous… Creiper… fit tremblante la femme qui avait rouvert les yeux et ne retenait plus son otage.
– Toi là-bas, écarte-toi si tu ne veux pas finir comme elle. Elle nous appartient. Ordonna le mâle le désignant de la patte.

« Être l’espoir de l’humanité ? se questionna Eilon, les autres ne sont que des brutes. Ils ne pensent qu’à détruire, qu’importe qu’il s’agisse d’eux, d’elle, de moi. L’espoir ne peut se reposer sur des guerriers, elle devrait plutôt se lier à la pensée, à la réflexion, et à la dissuasion. Je vais vous montrer, mère, que la force n’est pas nécessaire à l’espoir. »

– Tu ne m’as pas entendu, misérable ? Bouge ou je te bouffe. Renchérit le mâle.
– Pourquoi pas, mon cochon, mangeons-les tous les deux. Il m’a l’air robuste.

Eilon enjamba la victime et se mit entre elle et ses propriétaires afin de convaincre qu’elle pouvait être libérée de cette condamnation pour cette fois. Y avait-il une raison valable pour qu’elle soit dévorée ? Son abus pouvait être punis, sévèrement, à leur guise, mais il défendit sa vie. Celle-ci même qui pouvait leur être utile jusqu’à leur prochaine fringale.

– Quel drôle d’individu vous faites. Vous parlez beaucoup, et seulement pour dire des sottises. D’où venez-vous avec votre grande gueule ? rétorqua le cochon qui couinait légèrement.
– Regarde-le mon cochon, reprit la femelle, il ne sait pas de quoi il parle. Il nous suggère d’économiser la viande, quel idiot. Ecoutez-moi bien, humain, nous mangerons cette idiote ce soir, et nous achèterons autant d’esclaves que nous le voudrons au marché de demain.
– Ce doit être un homme libéré par nos frères pour se permettent de telles bêtises. A sa place, aucun d’entre nous souhaiteraient survivre comme esclave. On pourra dire que cette Cuissette aura eu une once de courage et d’espoir avant de nous régaler. Couinait et riait le mâle.

« Était-ce cela que tu voulais me montrer mère ? Ai-je été aveuglé par mes songes ? Les hommes ne préfèrent-ils pas survivre quoiqu’il en coûte ? Toutes ces femmes, ces enfants, ces hommes qui tentèrent d’échapper à leur maître et qui se firent trancher devant moi, en pleine allée, étaient-ils tous à la recherche de l’espoir ? Me cherchaient-ils tous du regard pour que je leur vienne en aide ? Suis-je un monstre, mère ? »

Eilon s’agenouilla sur le sol, regardant ses mains qu’ils n’avaient jamais utilisé, se touchant les lèvres qu’il croyait savantes, sentit la terre molle qui absorbait le sang et l’urine. Il était le monstre qu’on lui avait appris à combattre, passif des atrocités qu’on lui demandait d’arrêter par les cris et les gestes. Qui était-il si ce n’était un cochon, un ours, un démon assoiffé de sang et de chaire ? Qui était-il si ne pas agir faisait de lui, le même monstre qui agissait pour son plaisir ? Il y songea jusqu’à ce que le couple soit à sa hauteur et attrapèrent les pieds de leur viande qu’ils se mirent à tirer dans le sens inverse. Passant devant lui, le penseur observa ce corps affaibli glisser sur la terre salie, les mains renversées, et les bras tendus dans sa direction. C’était là la dernière chose qu’il verrait de cette victime avant qu’elle ne disparaisse et que ses songes le rongent de remords.

– Arrêtez-vous. Dit doucement Eilon. Arrêtez-vous.
– Qu’est-ce que tu as dit ? Grogna le cochon.
– Je… Mère…
– Il délire. Il a l’air assez faible. Pourquoi ne pas le manger lui aussi ? s’interrogeait la cochonne.
– Vous m’avez laissé me questionner et comprendre… Je pensais savoir pourquoi… Je le sais maintenant, mère.
– Qu’est-ce que tu marmonnes ? S’énerva le premier.
– Il n’y a pas de valeur qui corresponde à une vie, n’est-ce pas, mère ? Ma vie, la leur, les leurs, la sienne… C’est l’espoir.

Eilon Creiper se releva et se présenta aux monstres sous son vrai nom. Sa voix calme et son ton sûr, il se concentra sur ce qu’il était et sur le destin qu’il voulait se tracer. Cette femme, expliqua-t-il, sera son péché et sa destinée. Pour pardonner ses actions, il protègera cette humaine et se repentira d’avoir laissé mourir les victimes passées.

– Eilon… Creiper… S’interrogea la femelle.
– Je n’ai jamais entendu ce nom. Ces rumeurs montent à la tête de tous les humains du coin. Ricana le conjoint.

Muni de ses convictions, il s’avança vers eux, et d’un geste rapide comme l’éclair, il fit disparaître les deux bestiaux.

« J’ai toujours refusé d’agir, mère. J’ai rompu la promesse que je vous avais faite dès le premier jour. Puisses-tu me pardonner et accepter que je répare mes fautes. Les autres rempliront la tâche que tu nous confias, quant à moi, je ferai acte de rédemption. »

Il prit la femme dans ses bras et disparu en un instant. Quelques minutes plus tard, où le sang et l’urine séchaient au soleil, les cadavres des cochons s’écrasèrent sur le sol, en morceaux. Seules leur queue en tire-bouchon étaient restées complètes.

Siola Creiper

Dans les marais du royaume, où les ossements des hommes et des femmes dévorés sont jetés, la maladie se répand dans les terres agricoles voisines où travaillent sans relâche les humains qui survivent à l’esclavage en souffrant du labeur pour le seul plaisir de leurs maîtres, les monstres. Mais les rois qui gouvernent toutes ces créatures ne sont autres que les démons qui, jadis, firent la guerre à l’humanité et affrontèrent la plus puissante force naturelle sous le seul signe d’un flocon de neige. Malgré leur victoire, il y eut de très nombreuses victimes des deux camps et le chef d’entre tous, le Roi Démon, fut terrassé. Les minorités furent exterminés et privé du pouvoir de leur chef, les démons perdirent la part de magie qui leur donnait la force d’être redouté.
Des décennies plus tard, sortant de la grande Faille qui séparait le monde en deux, apparurent des individus aux capacités uniques qui ne furent pas sans rappeler le signe du Flocon. Capable de maîtriser les éléments et possédant une force brute gigantesque, ils furent rapidement considérés comme les ennemis principaux de tous les continents. Des armées furent envoyées pour trouver et détruire ces surhommes et garder la suprématie démoniaque sur les terres.
Des seuls humains à avoir croisé leur chemin avant qu’ils ne disparaissent aussi vite qu’ils étaient apparus, partagèrent leur nom, Creiper, et dont leur but était clair : l’éradication des démons.

Malgré cette légère notion d’espoir, les humains en souffrirent bien davantage, subissant le courroux des monstres n’ayant pas retrouvés ces nouveaux ennemis. Des années passèrent sans aucune trace jusqu’au cinquième anniversaire de leur apparition. À ce moment, les premières rumeurs de leur retour débutèrent proche du plus grand marais du continent.

Quinze ans plus tard, le témoignage d’un homme, passé de mains en mains, conta ce qu’il avait vécu et pourquoi il considéra les Creiper comme ses héros :

« Le nom de mon père était Grellin. Comme je n’en avais pas reçu, j’emprunterai celui-ci pour raconter ce que j’ai vécu. À tous ceux et celles qui liront mon histoire, même si cela fait quinze ans que ça s’est passé, ne perdez pas espoir. Les Creiper sont parmi nous. Quand j’étais enfant, notre Maître, Davos, un cochon, avait l’habitude de dévorer régulièrement de jeunes enfants qu’il ne trouvait pas assez beau pour être dans sa collection d’humains. Ce jour-là, il avait prévu de me dévorer devant mes parents pour les punir de n’avoir pas fait naître un assez bel enfant. Et tandis qu’on me lâcha nu dans de la boue, ma mère et mon père furent attachés à un poteau et durent me regarder me débattre. Ce porc s’avança vers moi, la bouche en sang, où la tête d’un ami venait à peine d’être mâchée, et grogna en me dévisageant. J’entendais les cris et les pleurs de mes parents qui me sommaient de courir et de m’enfuir mais j’en étais incapable. Encore une fois, notre maître aurait ce qu’il voulait. C’était ce que je m’étais dit. J’eu voulu voir mes parents une dernière fois, et tournant la tête vers ma mère et mon père, je découvris que d’autres porcs mâchaient déjà les membres de mes parents qui ne faisaient plus de bruit. Il n’y avait rien pour défaire ce mal et mieux ne valait-il pas mourir que survivre ? Je n’étais pas maître d’en décider. Ce jour-là, quand la truffe de mon maître se posa sur moi, je pus sentir l’odeur fétide qui se dégageait de cette chose pour qui nous dévouions notre vie. Mais quand sa bouche s’ouvrit, ce ne fut pas pour me déchirer. Son regard se perdit bien au-dessus de moi, et de ma petite taille, renversé au sol, je vis grandir tout autour de moi une ombre de plus en plus grande. Elle cacha même la lueur du soleil et assombrit tout le domaine. Exténué, je me laissais tomber en arrière et pu apercevoir ce qui grandissait dans le ciel. C’était un arbre, un gigantesque arbre dont les branches poussaient de part et d’autre, et les feuilles vertes s’ouvraient sur la terre et attrapèrent tout sur leur passage. Des hommes et des femmes furent dévorées mais plus encore des monstres. Davos, quant à lui, fut écrasé, complètement aplati devant moi par ce qui s’apparentait à un pas de géant, un arbre gigantesque qui se déplaçait comme si une montagne avait pu marcher. Après quoi je m’évanouis et quand je me réveillais de nouveau, une femme parlait à de nombreuses gens. Ils la priaient tous de les aider et c’est à ce moment là que j’entendis pour la première fois ce nom. Un homme à genoux priait Siola Creiper de les aider… »

– Qu’est-ce que c’est que ça, esclave ! S’écria un monstre qui aperçut une mère qui lisait ce papier en cachette. Dire qu’il reste des humains capables de lire… Ne serait-ce pas la fameuse lettre du traître Grillin ?
– Seigneur, par pitié, épargnez-mon enfant, épargnez-moi. Je ne sais pas lire. Je ne sais pas de qui vous parlez. J’ai trouvé ça par terre.
– Tu me prends pour une idiote ?

La femelle attrapa le bras de la femme qui tenait la lettre et le la lui coupa avec ses griffes. La pauvre s’affala sur le sol en criant de douleur et se vidant de son sang, et son fils pleurait contre elle.

– Tu ne mérites pas mieux que d’être dévorée par les chiens ce soir. Réjouis-toi que ton fils leur serve d’encas. Ah ! S’amusa-t-elle en laissant tomber la lettre aux côtés du bras ensanglanté de la femme.

C’est alors que le ciel s’assombrit sur toute la ville du royaume marécageux et une brise légère fit lever la feuille imbibée. Elle voltigea et atterrit sur l’échine de la bête qui ricanait encore.

– Qu’est-ce que c’est ? S’interrogea-t-elle en attrapant le document.

Elle aperçut la lettre de Grillin entre ses griffes et soupira. Tandis qu’elle abaissa la patte vers le sol, sa vision se dégagea du bout de papier et aperçu quelqu’un courir dans sa direction. Elle n’eut pas le temps de distinguer les lames tranchantes tenues à hauteur de visage pour parer le coup qui la décapita avant que la feuille ne retombe sur le sol.

Partie 1 – Le Réveil du Roi

Partie 1 – Le Réveil du Roi

Au cœur de la Montagne Sacrée, où repose, enfermé dans un cristal, le corps du Gardien, gît dans un sarcophage, le Roi démoniaque responsable de l’asservissement de l’humanité et de l’annihilation des espèces minoritaires lors de la dernière grande guerre.

Quand les quatre seigneurs démoniaques furent vaincus sur le continent, et que chacun des quatre sceaux furent brisés par les Creiper, alors du sommeil s’élevèrent des démons, et le Conseil du Roi refit surface pour la première fois depuis deux cent ans. Ils avaient été enfermés avec leur Roi par le Gardien pour préserver l’humanité et déclarer une paix durable entre les vainqueurs et les vaincus. Les démons, dirigés par leur Roi, perdirent leur pouvoir lorsque ce dernier fut fait prisonnier d’une puissante magie, mais leur nombre et leur férocité leur assurait une écrasante victoire sur les frêles Hommes. C’est alors que naquit le Conseil du Roi, qui s’entretinrent avec le Gardien et pactisèrent pour la sauvegarde de l’humanité ou le retour du Roi Démon.

– Grand Prêtre, notre réveil ne présage rien de bons.
– Les corbeaux rapportent le décès des quatre. Fit un démon qui s’avançait vers les autres.
– Combien de temps cela fait-il depuis la guerre ? Questionna le plus grand dont les parures et la longue robe le distinguait des autres et qu’ils appelaient Grand Prêtre.
– Deux siècles se sont écoulées. Le Gardien vit un repos éternel dans le cristal de cette Montagne, Grand Prêtre.
– Qu’en est-il de Cendre ? Questionna un quatrième.
– Ne prononcez pas ce nom aussi impunément. Notre Roi doit être éveillé. Tel était le pacte. Nous n’avons pas oublié l’Accord passé avec le Gardien. Notre présence à tous en ce jour signifie que les humains ont bafoués la parole de notre seul véritable opposant. Justifia un cinquième dont la tête était ornée d’un museau squelettique de loup.
– L’heure est venue de réveiller le Roi Démon. L’humanité doit allégeance à notre espèce. Ajouta un sixième aveugle.
– Ecoutez-moi tous ! reprit le plus petit du Conseil inquiet, quatre d’entre nous ont disparus.
– Laissez-moi deviner, ce sont ceux-là même qui ont tenté de trahir notre Roi jadis. Reprit le messager.
– Nous sommes dévoués à notre Roi. Nous ne vivons que pour accomplir son retour et être délivrés de nos chaînes pour qu’il recouvre tous ses pouvoirs. Notre Seigneur redonnera alors un sens à ce monde ravagé par la cupidité de l’humanité. Puisqu’ils ne seront pas là au réveil de leur Roi, ils seront ses ennemis et je ne doute pas qu’il s’en occupera de lui-même.
– Vos mots sont sages, Grand Prêtre.
– Entamons le rituel, et réveillons le plus puissant d’entre nous, notre créateur, notre Roi.

Les six conseillers, d’anciens commandants encore présents se retrouvèrent dans la salle du sarcophage où leur roi était enfermé et endormis par une puissante magie. Devant eux, dans le cristal qui formait cette Montagne où ils avaient tous été enfermés, se trouvait le repos du plus puissant et unique adversaire des Démons, le Gardien Flocon qui enferma jadis les forces démoniaques dans cette boîte, privant à ce monde, toute la magie des créatures maléfiques.
« Defeiros, Apeiros, Natoros, Veyiros, Guanos et Boniros, en nos six noms j’invoque le retour de notre Roi. Que ma vie loue notre Seigneur ».
« Que ma vie loue notre Seigneur ».
« Que ma vie loue notre Seigneur ».
« Que ma vie loue notre Seigneur ».
« Que ma vie loue notre Seigneur ».
« Que ma vie loue notre Seigneur ».

Alors chacun des six Conseillers du Roi se munirent d’une dague et se penchèrent au-dessus du sarcophage, enfonçant doucement la lame au-travers de leur gorge, laissant couler abondamment leur sang sur les rainures de la boîte de cristaux, close.
Le liquide se déversa sur la totalité de la surface se mélangeant et pénétrant les quelques trous qui juxtaposait les verrous aux mécanismes magiques.

Quand tous furent tombés au sol, raides morts, les verrous se mirent à se déverrouiller et tout le sang fut aspiré vers l’intérieur. Des bruits s’échappèrent de l’intérieur de la prison, des craquements d’os, des déchirements de chaires, et enfin, la fissure du couvercle qui vola en éclat. De l’intérieur, allongé de tout son long, le Roi Démon s’éveilla, ses yeux s’ouvrirent et son regard parcouru le cristal brillant qui demeurait partout dans la pièce. Il se leva sans effort, comme attiré en-dehors de cet étroit espace, et fit face à ses subordonnés qui venaient de se donner la mort.

Il observa son corps, se toucha et palpa ses membres, il ne rêvait pas. Il était bien là, face au bain de sang des siens. Quand il se retourna, il aperçut le cristal dans lequel gisait son ennemi juré, le Gardien Flocon. Les années de conflit l’avaient rapproché de cet individu en qui il vouait à la fois haine et amour.

– Tu as mauvaise mine, Gardien. Ma résurrection annonce bien des maux à venir. Mais cette fois-ci, Gardien, tu ne seras pas là pour t’opposer. Je dévorerai autant d’humains que de jours qui se sont écoulés depuis que tu m’as enfermé. Et s’il reste quelques individus de ce pauvre peuple que tu voulais tant protéger, je viendrai recouvrir cette montagne de leur corps et de leur sang. Je t’en fais la promesse. En ta mémoire, je garderai pour nom celui que tu avais si bien employé jadis : Cendre.

Il s’approcha des cadavres des siens et récupéra un message au pied de l’un d’eux. Il s’agissait du rapport des corbeaux, mentionnant l’assassinat de quatre seigneurs démons et de la destruction des sceaux qui le gardait prisonnier. Il était également mentionné dix démons du Conseil pour le rituel de libération, et c’est à ce moment-là qu’il comprit ce que cette scène pittoresque signifia.
Lorsqu’il quitta enfin la Montagne Sacrée, que la lumière du jour l’atteignit pour la première fois depuis la fin de la guerre qu’il avait engendré, Cendre fut pris d’une terrible douleur qui le fit tomber au sol et parcourra tout son corps. Il commença à trembler et à se briser. Puis sa chaire se calcina, et ses os à l’air se mirent à se recouvrir d’une épaisse membrane noire qui remplaça sa frêle peau. Ses yeux qui n’avaient plus eu la lumière du jour fondirent dans orbites, et des nerfs optiques se construisirent des yeux sombres dont la pupille rouge-vive se dessina aussitôt. Enfin, les extrémités de ses membres déformés par le temps se changèrent en l’être qui l’était jadis, à l’apparence d’un homme, dont ses pattes avant et arrières laissèrent place à deux bras et deux jambes à l’allure normale et aux caractéristiques uniques. Ses membres se métamorphosaient à sa guise en forme et en éléments qu’il souhaitait. Sa force, quant à elle, avait été décuplée suffisamment pour qu’il puisse broyer un tronc d’arbre à main nue.

– Gardien, ton entêtement n’a fait que précipiter ce monde à bien plus de chaos que je n’envisageais jadis. Prépare-toi à accueillir d’innombrables victimes dans la mort. Cette fois-ci, rien ne pourra m’arrêter.

Partie 2 – L’Affrontement

Cela fait trois semaines que le Roi Démon est revenu à la vie et s’est emparé des terres que les siens avaient gardé depuis sa disparition, à la fin de la guerre. Mis au courant qu’un groupe de mercenaire d’apparence humaine voyageait dans les terres et s’en prenaient à la population, sans distinction d’espèces, avait pour objectif de tuer les siens. La liste des quatre individus connus à ce jour, coupable d’avoir assassiner les quatre seigneurs des contrées de l’Est, était affichée dans chaque bourg du pays.
Depuis son retour, le Roi Démon ne s’en était pris à personne en particulier et avait même organisé un très grand festin où tous ses serviteurs devaient le rejoindre au palais du Sud, bâtisse qu’il avait faite construire jadis en pleine période de guerre. Il y attendrait les plus féroces démons d’antan ainsi que la majeure partie de la population de bêtes et de monstres qui lui avaient vouées allégeance par le passé.
Le soir des festivités, ce n’était pas des animaux sauvages qui sentaient fort le grillé et le fumé des buffets, mais les cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants, servis en morceaux, ou parfois entiers, par des esclaves enchainés. Il n’était pas rare que ces derniers terminent une soirée la tête entre les jambes après les beuveries de ces bestiaires meurtriers.
À l’entrée du domaine, devant de grandes grilles sur lesquelles étaient attachées des humains fraîchement sortis des cachots et empalés vivant, se tenaient quatre démons qui discutaient tremblotants.

– Devrions-nous nous présenter au roi et demander son pardon ? Fit l’un d’eux qui se cachait sous une cape.
– Pourquoi sommes-nous encore là ? Si on nous voit, il saura que nous sommes en vie.
– Il nous tuera… Nous aurions dû nous sacrifier à son retour… Nous aurions dû… Fit un troisième qui suait à en avoir les poils qui luis.
– Reprenez-vous, chuchota le quatrième, j’ai entendu dire que notre réveil était dû à l’action de guerriers qui en veulent au Roi. Sans notre sacrifice, il n’a pu récupérer l’intégralité de sa puissance, et comme nous sommes tout de même quatre. Peut-être que…
– Tu es le plus fou d’entre nous, repris le premier, mais si c’était vrai ? Si ces guerriers pouvaient venir à bout de notre Roi, ne serions-nous pas libres de vivre ?

À côté d’eux, arrivant sur leur flanc, des individus silencieux passaient leurs chemins. Quatre personnes armées, ne se cachant guère de leurs armements, laissaient traîner pointe contre sol leurs armes métalliques. L’un d’eux portait une épée à la main, une autre brandissait un grand marteau qui sonnait de ses chaînes et de ses masses branlantes, une troisième tendait sa lance vers le sol derrière elle, et enfin le quatrième, muni d’une longue cape grise, ne semblait pas armé. Tandis que les quatre démons laissèrent passer la troupe, ils les regardèrent avec effroi et excitation à la vue des ennemis jurés de leur Roi.

– Que faisaient ces quatre démons aux portes du domaine ? Demanda la femme à la lance verdâtre, enroulée dans de la liane.
– On aurait dû les tuer. Pourquoi n’as-tu pas fait une brochette d’eux, Siola ? Ajouta le plus petit à la cape épaisse.
– Nous avons un plus gros poisson à pêcher. Siola, Caspar, nous aurons de quoi nous occuper au cœur des festivités. Gardez vos forces.
– Et voilà qu’Ataron rejoue au petit chef. Je ne ferais qu’une bouchée de ce Roi démon. Moi Aana Creiper, je vais le geler sur place, et le briserais en mille morceaux d’un seul coup de masse. Ricana la dernière.

Arrivés devant les portes d’un grand château de pierre et de fers, les quatre Creiper furent aperçus par les gardes et aussitôt mis en jougs. Les empêchant de passer, les troupes ennemies s’accumulèrent devant l’entrée sans engager le combat, attendant que l’hôte fasse son apparition. Depuis l’arrière de la foule, d’une voix forte, on entendit le Roi Démon avant de le voir :

– Ce doit être vous, guerriers, dont j’ai entendu parler à de nombreuses reprises depuis mon retour. Ainsi donc, vous avez ébranlé la paix de mon vieil ennemi et prétendez pouvoir me défaire ?

C’est alors qu’il apparue, au milieu des siens qui s’étaient écartés à sa venue.
« Cet individu aussi frêle qu’un humain, est censé être le roi de tous ces monstres ? Est-ce une plaisanterie ? » songea Aana qui regardait avec étonnement les trois autres guerriers qui s’interrogeaient tous sur l’identité réel de l’arrivant.

– Un, deux, trois, quatre. Voici donc la troupe qu’on envoie affronter le Roi Démon, moi-même. Mais vous pouvez m’appeler Cendre. C’est un héritage d’un Gardien déchu. C’est aussi comme cela que vous finirez avant que le jour ne se relève.
– Nous sommes venus ici pour te tuer ! S’avança Ataron brandissant son épée dans sa direction.
– Quelle audace… Je suis curieux. Après deux siècles enfermés, qui a bien pu préparer des guerriers tels que vous à désirer me détruire ? Qui aurait survécu à la guerre ? Aucun des miens n’a pu me le dire. Alors qui ?
– Vous n’avez pas besoin de le savoir… S’approcha Aana aux côtés d’Ataron. Trêve de bavardages, devrions nous détruire votre petite armée avant de nous occuper de vous ?

Cendre soupira, et d’un geste de la main fît amenés devant eux un esclave humain encore vivant :

– Le Gardien aurait tout fait pour sauver cette fragile espèce qui nous sert de dîner ce soir. Mais on m’a rapporté que vous n’avez que faire de leur existence. Je m’interroge. Vous semblez humains vous aussi, mais souciez-vous de cette espèce ?

Le monstre qui maintenait l’esclave s’apprêta à écarteler sa victime quand la tête de celle-ci explosa, puis la sienne dans la seconde qui suivie. Caspar s’avança à son tour auprès des deux autres, et fit virevolter sa balle métallique sur toutes les têtes ennemies qui entouraient le roi des monstres.

– C’était donc vrai. Pas de pitié pour qui que ce soit ? La mission avant tout ? Alors soit.

Instantanément, Cendre se trouva face aux trois, et s’étant équipé d’une épée, il lança un coup vers Ataron qui, pris pour cible, regardait calmement les mouvements de son adversaire. Ce dernier fut bloqué par Siola qui para l’attaque avec sa lance, fracassant l’arme ennemi sur la sienne.

Le roi tenta de prendre la parole puis pencha la tête au dernier moment, évitant la boule métallique que Caspar faisait fuser au sein de son armée et jusqu’à tenter à sa vie. La boule trancha la joue de l’ennemi et atterrit dans la main levée de son propriétaire. Tandis que Cendre tenta de se dégager, il remarqua que les lianes de la lance de Siona avaient déjà commencé à s’enrouler autour de son bras et le maintenait prisonnier de ses assaillants. C’est alors que brûlant d’un feu ardent, Ataron décocha un coup d’épée qui fit voler le bras de leur ennemi dans les airs. Le coup fut si rapide et violent, qu’il se transforma en torche et le fit carboniser avant qu’il ne touche le sol.

– Votre bras n’est plus qu’un tas de cendre, Cendre. Se moqua le chef ardent.
– Je vous ai sous-estimé, je vous l’accorde, souria-t-il.

Ce dernier se dégagea et se mit à rire frénétiquement. Il n’y avait pas de sang qui coulait de son épaule, et ses yeux brillant de rouge percevaient chaque once de magie qui parcourait la scène. Il tremblait d’excitation et se crispait de sa retenue.

– Enfin à combat excitant depuis deux siècles ? Peut-être n’êtes vous pas humains en fin de compte ! Des héritiers des Sage ? Du Gardien ? Ô qui que vous soyez vraiment, j’ai hâte de vous exterminer.
– Nous allons…

Mais Caspar n’eut guère le temps de finir sa phrase que l’autre main de l’adversaire avait déjà atteint sa gorge et la serrait férocement. Les trois autres s’étonnèrent de ne pas avoir prédit le mouvement, et se mouvèrent aussitôt pour attaquer. Caspar vola dans les airs, à plusieurs dizaines de mètres vers l’arrière, brisant les arbres et les buissons sur lesquels ils venaient d’être violemment projeter, tandis que les lames d’Ataron se polissaient au fur et à mesure qu’il atteignait le bras restant de Cendre. Quelque chose venait de changer. À force des coups échangés, les habits de leur ennemi se déchirèrent et la fratrie aperçu le noir profond qui recouvrait le corps qu’ils frappaient.
Aana quant à elle martelait le sol en tentant d’atteindre sa cible, et ses chaînes tournoyaient elles aussi dans l’air, réchauffant l’air et balayant tout sur leur passage. Mais ses frappes dévastatrices semblaient trop lentes pour l’atteindre.

C’est alors que le roi s’élança sur elle et la percuta d’un coup de pied en plein ventre, la faisant tomber au sol. Il se pencha vers elle souriant et attrapa la masse qu’il tenta de porter à son tour, mais en vain.

– Qu’est-ce que…
– Laissez tomber, rétorqua Aana qui se relevait avec douleur.

Le poing du démon s’élança vers le visage de la femme qui en fut sauver par Siola à la lance indestructible. Sur celle-ci, ce n’étaient plus des lianes qui s’élancèrent vers le manchot, mais des serpents aux morsures mortels. Et tandis qu’il se recula pour éviter l’animal, les épées de feu d’Ataron transpercèrent le dos de son adversaire qui s’empala sur celles-ci. Sans le laisser souffler, Siola s’élança dans les airs pour prendre de la vitesse et assaini un puissant coup de lame sur la tête du démon qui s’arracha de son corps.
Les monstres qui virent ça depuis le palais se mirent à se bousculer de peur et à tenter de fuir par tous les moyens, tandis que les quatre Creiper se réunissaient autour du cadavre démembré de leur adversaire.

– C’est chose faite.
– Superbe coup de lance, Siola.
– Merci Aana.
– Il était fort, certes, mais pas autant qu’Eila ou de…
– Ne me parle pas de ce bâtard ! S’énerva Ataron.
– Eila ? Qui est Eila ? questionna la tête sur le sol.

Ils se reculèrent tous en observant le crâne se mouvoir.

– Est-ce cette Eila qui vous envoie ? Qui est cette personne ? Ce nom ne me dit rien du tout.
– Comment est-ce possible ? Fit dépiter l’épéiste.
– Ah, c’est vrai que vous êtes fort, pour des guerriers. Mais…

La tête de Cendre recouvra son corps noir, puis quand elle fut en place, son deuxième bras se mit à se reconstituer rapidement sous le regard inquiet de la troupe.

– Votre agilité et vos coups sont plus forts que mes meilleurs guerriers, mais vous n’êtes pas de taille à m’affronter. Je m’attendais à mieux. Ah, Gardien, n’y a-t-il donc personne qui ait suivit tes traces ? S’étonna-t-il avant de s’adresser de nouveau au groupe. Je me suis laissé faire pour en apprendre davantage. Vous n’êtes pas si redoutable que cela, même à quatre contre un.
– Comment est-ce possible, nous l’avons coupé en deux ! S’exclama Siola.
– Régénération accélérée, c’est le terme magique. Je maîtrise bien plus de sorts magiques que vous ne semblez en avoir. J’ai dix sorts magiques en permanence actif, mais je m’étonne ne déceler aucune sorte de magie tout autour de vous. Vos armes quant à elles en sont imprégnées… C’est étrange.

Caspar attrapa les bras d’Ataron et de Siola en les faisant signe de la dangerosité de leur adversaire.

– Serait-ce à moi d’attaquer à présent ? J’ai une promesse à tenir. Je saupoudrerai la viande humaine avec vos cendres, et entamerai l’annihilation de l’humanité après cela.

C’est alors qu’il s’élança si vite vers Aana au marteau, que le sol se brisa sous ses pas. Et tandis qu’il s’apprêta à déferler toute sa puissance sur elle, ses yeux aperçurent une leur magique atypique un peu plus loin. Ses pupilles rouges captaient l’essence magique de tout ce qui l’entourait et de tous les êtres qui en possédait. Au loin, à centaines de mètres de lui, quatre individus étaient emplis d’une magie qu’il connaissait bien : la sienne.
« Serait-ce les quatre derniers ? » s’interrogeait-il en perdant toute envie de se battre, ignorant alors ses adversaires. Il continua d’avancer sans ne plus prêter attention aux Creiper, obnubilé par l’attractivité de cette magie qui lui appartenait.
Les trois autres surpris qu’Aana soit encore en vie décidèrent de fuir la zone avant qu’il ne recouvrât ses esprits.

– Démons ! s’écria le roi en arrivant auprès des siens.
– Le Roi…
– Le Roi D… D… Démon.
– Notre Roi…
– Il est là.
– Quatre et six qui font dix, ricana Cendre en observant la scène.

Du palais au loin, les monstres qui avaient vu leur Roi se reconstituer sous leurs yeux, entendirent à présent les hurlements de souffrance des démons qui l’avaient trahis à son réveil, et observèrent le ciel qui laissait apparaître des éclairs rouges partant de l’horizon et traversant les nuages, éblouissant le ciel d’un rouge démoniaque. C’était l’avènement du retour du Roi Démon. Cendre venait de récupérer tous ses pouvoirs.

Partie 3 – La Rencontre

« Voilà déjà trois semaines que j’ai sauvé cette femme. J’ai appris d’elle tout ce qu’il y avait à savoir sur le monde actuel, sur l’alimentation des esclaves comme de leurs maîtres. D’après cette jeune femme, il existait jadis une alimentation riche et variée pour sustenter l’Humanité comme ces carnivores. Il semblerait que pendant la guerre, les démons aient éliminé toute sorte de ressource pour affaiblir le camp adverse, les hommes suffisant à leur propre alimentation. Aujourd’hui encore, les esclaves travaillent la terre pour leur survie à la satisfaction de ceux qui donnent leur ordre. Ainsi l’humain ne peut périr que par la volonté de son maître, soit pour servir de repas et à de toutes sortes d’activités, soit par l’épuisement. Grâce à l’enseignement de Père, j’ai été capable de subvenir aux besoins alimentaires de cette humaine. Ainsi, peut-être est-il possible que je puisse apporter un équivalent aux monstres ? Malgré qu’il soit difficile d’entretenir une conversation réfléchie avec ces êtres vivants, n’est-il pas de mon devoir de trouver des solutions plutôt que de m’employer à détruire les uns ou les autres, Mère ? »

– Vous êtes à nouveau partis dans vos pensées ? demanda la femme en s’approchant d’Eilon qui songeait assis sur le tronc d’un arbre. J’ai vu comment vous vous êtes adressé à ces monstres hier. Pourquoi avoir tenté de les raisonner ? Pourquoi essayez-vous de les satisfaire ?

Comme elle se mit à sangloter, Eilon leva les yeux vers elle. Ce n’était pas là des pleurs de chagrins, mais de haine profonde envers ses oppresseurs. Même si ce n’était pas la première fois qu’il l’entendait, le penseur laissa l’humaine conter à nouveau l’histoire de son mari :

– Ce n’était pas un mauvais homme. Bien au contraire, il a donné sa vie, à chacun de ses souffles, pour que les autres puissent manger et survivre, même si ça devait le tuer. Il partait au beau milieu de la nuit, après que leurs banquets se soient finis, pour labourer les maigres terres qu’on nous laissait, et récolter suffisamment de vers et de plantes pour nous permettre de vivre une journée de plus. Et quand le jour se levait enfin, ses mains nageaient dans son sang et s’infectaient de plus bel comme les jours précédents, et les jours à venir. Au bout de plusieurs semaines, tandis que son corps n’en pouvait plus, il s’excusa auprès de moi et disparu… Il n’était pas mort, non, ces monstres, ils l’ont pris devant mes yeux, le tirant par les bras, face contre terre, et tandis qu’ils l’amenèrent à une grande table, tous les esclaves durent les suivre. Ils nous attachèrent tous les uns aux autres, enchaînés, et nous obligèrent à regarder. Dès qu’on tentait de fermer les yeux, de regarder ailleurs, d’éviter leur bestialité, nous fûmes punis, lacérés, aveuglés, démembrés. Ce jour-là, mon mari était sur cette table, et la maîtresse reniflait son corps tandis que son mâle écartait les jambes de mon… Il le viola de son corps infecte et j’entends encore ses cris de désespoir. Puis, plus rien. La porcine lui arracha le bras pour qu’il se taise pendant l’acte, puis le mangea jusqu’au doigt tandis que nous déviâmes regarder cela. Heureusement, mon mari était parti, il était mort, enfin, et tout ce qui suivit n’était qu’une torture à un corps sans vie. Comme ils me virent pleurer à n’en pouvoir me retenir, ils décidèrent de découper chacun des membres restants et d’en faire un garde-manger qu’ils porteraient sur eux, dévorant chaque membre devant moi. Comment aurais-je pu continuer à vivre de la sorte ? Comment pouvons-nous appeler cela vivre ? Dès qu’ils nous ont enlevé nos chaînes, j’ai décidé de m’enfuir, et tant pis s’ils me rattrapaient, je ne pouvais plus jamais vivre ainsi. Alors pourquoi ? Pourquoi vous, Creiper, qui m’avez sauvé, pourquoi tentez-vous de leur venir en aide ? Pourquoi crachez-vous sur le sacrifice de mon mari ? Pourquoi ? Pourquoi…

Elle s’effondra sur le sol, glissant ses mains dans la profondeur de la terre, au travers des brindilles d’herbes fraîches, et enfoui son regard dans la terre pour oublier ses tristesses.

« Pardonnez-moi, Mère, je ne peux croire que toutes les bêtes de ce monde soient aussi lâches et répugnantes que celles qui l’ont torturée. Vos enfants, Ataron, Siola, Aana et Caspar vous ont voué une allégeance sans pareille, prêt à tout pour détruire l’oppresseur comme l’opprimé, sans se poser de questions du Bien ou du Mal. Ils ont absorbé vos intentions et votre colère envers les vainqueurs d’une guerre passée. Pourquoi n’ont-ils pas pris le temps de comprendre et ont-ils préféré agir ? Pourquoi la haine devrait-elle justifier toute la misère ? Pourquoi votre colère, Mère, devrait être aussi forte que celle de cette femme ? Qu’ont-ils à dire, les monstres opprimés, déchus, ou les proches de ceux qui ont été tués ? N’ont-ils pas cette même haine envers l’humanité ? N’ont-ils pas cette même colère ? Devrions-nous détruire sans craindre les pertes collatérales ? Devrions-nous les terrasser parce qu’ils ont terrassé également ? J’ai sauvé cette humaine en pensant m’être trompé sur l’espoir que vous me targuiez sans cesse. Mais je me suis souvenu de ce que Père disait. Pourquoi mes beaux-frères et belles-sœurs n’ont-ils pas voulu de son enseignement ? Pourquoi n’ont-ils pas attendu l’avis d’un tiers pour se parfaire du chemin à emprunter ? Si je suis là à quérir des moyens de libérer les hommes des monstres, ou les monstres des hommes, c’est grâce à Père. N’était-il pas persuadé que d’autres voies que la violence puissent exister pour arranger ce monde ? Ne disait-il pas que défaire l’oppresseur actuel ne ferait que donner les armes à l’opprimé ? Cette femme en est l’exemple… Libéré du joug de ses maîtres, elle n’a qu’une seule conviction, celle de survivre pour se venger. Alors où est la vie, Mère ? Où est l’espoir ? De quoi parliez-vous ? Ataron et les autres vous ont compris, ils ont bu vos paroles dans l’intention de tuer. Ce n’était ni par vengeance, ni même par espoir, mais par plaisir. La force qu’ils ont mis entre leur main, la force qu’ils ont utilisé à travers leurs coups de lames, de masses, de lances et de projectiles n’est qu’une pâle copie de la bestialité que les hommes reprochent à leurs bourreaux. Père m’a enseigné les lois de la nature, la quintessence de la magie, et plus important encore, il m’a montré et partagé le savoir. Ce savoir qui m’impose aujourd’hui de ne pas choisir l’une de ces voies, mais plutôt d’envisager celle qui me semblera juste. Et si les hommes peuvent se nourrir autrement, les bêtes ne le peuvent-elles pas aussi ? »

Eilon se leva et tendit l’oreille. De nombreux pas lourds précipités se dirigeaient par là. Il s’avança au-devant, s’interposant entre la femme et les arrivants.

– Arrêtez-vous ici ! S’écria-t-il en observant chaque visage qui apparurent devant lui. Ne faites pas un pas de plus.
– Comment…

Les cinq Creiper étaient dorénavant réunis. La fuite effrénée de la fraternité avait trouvé refuge dans les bois.

– Bâtard, pousse-toi de notre chemin ! S’écria Ataron s’avançant vers lui la main sur la poignée de son épée.
– Eilon ! Tu es en vie ! S’exclama Siola enjouée, rattachant sa lance à son dos.
– Eilon, que fais-tu là. Mère ne te donne plus le sein ? Se moqua Aana la masse à la main.
– Toujours à rêvasser… Ajouta le dernier.
– N’avancez pas. Ordonna Eilon en mettant sa main droite devant eux.
– Que caches-tu là ? repris Ataron fièrement, ne serait-ce pas une humaine ? Alors comme ça on capture et on fait joujou avec elle ?
– Ah ! Laisse-nous aiguiser nos armes sur son frêle corps ! Ricanna Aana qui commençait à faire tourner sa masse sur elle-même.

L’humaine se crispa à ces mots, voyant ceux qu’elle pensait être des sauveurs, vouloir s’en prendre à sa vie. Pourquoi Eilon faisait-il front aux siens ? « Mère, voilà donc ta progéniture ? Voilà ceux que tu as envoyé pour rétablir l’ordre dans ce monde ? Peux-tu être fier d’eux ? Qu’est-ce que… Quelqu’un d’autre approche. »

– Allons, laisse-nous la voir.
– Ça suffit, laisse la tranquille, s’interposa Siola qui fronçait sévèrement les sourcils.
– Par qui avez-vous été suivis ? Questionna Eilon distinctement.

Aussitôt Ataron et Aana se calmèrent et leur visage se décomposèrent. Se pouvait-il qu’il les ait poursuivis jusqu’ici ? Ils ne tardèrent pas à s’en rendre compte quand Cendre apparu devant le groupe, accompagné de deux démons.

– Ah vous voilà. Vous êtes cinq maintenant ? Je ne crois pas avoir déjà entendu parler d’un cinquième guerrier. S’étonna le roi qui vérifiait ses dires auprès de ses acolytes.
– Qui que vous soyez, répondit calmement Eilon le bras tendu, repartez immédiatement.
– Qui que… Ignorez-vous qui je suis ?
– C’est le Roi Démon, Eilon, celui que nous sommes venus tués.

Ce dernier rabaissa sa main et se tourna vers les siens pour comprendre pourquoi ils étaient en train de fuir leur cible. N’avaient-ils pas vécu pour que ce moment arrive ? Et plus il se posait de questions, plus les quatre autres se reculèrent du front, retrouvant pacifiquement la place de l’humaine.

– Les autres savent à qui ils ont à faire. Ils ont eu la chance de survivre un peu plus longtemps que ce qui était prévu, mais je vais corriger cela rapidement. Esquissa le roi d’un sourire narquois.
– Comment avez-vous pu perdre face à cet individu ? N’êtes-vous pas les quatre étoiles de Mère ?
– Fais attention, repris Siola, il a acquis des pouvoirs surhumains. Il n’est pas mort après l’avoir décapité ! Nous devrions fuir tant qu’il est encore temps.
– Faisons cela, laissons ce bâtard là et partons nous abriter. Ajouta l’épéiste.
– Vous n’irez nulle part, affirma Cendre en ordonnant à ses démons d’attaquer le groupe.

Les deux monstres s’élancèrent dans la direction du groupe et déferlant avec leurs nouveaux pouvoirs, sortirent des griffes acérées aux pointes ensorcelées dans la direction du premier, Eilon.

« Protection du Sage, destruction primaire. » Murmura le cinquième.

Une aura magique s’agrandit devant Eilon le protégeant intégralement de l’attaque, réduisant en poussière chacune des griffes qui percutèrent la zone. Au moment de se retirer, les deux démons virent s’abattre sur eux des lances enflammées qui les pourfendirent de part et d’autre, finissant par les enfermer dans un tourbillon de flammes meurtrières.

« Feu divin de l’étoile d’Ataron. » Ajouta-t-il.
– Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Questionna Siola qui observait la scène avec les autres.
– Qu’avez-vous fait ? Interrogea Cendre qui tenta d’observer le pouvoir magique de son adversaire.

Avec sa vision unique, ses yeux rouge brillant, il observa que les quatre ennemis qu’il avait déjà croisés ne possédaient pas davantage de magie qu’auparavant, mais plus étrange encore, il ne semblait se dégager aucune once de magie du principal intervenant, Eilon.
Pour répliquer, le penseur envoya un caillou trouvé par terre dans la direction du roi. Celui-ci brisa le mur du son en un instant et vint se broyer sur une protection magique qui se trouvait toute autour de sa cible.

– Les autres ne vous l’ont-ils pas dit ? Vous n’arriverez jamais à m’atteindre. Je suis constamment entouré de sorts magiques.
– Combien ? Questionna aussitôt Eilon.
– Comment cela ? Savez-vous au moins ce que cela veut dire, vous qui n’en avez pas une once…
– Combien ? Reprit-il sereinement.
– Quelle importance cela a-t-il ? Demanda doucement Caspar en arrière-plan.
– Cela importe peu que je les dénombre, vous n’avez guère de force magique. Il est temps que je brise cette chanceuse attaque et que je défasse votre soupçon de supériorité, s’impatienta Cendre.

Mais au moment de s’élancer, il aperçu la main d’Eilon se lever vers lui pour lui faire signe de s’arrêter. Puis, refermant le poing, il laissa son index ciblé sa direction. Comme Cendre s’étonna de son geste, il se mit à le questionner sur ses intentions. Il targua qu’il n’aurait de pitié pour aucun d’entre eux. Mais ignorant ses dires, Eilon tendit l’autre main et fit le même mouvement de poing, cette fois-ci en montrant le ciel.
Curieux de ce qu’il essayait de faire, Cendre se mit à se regarder mais en vain. Comme Eilon le fixait du regard sans bouger davantage les bras, il se tenta à regarder derrière lui, mais ce n’est que lorsqu’il regarda vers le haut, dans la direction désignée par le Creiper, qu’il comprit ce dont il s’agissait.
D’une voix calme et sûre, l’adversaire désarmé reposa sa question :

– Combien en avez-vous ?
– Ce n’est pas possible… s’étonna Cendre en observant dans toutes les directions sur trois-cent-soixante-degrés l’immensité de l’aura magique adverse dans laquelle il baignait depuis son arrivée.
– Comprenez-vous à présent ? Questionna paisiblement Eilon.
– Impossible !

Le Roi Démon s’élança vers son adversaire, et fut en un éclair à sa hauteur décochant un coup de griffes surpuissant, mais en une fraction de seconde, le poignet droit de sa cible stoppa net son coup. S’ensuivit une ribambelle d’attaques plus impressionnantes et dévastatrices les unes que les autres, mais toutes furent parées par Eilon qui s’enflamma de tout son être, puis s’entoura d’un vent glacial, fit tournoyer la terre tout autour de lui, pendant que du sol poussèrent des plantes agressives, avant de finir par fairejaillir ses pouvoirs magiques les uns après les autres, ses yeux luisant de blanc, de bleu, de jaune et de vert éclatants.
Alors que Cendre s’écarta quelques instants pour observer son adversaire faire une démonstration de ses pouvoirs magiques, il observa les autres derrières autant consternés qu’il était excité de découvrir qui était vraiment l’individu qui se tenait devant eux.

« c’est bien plus de puissance magique que ce que possédait le Gardien sous sa forme originelle… » songea le roi le sourire aux lèvres.
Tandis que le temps semblait s’être arrêté, Eilon cessa toute sorte de magie et soupira avant de demander calmement :

– Serait-il possible de discuter plutôt que de se battre ?

Partie 4 – La Réponse

Le roi démon regardait son adversaire avec méprise et intrigue. Se pouvait-il qu’il fusse considéré si faible pour le Creiper qu’une discussion pouvait paraître plus honnête qu’un combat loyal ? En observant les quatre autres adversaires et la proie humaine à l’arrière, il comprit que son seul obstacle se trouvait devant lui, dénommé Eilon et dont la puissance magique semblait étonnamment plus vaste que celle de son plus grand adversaire du passé, le Gardien. Cendre était convaincu que cette rencontre ne pouvait s’achever sur une issue pacifique. Cela lui était même contre-nature. Le dialogue pouvait bien servir à la reddition et à la soumission de ses adversaires pour amoindrir le nombre de perte, mais jamais pour le confronter à sa propre faiblesse. Il cessa rapidement de songer à une telle idée qui le mettait hors de lui, et tandis qu’il fixait l’attitude patiente de son adversaire, il répondit de sa plus belle démonstration.

Enfonçant ses mains dans le sol, s’agenouillant un instant face à l’ennemi, il ricana haut et fort et fit diversion de la sorte. En un instant, l’allongement de ses mains devenus des armes tranchantes, sortirent du sol et traversèrent la poitrine de la jeune femme située derrière les adversaires. Elle s’affala sur le sol baignant dans son sang tandis que le roi se releva en soupirant.

– Discuter ? Votre puissance égalise peut-être le gardien de cette ère déchue, mais vous n’êtes pas si terrifiant. Vous et vos frères êtes loin de m’égaler. Vous autres, Creiper, n’êtes qu’une gêne temporaire pour mon retour. Et puisque vous m’avez défié, soyez sûr que vos actes ne resteront pas sans conséquence. Comme cette femme, j’éliminerai toute trace des humains sur cette terre.
– Croyez-vous seulement que vous pourrez partir ? S’énerva Eilon devant sa cruauté.
– Essayez donc. Le gardien dû se sacrifier la dernière fois. Faites donc de même, afin qu’aucun humain ne puisse m’échapper. Ou bien… Tentez d’éradiquer les monstres et les démons, et nous verrons lesquels survivront.

Il se retourna en ricanant, en riant aux éclats jusqu’à disparaître dans la forêt. Les frères et sœurs hésitèrent à le poursuivre tandis que le plus puissant d’entre eux serraient ses points jusqu’au sang, se retenant d’attaquer, craignant que sa puissance ne dévaste toute la région.

 

Bientôt la suite…

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