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Flocon

Introduction – Le guerrier et l’épée

Surnommé ainsi par les âmes du passé, Flocon brandit son épée depuis de nombreuses années, se frayant un chemin à travers les terres conquises des monstres et des démons sans n’en connaître ni l’origine ni la raison. Qui est-il ? D’où vient-il ? Que s’est-il passé dans ce monde ? Et tant d’autres questions qui n’ont trouvé de réponse que dans le seul objet qui l’accompagne depuis qu’il a repris conscience : cette épée.

Forgée dans le métal le plus résistant qu’il lui ait été donné de voir, elle pourfend la chaire de ses ennemis sans effort, et semble possédée par un esprit vengeur mais abandonné à son sort lui aussi.

Ensemble, ils avancent dans leur quête d’obtenir des réponses et de découvrir l’origine de ses pouvoirs, de l’esprit de l’épée et de leur destin à tous les deux.

Carte du Monde

Chapitre 1er :  Le réveil de Flocon

 

L’orage grondait et une pluie torrentielle déferlait sur toute la région. Le vent faisait danser la cime des arbres et plier les hautes herbes, s’engouffrant au cœur des vallées jusqu’aux interstices de profondes cavernes rocheuses.
A l’intérieur de l’une d’elle, un homme profondément endormi entendit une voix faire écho :

« Debout, debout ! Où sommes-nous ? Que fait-on encore ici ?»

Il se réveilla, ouvrit les yeux, et des quelques forces qui lui restaient, s’agrippa à la poignée de son épée rangée dans son fourreau pour se redresser.

« Depuis combien de temps suis-je ici ? » se demanda-t-il en rattachant son arme à sa tunique rouge et blanche.

Gonflant ses poumons de cet air frais qui s’engouffrait dans la caverne, il se sentit revivre des profondeurs du néant.
Regagnant l’extérieur, humant l’air de la forêt fraichement rincée, sa peau plissée se tendit, ses muscles effacés se gonflèrent et ses veines laissèrent à nouveau couler un torrent de vie. Il était prêt à reprendre la route.

 

Lame affutée, tunique rincée, regard décidé, capuche dépliée, il s’engouffrait dans la forêt dense, humant chaque parfum, reniflant chaque herbe, caressant toutes les écorces des bois, éveillant ses sens endormis, à l’écoute des bruits de la faune et de la flore, se gorgeant de la chaleur des fins rayons qui pénétraient difficilement les cimes. Cette terre n’était plus aussi verdoyante qu’il pouvait s’en rappeler. Les chênes qui dominaient par le passé ces forêts de feuillues avaient laissé place aux bois blancs.
Il traversa les rivières asséchées, les sentiers abandonnés, marchant toujours dans la même direction ne sachant d’où il était parti. Plus loin encore, où le souffle du vent s’intensifiait et laissait présager l’orée, il contourna une grande marre dont l’argile visible avait marqué de nombreuses traces inconnues. De l’autre côté, il entendit des cris au loin. Les bruits se rapprochaient de sa position ci-bien qu’il engaina la poignée de son épée rangée.
De qui pouvait-il bien s’agir ? se demandait-il face au danger qui s’approchait.
Bientôt une silhouette fit son apparition, puis une autre, puis un groupe d’individus qui arrivaient face à lui. Au-devant, un enfant, une jeune fille, pourchassée sans doute, qui arrivait à sa hauteur, le suppliant de l’aider, de la secourir. Elle se cacha derrière lui, agrippant fermement son habit. L’homme sentait qu’une menace s’approchait d’eux, une menace qu’il ne saurait expliquer mais qui semblait abriter et régner sur ces bois.

Le groupe d’individus arrivait à sa hauteur. Ils n’étaient pas humains. Ils ne craignaient guère de se montrer tels qu’ils étaient, à la gueule écrasée, aux yeux presque noirs, aux épaules robustes et gonflées, vêtues d’armures entremêlées de tissus et de bois. Monstres à la posture humaine, ils portaient l’accoutrement de soldats et tenaient leur hache affutée entre leurs petites griffes au bout de membres irréguliers.
– Écarte-toi inconnu ! dirent-ils d’une voix rauque en s’avançant vers lui.
– Ecarte-toi, cette proie est nôtre. Si tu ne veux pas qu’il t’arrive malheur, écarte-toi, humain.

Mais l’homme serra la fusée de son épée, il ignorait s’il était doré déjà capable de se battre mais il se refusait à fuir. Ils s’arrêtèrent.
– Qui es-tu pour oser nous défier ? demanda le plus en avant du groupe.
– Qui êtes-vous ? rétorqua l’homme. Ou plutôt, qu’êtes-vous donc ?

Les trois monstres et la jeune fille s’étonnèrent de la question. Quelque chose d’étranger à tout ce qu’ils avaient pu rencontrer se dégageait de cet épéiste à l’allure mystérieuse.
– Je vous le dis. Si vous approchez d’un pas de plus, vous ne verrez pas l’aube se coucher. reprit-il avec intimidation.

Il tenait la poignée de son épée dont il s’étonna, sans ne rien montré, de la légèreté d’une lame aussi longue et affûtée à bout de bras.
– Nous sommes trois et tu es seul. Tu seras puni pour ce parjure, comme tous les autres. Personne ne se met en travers de la volonté de Dominus. Nous te dépècerons et livrerons l’esclave au maître !

L’homme sentait sa cape trembler sous les petites mains de l’enfant terrorisé. Il voulut s’abaisser à sa hauteur pour la rassurer mais au même moment, le premier des monstres l’attaqua. Avec agilité et rapidité, la lame sortit de la chape et trancha les deux membres supérieurs qui s’abattaient sur le guerrier. Ce dernier fit de nouveau face à l’adversaire et le fendit aussitôt en deux. Le tranchant de l’épée scinda l’armure et le corps sans aucune résistance. L’épéiste avait à peine réagit que son corps se mouvait de lui-même, comme s’il avait toujours combattu et qu’il maniait l’art de l’épée avec aisance et facilité. Il s’étonna de ce reflex technique et contempla son épée avec joie.

« Les années passent, rien ne change… »

Fit la même voix que celle qu’il entendit dans la caverne.
– Sais-tu combien de temps nous nous sommes arrêtés ? Demanda-t-il à son épée, la tenant fermement.
– Que marmonnes-tu esclave ! Tu vas nous le payer ! s’exclama le deuxième ennemi en s’élançant à son tour.

De grands coups de hache atteignirent l’épée. Les fracas retentirent dans toute la forêt et la force colossale du monstre le mit à genoux. Quand il vit là une ouverture, il déchargea un coup puissant dans la rotule, faisant tomber l’assaillant à sa hauteur. La gueule de la bête frappa le sol au côté de son arme tandis que l’épéiste se releva doucement. Ce dernier sembla être un géant au-dessus de sa victime et son épée plus grande encore qu’un arbre, se déposa doucement à hauteur du cou, puis il décapita la bête sans broncher tandis que le dernier s’enfuyait aussitôt.
A peine eu-t-il le temps de souffler, d’observer et de se demander ce qu’étaient ces monstres, que la jeune fille apeurée et rassurée de voir le corps de ces êtres jonchés le sol, attira l’homme dans la même direction que le fuyard.
– Où m’emmènes-tu ? demanda-t-il.
– Au village ! Vite ! S’écria-t-elle les larmes aux yeux.
– Que se passe-t-il ?
– Vite ! Ils vont tous les tuer ! Ils vont tuer mes parents !
– Que sont ces choses ?
– Vite ! Continua-t-elle dubitative de le voir ignorant le monde dans lequel elle vivait. Leur seigneur, Dominus, il ne pardonne jamais.
– Dominus… Je ne connais personne qui porte un tel nom.

Elle le regarda, admirant son assurance.
Qui pouvait-il bien être pour n’avoir jamais croisé la route de ces êtres ? D’où pouvait-il venir pour ne craindre ainsi la mort ? Elle se retourna en direction de son village et ne cessa de courir.

Ils arrivaient devant les barricades de bois d’un petit bourg, d’où de la fumée s’échappait. Le calme demeurait. La jeune fille ralentissait le pas, peureuse. Elle fit signe de la main qu’ils étaient arrivés.
– Il n’y a personne pour nous accueillir. C’est étrange jeune fille. Tu devrais rester dans les bois et attendre que je t’appelle. Je ne serais pas long. conseilla-t-il en s’approchant du rempart.

Elle acquiesça de la tête et alla se cacher derrière un vieil hêtre. Quant à lui, il passa la main sur le côté pour s’appuyer sur le pan de la palissade et avança vers l’intérieur de la place. Bien qu’un feu de bois s’éteignît doucement à quelques mètres de lui, il ne vit personne.
Il songea à une embuscade comme l’endroit semblait désert, et continua d’avancer en longeant les habitations pour ne pas risquer d’être à découvert. Après quelques instants, voyant l’autre bout de la muraille qui entourait le village de l’autre côté de l’allée, il arriva à une nouvelle maison plus imposante que les autres. En s’y approchant, il entendit des bruits de pas, puis un fracas et des voix. Il pencha la tête vers l’avant pour observer ce que le côté de la bâtisse lui cachait et vit dans une arrière-cour, deux de ces étranges bêtes. Ils tenaient entre leurs mains (ou ce qui aurait pu en être) des cadavres d’hommes. Derrière eux, une horde de monstres armés tenaient la garde. Les corps étaient jetés dans un faussé, et le son sourd que cela produisait lui fit comprendre que le trou était déjà plein. Sans doute les parents de la jeune fille s’y trouvaient déjà ou ne tarderait pas à y être jetés.
Il voulut s’avancer mais quelque chose le retint. Les cris de la jeune fille. Elle était apportée comme un morceau de viande sous le bras d’un des soldats.
– Je l’ai trouvé dans la forêt ! dit ce dernier en la jetant au sol devant les autres.
– Oui chef, c’est bien cette fillette qui nous a échappé plus tôt. Elle était accompagnée d’un humain… répond-il sous la pression du regard méprisant de son supérieur. Ce dernier fit signe à son messager d’aller chercher d’autres troupes.
– Si cette fillette est ici, alors l’humain n’est pas loin. Amenez-la dans mes quartiers. Quand la garde sera là, dites à Narak de me rapporter la tête de l’intrus.

Ils se prosternèrent tous devant les ordres de ce commandant. La fillette n’arrêta pas de crier et de pleurer en voyant le trou dans lequel tous les gens qu’elle connaissait s’empilaient. Malgré ses cris et ses pleurs, elle fut attachée à une chaîne et trainée par l’un des monstres.
L’épéiste sembla pris d’une rage qu’il ne s’expliquait pas lui-même et le fit sortir de sa cachette peu après le départ du chef.
– Comment osez-vous, monstres ! Je vais vous ! Je vais vous… ! s’exclama-t-il perdant ses mots. Il s’élança sur la horde qui déjà se mit en position de combat.

Il fonça tête baissée, et dégaina son épée en direction de ses prochaines victimes.
A peine arriva-t-il à leur hauteur que la garde arriva sur place, commandé par Narak, plus petit et plus fin que tous les autres, à l’allure d’un nain. Il s’écria de sa grave et forte voix avant que le premier coup ne soit donné :
– Que se passe-t-il ici !

L’homme s’arrêta aussitôt, l’épée était suspendue à hauteur de la première tête, contre le cou de la première bête.

« Tu l’as manqué ! Pourquoi faut-il encore que tu t’arrêtes avant de leur ôter la vie ?»

– Je vous ai posé une question ! Vous ! Humain, que faites-vous ! s’exclama le nouveau commandant à l’armure métallique ornée d’oreilles et de dents humaines.

L’homme souffla une grosse bouffée d’air et se décontracta. Son arme glissa le long du garde, coupant légèrement la peau de son adversaire avant d’atteindre le sol de sa pointe et de s’enfoncer dans la terre. Il resta un moment silencieux, observant la traversée de son épée qui lui semblait pourtant légère s’enterrer d’elle-même devant ses yeux.
– Je vous ai posé une question. J’ai entendu dire que vous avez pris la vie de deux de mes soldats. Que voulez-vous ? Qui êtes-vous ? Répondez ! Je veux savoir quel imprudent vous êtes avant de vous offrir au seigneur, avec ou sans votre buste. Continua le chef qui sortit une dague de son armure et la pointa en direction de l’interlocuteur.

Le petit être, n’observant aucune réaction, s’avança vers l’inconnu, escorté, et pointa sa lame vers sa cible. Alors qu’ils se tenaient tous deux à quelques pas l’un de l’autre. L’homme sortit de ses songes et prit la parole sans lâcher du regard son épée :
– Où fut emmenée la jeune fille ?
– Vous ne reverrez jamais cette enfant. Elle rejoindra bientôt les esclaves de notre maître. Ricanna Narak.
– Où l’avez-vous emmené ? Répéta-t-il contenant sa colère.
– Cela importe peu, vous n’êtes pas en mesure de nous défier. Deux soldats c’est une chose, mais toute une légion avec nous, vous mourrez, inconnu. Alors, lâcher votre arme et ne résistez pas.
– J’ai une proposition à faire.
– De quoi parlez-vous ?
– Je dépose les armes, si vous laissez la vie sauve à la jeune fille.

Le nain se mit à rire aux éclats. Il descendit son arme vers le sol avant de reprendre d’un air mesquin et d’un sourire provocateur :
– Cette jeune fille… Comme beaucoup d’autres de ces terres sont données à notre seigneur. Elles appartiennent à Dominus, le maître. Il les transforme en de somptueuses esclaves qu’il se régale de dévorer membre après membre quand l’une d’elle le déçoit. Et nous, sa garde, nous avons le privilège d’assister à ce festin. Votre vie n’est rien pour notre mentor. Vous ne valez pas mieux que ceux que l’on jette dans ce trou. Les humains ne valent rien s’ils ne peuvent le satisfaire. Nous prendrons votre vie. La seule chose que vous pourrez négocier est l’heure de votre mort.

Il se retourna et s’éloigna de l’humain en faisant signe aux autres de l’attaquer.
L’épéiste empoigna son épée.

« Quelle imprudence… Réagis ! Ce poison t’a vraiment ramolis. » Ajouta la voix qui sonnait dans sa tête.

– Tais-toi ! s’écria-t-il désabusé, devant les gardes étonnés.

« Comment ? Ce n’est pas moi qui ait fait confiance aveuglément ! » Répondit la voix qui s’estompait d’un ton gêné.

L’homme n’arrivait pas à se concentrer, déconcerté par les plaintes de son épée et l’armée qui s’avançait vers lui. Quand il entendit le grincement du métal brandit entre ses griffes, il sortit aussitôt de ses songes et se concentra sur l’instant.
Il se dévêtit de sa longue tunique blanche et de la soierie qu’il portait au-dessous, déposa le tout sur le pommeau de son épée rangée puis serra fermement ses mains dont il sentit la force lui parvenir de tout son être.
Les monstres l’observaient faire avec amusement sans oser l’attaquer. Sa carrure, bien qu’humaine, laissait paraître les blessures du temps, les années passées à combattre mais ce n’était que lorsqu’il leur fit front qu’ils observèrent stupéfaits ses pupilles luisant de gris et de bleu.
Narak, qui n’entendait ni cris ni chocs, se retourna :
– Qu’attendez-vous pour…

L’homme se trouvait déjà à sa hauteur, à deux coudées de haut. Une pression indescriptible empêcha quiconque de riposter. Mais le commandant tenait encore sa dague et s’apprêta à planter l’humain quand, d’un geste ample, l’homme pulvérisa le garde qui se trouvait dans le dos du chef. La frappe fut si puissante que le visage du leader n’était pas seulement recouvert de sang.
– Narak… C’est bien votre nom… Croyez-vous que si j’apporte votre tête aux portes de votre campement, celui-ci s’ouvrira ? demanda l’étranger en prenant délicatement la dague de l’ennemi qui tremblait et suait de frayeur.
– Qui…êtes…

« Enfin ? Une pareille force, j’avais peur que tu l’aies perdue aussi… »

– Voilà la proposition, monstre, vous n’avez pas tenu compte de mes attentes, alors je vous donne ce dernier choix. Soit vous me livrez à ce Dominus sans histoire. Soit vous mourrez tous ici.

Il posa le poignard sur le crâne de Narak et en un instant la pression tomba, les pupilles du guerrier revinrent à leur gris ordinaire et il se retourna chercher ses affaires, serrant fermement la poignée de l’épée en faisant fi de la voix. Tous retrouvèrent leur souffle. Les gardes se retournèrent vers l’interlocuteur et leur chef, attendant de connaître l’ordre.
– Nous… l’emmènerons là-bas… ordonna timidement la bête.

Chapitre 2 :  Ixion le Bras-Droit

 

Le guerrier ayant revêtu sa tunique et rattaché son arme, s’avançait à l’avant du convoi armé. Au milieu de la marche, escorté de deux douzaines de soldats, il songea à ce qu’il venait d’accomplir. Cette force, ce pouvoir de persuasion dont il avait usé, il n’était pas certain de le comprendre.

Narak quant à lui, juste derrière l’homme, ne cessa de se demander ce qu’il arriverait une fois que l’humain serait arrivé au château. La force de cet inconnu ne semblait pourtant pas valoir la profonde peur qu’il avait envers son seigneur. Sa vie serait-elle en danger, perdrait-il sa place de commandant ?

  • Vous savez, dit l’entouré en penchant la tête vers le côté pour se faire entendre, s’il est arrivé malheur à cette jeune fille, je vous prendrais tous pour responsable.

Son assurance étonna la troupe dont les membres resserraient leur arme. Mais derrière ce masque de confiance en soi, il ne s’expliquait pas ce qu’il vivait depuis son réveil.

  • Dominus est le seigneur de tous les royaumes. Les humains sont tels des brebis qu’il a apprivoisée pour nous divertir. Depuis notre arrivé en ces terres incertaines il y a un an, nous n’avons rencontré aucune résistance que notre seigneur ne soit capable de rompre. Il saura vous briser là où j’ai échoué. Vous autres humains êtes si fragiles. Lâcha Narak
  • Qui est ce Dominus ? A quoi ressemble-t-il ? A sa mort, je trouverais bien les réponses à mes questions.
  • La mort de Dominus ! Interpela Narak, vous mourrez avant d’avoir pu y songer à nouveau, humain. Sa puissance est au-delà de tout. Si c’est cela votre plan, je suis rassuré de vous y conduire.

 

Bientôt ils arrivèrent devant un ravin surmonté d’un pont de pierres taillées avec soin et dont la couleur cuivrée donna de l’éclat à toute la structure qui s’érigeait devant eux. En contre-bas l’eau ruisselait jusqu’à la muraille, et celle-ci plus haute que la cime des arbres de la forêt, rapetissait de plusieurs pouces les gardes qui, là-haut, les surplombaient. Un pont levis terminait l’accès jusqu’au fort et des mâchicoulis à l’apparence d’aigle se penchaient nettement au-dessus de la herse entre les tours à bec. Les meurtrières quant à elles se répétaient sur les flancs et tout autour de l’enceinte.

Narak s’avança au-devant et fit briller une amulette qu’il gardait autour du cou sous son armure. Réfléchissant la lumière du soleil, il fit ricocher un faisceau en direction d’un individu précis qui portait une tenue rouge pour être différencier de tous les autres malgré la hauteur. Ce dernier, commandité pour ouvrir la herse, s’exécuta. L’immense grille métallique se souleva doucement dans un brouhaha de frottements rouillés. De l’autre côté les sentinelles s’approchaient du convoi.

  • Narak ! S’exclama un guetteur, vous n’étiez pas attendu avant demain.

 

Il s’avança et aperçut l’homme armé derrière lui :

  • Que fait cet humain ici ? Garde !

Voyant le cortège se repositionner pour l’entourer, l’épéiste constata que le pacte qu’il avait passé avec le commandant était sur le point de s’achever. Mais contre toute attente, le chef prit la parole et expliqua qu’il avait pour devoir de l’apporter devant le seigneur. Peut-être avait-il pré-senti que de rompre leurs conditions n’engrangerait qu’une tuerie.

Il fit signe aux soldats de baisser les armes et s’occupa lui-même d’accompagner l’intrus jusqu’au souverain.

  • Vous avez bien fait de respecter notre accord, Narak. Intimida-t-il malgré le nombre impressionnant de monstres et l’organisation dont ils faisaient preuves.
  • Je ne l’ai pas fait pour vous, humain. Je sais que Dominus vous réduira au silence de lui-même.
  • Comment avez-vous pu assiéger un pareil endroit ?
  • Assiéger ? Lorsque nous sommes arrivés, le seigneur de ces terres était bien crédule de croire que notre différence s’arrêtait à notre apparence. Pour lui rappeler que sa condition humaine est une plaie, nous le gardons en vie, enfermé depuis notre arrivée.

A l’intérieur de l’enceinte, ils traversèrent les camps sur du pavé maladroitement posés à plat, passèrent devant des fermes construites de graie et de silex où étaient enfermés le bétail et dont l’odeur justifiait une boucherie déguisée. Ils contournèrent les grilles suspendues au-dessus des cachots souterrains et se présentèrent au bas d’un escalier dont l’apparence témoignait d’un désintérêt total pour le convenable.

  • Toutes ces constructions faites par des hommes. Malgré leur faiblesse, j’admets qu’ils sont utiles et obéissants. Ajouta mesquinement le commandant.

Ils entamèrent tous les deux la montée des marches qui s’érigeaient jusqu’au pied du fort. Là-haut, l’homme apercevait déjà qu’une garde plus robuste, armées de faux et de plastron de fer, surveillait quiconque pénétrait dans l’arrière-cour, certainement proche du trône.

  • D’où venez-vous ? demanda-t-il à son guide tandis qu’ils arrivèrent bientôt à la fin de l’escalier.

Le commandant, qui de sa petite taille avait du mal à monter toutes les marches à la même vitesse que son prisonnier, s’arrêta sur l’une d’elle et répondit :

  • La garde vous amènera jusqu’au roi. J’attendrais de voir votre tête sur l’un des piquets du parvis dans les minutes qui suivront.
  • Ne vous fatiguez pas, je vais finir de monter ces marches. Vous pourrez m’attendre en bas avec la tête de votre chef sur ces fameux piquets.  Reprit-il calmement.

Narak lui fit remarquer qu’il devait laisser son arme avant de continuer à avancer.

Décidé à atteindre son but, l’homme lui laissa sa ceinture sur laquelle son fourreau était encore accrochée, puis de sa voix ténor légère, il ajouta devoir en prendre soin s’il ne voulait pas des représailles de sa part.

Face à la garde du seigneur, Narak expliqua tout au sujet du prisonnier. Ce dernier fut conduit à travers une nouvelle muraille, plus basse mais plus fortifiée, au-delà de laquelle se trouvait une grande cour circulaire où de grands pieux étaient plantés tout autour avec les cadavres de nombreux hommes et femmes, gisant sous le regard amusé des soldats et meurtris des esclaves. Sur certains d’entre eux, des corneilles picoraient la chaire purifiée.

A gauche de la place, des cellules enfoncées à mi-hauteur dans le sol et dont on voyait les barreaux à hauteur de bottes. A droite, une forge ouverte dont les armes et les armures forgées étaient disposées sur des étendoirs de bois. Là, les hommes martelaient le fer et rinçait les lames brûlantes. L’ambiance se faisait dans un silence morbide. Les créatures de l’endroit regardaient avec curiosité l’avancée de l’escorte qui se dirigeait au centre, vers la grande porte boisée derrière laquelle se trouvaient les quartiers du seigneur Dominus.

 

Quand ils entrèrent, un grand bruit de grincement alerta les occupants. A l’intérieur l’homme reconnu l’autre chef qui avait pris avec lui la jeune fille plus tôt. Il était là, prosterné devant le seigneur qui leur tournait le dos. Ils se parlaient mais la distance rendait inaudible leur conversation.

De loin, tous deux avaient une apparence plus qu’humaine ; le premier était balafré de la tête au pied de cicatrices en tout genre, et à peine vêtu si ce n’était d’une peau humaine à la taille, toutes les marques restaient parfaitement visibles. L’autre, debout, respecté de tous, portait une tenue ample qui recouvrait ses épaules et ses bras. Sa tenue faisait penser à celle d’un paysan à laquelle l’or aurait été forgé pour embellir sa tunique. D’une chevelure mêlant le châtain au gris, il apparaissait être humain de dos, mais à la place de mains, c’étaient bien des griffes aux reflets métalliques qui trahissaient sa vraie nature.

  • Sire ! interrompit un garde, voici un homme livré par le commandant Narak.

Le monstre à genou se retourna en même temps que le souverain. Ils regardèrent tous deux l’individu se dresser devant eux.

  • Ce doit-être l’homme de la forêt qui apporta son aide à la jeune fille, majesté. Reprit l’individu à hauteur de son souverain.
  • Avancez, humain. Ordonna Dominus d’une voix grave en se retournant.

L’intéressé s’exécuta. Il ne regarda pas tout de suite le visage de son interlocuteur, mais davantage la formidable construction de la voute de la salle. Le vitrail orné de décorations sombres, les colonnes majestueuses se dressant sur toute la hauteur, et le lustre forgé sur lequel évoluaient quelques flammes encore chaudes des bougies fondantes. La cire liquide tâchait petit à petit le tapis mauve sur lequel il marchait.

Il tourna la tête en direction du chef et de son acolyte :

  • Je suis ici pour la jeune fille. Veuillez la libérer. dit-il distinctement en prenant le temps de peser chaque mot.

 

La bête qui s’apparentait à un bras droit se redressa à son tour et s’interposa entre son roi et l’étranger :

  • Ah ! Vous n’êtes ni le bienvenue ni en position de demander quoique ce soit en cette demeure, esclave. Quelle folie vous a mené jusqu’ici ?

 

Le seigneur, qui semblait avoir adopté jusqu’au comportement humain, s’avança d’un pas en faisant un geste à ses gardes d’aller chercher ses proies, puis reprit face à l’arrivant :

  • Vous dîtes, jeune humain, que vous êtes ici pour une fille ? De laquelle s’agit-il ? Demanda-t-il en montrant du doigt l’ensemble des demoiselles amenées devant eux.

 

L’homme s’avança vers la jeune fille qu’il avait rencontrée plus tôt. Aussitôt les gardes se mirent en position, des dagues sur la nuque de chacune d’elles.

  • Vous voyez, dit fièrement le puissant, vous avez beau être face à elle, vous ne pouvez rien faire. Si vous tentez quoique ce soit, nous leur trancherons la gorge à toutes. Si vous résistez, nous les tuerons. Alors oublions votre idiote audace et je vous accorderai une mort digne de votre espèce. Vous serez pendu dans quatre jours après que notre cher Ixion nous ait régalés de votre médiocrité.

 

L’homme retint sa colère et sentit que toute la puissance qui avait pu émaner de lui plus tôt n’était plus accessible devant ce Dominus. Cela l’intrigua autant qu’il s’en terrifia. Mais pour rien il ne voulait risquer la vie de ces filles et décida d’abandonner le combat et de se rendre sans résistance.

Aussitôt enchaîné et amené dans les cachots, l’odeur de la putréfaction des corps d’un charnier non loin empestait dans tous les couloirs.

Sa cellule donnait à mi-hauteur sur la place d’où il pouvait observer le déplacement des corps et s’horrifier des étendards humains. A l’intérieur, un homme plongé dans l’obscurité gisait presque mort. Enchaîné lui aussi, il fit un effort pour se redresser. Sa voix était faible, son corps semblable à celui d’un squelette, il survivait avec les peu de vivres qu’on lui apportait chaque jour :

  • Un autre…

Il se déplaça dans la cellule, menotté, s’approcha de l’ouverture barricadée, puis des murs, puis de la porte.

  • Impossible de sortir de là. Pensa-t-il.
  • Cela fait un an que je suis enfermé ici…

L’étranger se retourna cette fois-ci face à l’obscurité dont il n’en voyait dépassé que les deux maigres jambes.

  • Cela fait longtemps que je n’avais plus vu d’autre… S’arrêta l’inconnu.

S’avançant jusque dans l’ombre et s’habituant au manque de luminosité, l’arrivant ajouta :

  • Vous semblez bien faible, vieil homme.
  • Qui êtes-vous ?
  • Je viens d’être fait prisonnier.
  • Un condamné… pas un prisonnier.
  • Plus pour longtemps. La chance tourne. Je reprendrais le fort et libèrerais les filles. Je vous sauverai aussi, vieil homme.
  • ..
  • Ayez confiance. Je ne serais pas enfermé ici longtemps.
  • Impossible que vous en sortiez vivant, les condamnés sont des garde-manger, si ce n’est pour assouvir leur perversion.
  • Que dîtes-vous ?
  • Cela fait trop longtemps que je suis ici. J’en oublie la raison. Mais personne ne viendra sauver quiconque. Vous serez torturé, c’est certain.
  • Je ne les crains pas. Je me suis fait une promesse. Je ne mourrai pas avant de la remplir.
  • La mort semblera plus douce, si vous l’acceptez…
  • Cesser de dire cela, vous verrez.
  • Quand devez-vous mourir ?
  • Comment ?

Le condamné s’accouda contre le mur, là où était l’individu :

  • Vous m’embarrassez vieil homme, reprit-il, quel est votre nom ?
  • Eionée, je crois.
  • Pourquoi êtes-vous maintenu en vie quand tous les autres sont tués ?
  • Je ne sais pas. Tous les jours, à l’aube, l’un de ces monstres m’apporte un bol de soupe et un morceau de viande. Jamais je ne touche à la viande, je suis persuadé qu’il s’agit là de chair humaine. Je survis pour je ne sais quel projet.
  • N’avez-vous jamais vu aucun prisonnier en ces lieux ?
  • Ils pillent les villages, asservissent les humains, tuent les résistants. Personne n’est jamais emprisonné. Jamais pour longtemps. Ce cachot est resté vide de ma seule présence depuis de nombreuses lunes. Je me souviens à peine du temps où je vivais en dehors de ces quatre murs. Puis il y a eu cet étrange oiseau coloré la nuit dernière… et vous voilà dans ma cellule. Je me demande de quoi cela peut être annonciateur.
  • Un oiseau vous-dîtes ?

Un bruit vint du couloir. La porte s’ouvrit. Le bras droit du seigneur, le commandant en chef qu’il avait vu plus tôt, se tenait devant les prisonniers :

  • Ces trois prochains jours, humain, vous serez mon cobaye et vous serez torturé selon la volonté de notre seigneur Dominus, sur la place. Ces trois jours, vous verrez la potence se rapprocher de vous. Le premier jour, vous résisterez à tomber, ils le croient tous. Mais je m’occuperais de vous comme il se doit. Le second jour, vous souffrirez des douleurs endurées. Vous craquerez. Le troisième jour, vous implorerez d’être pendu sur le champ, et votre sang inondera les pieds des filles que vous étiez venus sauver. Le quatrième jour, vous serez amené sur la potence, et la fille que vous avez désignée sera votre bourreau. Vous serez pendu par ses propres mains.

Souriant, il referma la porte à clef et partit :

  • Vous serez donc torturé pendant trois jours et pendu le quatrième. Reprit Eioné.
  • Qui était-il ?
  • Mais vous le supplierez d’être tué dès le premier.
  • Je ne crains pas la douleur, vieil homme, qui était-il ?
  • Ixion
  • est la plus redoutable monstruosité qui m’a été donné de connaître. Les soldats le craignent. Je les entends parler des activités qui occupent son temps. Leur seigneur, ce démon Dominus, il doit être pire encore.
  • Le démon ?
  • A l’instar des autres, cet être est plus fort, plus puissant et à l’allure étrangement humaine, m’a-t-il semblé observer. Expliqua le vieil homme.
  • D’où viennent-ils ? Ai-je dormi d’un sommeil interminable ?
  • Qui êtes-vous ? Comment pouvez-vous ignorer leur présence ?
  • Qui suis-je ? Je n’arrive pas à me le rappeler.

Eioné, tremblant de faiblesse, tendit ses bras pour sentir le candide, rassuré de ne pas être devenu totalement fou. Il reprit :

  • Cinq années. Cela fait cinq années que des monstres sont apparus de nulle part, attaquant les villages, tuant toutes les vies innocentes de ces contrées. Beaucoup d’entre nous sont partis au Sud ou au Nord pour trouver des royaumes armés, mais ici, j’ai été naïf. Nous ignorions à quoi ressemblaient ces monstres et crédules, j’ai ouvert les portes aux ténèbres. Vous ignorez qui vous êtes et pensez être capable de sauver quelqu’un ? Tentez d’abord de vous sauver.

 

Chapitre 3 :  La Brise

 

L’aurore frappa à travers la brume matinale, traversant les houppiers jusqu’à la pointe du fort, réchauffant les pierres des murailles, atteignant le sol boueux de la place, accédant aux grilles à hauteur de terre qui donnaient sur les cellules où les fronts des détenus s’éclairèrent de cette nouvelle lueur.

La porte de la cellule s’ouvrit avec fracas. Le prisonnier, prêt, fut amené, menotté, sur la place du fort par deux soldats qui l’attachèrent à deux poteaux éloignés. Sa cape et sa soierie lui firent enlevées. A peine éveillé, il sentit les maillons de ses chaînes le tirer de part et d’autre de son corps, l’empêchant de plier les bras. Ses genoux au sol, il leva son regard devant lui. Une foule de soldats monstrueux étaient déjà là, le dévisageant avec plaisir.

Le maître de torture s’avança jusqu’à sa hauteur :

  • Aujourd’hui, fiers soldats, vous allez assister à l’un de mes nombreux pêchés. Le plaisir de donner le fouet ! S’écria Ixion brandissant son outil et le faisant claquer en l’air comme au sol.

 

Il s’éloigna de quelques mètres à l’arrière de l’homme et le fit claquer de nouveau pour défaire la psychologie de sa victime. Le son résonna dans toute l’enceinte. Le détenu se maintint debout et scruta chaque visage de la foule devant lui cherchant un visage familier. Le premier coup de fouet le percuta. Il ne réagit point. Le contact lui brûlait la peau mais seul une marque rouge apparue sur son dos. Un deuxième coup vint le fouetter proche du précédent, sous l’omoplate gauche. Encore une fois, il ne laissait rien paraître, le fouet n’entacha pas son dos de sang. La peau s’était épaissie avec les âges et les combats. Les coups suivirent, méthodiquement, au même intervalle et dans toutes les zones de son dos, mais l’homme ne fléchissait pas. Il avait chaud et la sueur se mêlait à l’humidité de la brume matinale. La vingtaine venue, la chaleur provoquée par les chocs le brûlait sur toute la surface de l’échine mais aucune once de sang ne coulait de son dos.

Les monstres autour de lui s’impatientaient de le voir faiblir et commençaient à s’interroger sur la méthode. Ixion s’en étonna à son tour et choisi de changer d’objet. Il s’arrêta de fouetter, se retourna et alla à l’armurerie.

  • Vous êtes résistant, humain ! S’exclama-t-il avec un nouveau fouet à la main. Je pensais utiliser cette optimisation demain, mais vous semblez en avoir besoin dès aujourd’hui !

Il déroula son arme qui, touchant le sol sonna d’un ton métallique. Le fouet laissait apparaître une lame dentelée permettant de couper la peau, voire de la déchiqueter si le coup venait à s’enfoncer trop loin dans la chair.

  • Reprenons ! Je m’approchais de la dizaine intéressante ! Reprit le tortionnaire.

Au même moment, Narak fit son apparition dans la foule. Le condamné croisa immédiatement son regard et ne le lâcha plus. Il lui souriait même, comme pour le rassurer de sa mise en garde, qu’il viendrait chercher son arme coûte que coûte. Mais quand le premier claquement de cette nouvelle série retentit, la lame coupa le haut de l’épaule. Le sang se mit à couler devant les gueules excités des spectateurs. Une lame ? Se demanda l’homme écorché.

Un deuxième coup puis un troisième, reprenant un intervalle régulier. Le sang commençait à jaillir sur le sol. Les muscles se déchiraient un par un sous la découpe et se contractaient de douleur. Les dents de l’arme le tranchaient de l’intérieur ci-bien qu’il tomba à mi-hauteur, retenu par les chaînes. Il contracta une dernière fois ses muscles et se retint de hurler.

Narak l’observa amuser. Lui qui fut traité comme un moins que rien, il prenait sa revanche et senti qu’il ne risquait désormais plus rien. Dominus était de toute puissance et Ixion, son servant bras-droit allait tuer cet homme. Bientôt il serait débarrassé de cette mauvaise passe. Autour de lui, les soldats riaient aux éclats et applaudissaient chaque nouveau coup du pourfendeur. L’envers du prisonnier était recouvert de son sang qui continuait de couler, inondant le sol boueux où les mouches assoiffées vinrent rapidement investir les lieux. Un dernier coup le fit plier pour de bon, s’évanouissant sous la douleur et la faiblesse, laissant les jambes branlantes au cœur de sa propre marre de sang.

  • Vous voyez, chers soldats, aucun homme ne résiste à notre seigneur. Demain, je vous montrerais un autre de mes pêchés. Ramenez-le à sa cellule ! Ordonna Ixion.

Le Flocon fut détaché des piquets. On lui déversa une bassine de liquide verdâtre sur le corps et fut ramené au cachot. Eionée se pencha aussitôt au-dessus de lui et s’en occupa jusqu’au réveil.

Allongé au sol, sur le buste, il se réveilla doucement, sentant son corps affaibli et une souffrance profonde le tourmenté.

  • Que m’est-il arrivé ? Demanda-t-il faiblement.
  • Ne parlez pas. Vous êtes mal en point.
  • Comment suis-je arrivé ici ?
  • Je n’ai pas osé regarder mais les coups de fouet ont dû être profonds. Votre dos est dans un piteux état.
  • Je ne ressens qu’une douleur globale. Je dois trouver un moyen de combattre.
  • Cessez de bouger ! Ils vous ont induits d’une étrange substance verte. Cela doit vous aider à cicatriser il me semble. Vous ne devez pas mourir avant le quatrième jour, rappelez-vous.
  • Ver-dâtre ? qu’est-ce que…
  • Peu importe ! Si vous voulez reprendre des forces, ne bougez pas.
  • Combien de temps ai-je été assoupi ?
  • Toute la journée. Déjà le soleil se couche. Je crains fort qu’avec de telles blessures vous mourriez d’une fièvre dans la nuit si vous ne restez pas calme !

Il tenta de se relever mais tomba aussitôt. Il s’évanouit à nouveau. Il passa une nuit tant agitée qu’à peine l’aurore illuminait le ciel qu’il s’exclama en sursaut :

  • Qui êtes-vous !
  • Ce n’est que moi, Eionée. Je crains le pire pour votre vie. L’aurore s’apprête à vous donner en pâture à Ixion. Ne résistez pas ! La mort sera plus douce ! Répondit le vieil homme découragé.

Debout, son dos ne lui faisait plus mal mais sa force s’en était allée. Il s’appuya contre le mur pour se tenir debout, posa doucement son index droit sur ses cotes gauches et sentit la substance gluante le recouvrir.  L’homme s’avança vers la porte d’où il entendit du bruit venir. « Ils arrivent. » Pensa-t-il.

La clef entra dans la serrure, tourna un tour, et la porte s’ouvrit violemment.

  • Voilà le héros du jour ! S’exclama Ixion en faisant signe à ses gardes d’emporter la victime.
  • Laissez-vous aller, étranger ! S’écria Eionée désabusé.
  • Pousse-toi de notre chemin, esclave ! Dit Ixion en repoussant violemment le faible homme contre le mur de la cellule.

Le détenu trainait des pieds, regardait dans toutes les directions, observant le chemin emprunté jusqu’à la place où il retrouva la foule de la veille. Cette fois-ci, le seigneur s’était mêlé aux spectateurs, surplombant la scène, accoudé à une barricade de l’autre côté de l’arrière-cour. Il se délectait de ce qu’il voyait déjà, car l’homme semblait à moitié mort bien qu’à peine sortit du cachot.

Sur la place, une grande table de chêne sur laquelle on apercevait des cordes et des instruments comme des pieux de constructions, des fers à cheval, des chaines et des marteaux de forges, des faux et des serpes étaient déposés. Le cobaye fut installé, allongé, les bras le long du corps, les mains et les pieds attachés au bois, le buste tourné vers le ciel, la tête tombant en arrière dans un trou qui servait jadis à récupérer les têtes des animaux lors de leur découpage.

Ixion regarda en direction de Dominus en attendant son aval pour commencer.

  • Votre majesté, braves soldats, je vous présente aujourd’hui le plus bel ouvrage, la torture par arme contondante ! S’exclama-t-il en s’avançant devant la victime, munit d’une serpe qu’il affutait sous ses yeux avant de la déplacer sur l’humain.

Ce dernier sentit la lame froide parcourir son corps en longueur. Ixion s’approcha de son ventre où les blessures du passé avaient laissé des traces. La pointe de la serpe s’enfonça doucement au creux de l’abdomen. La douleur fut intense et il hurla, se crispant de toutes ses forces. Il sentit la rage l’envahir, puis la terreur, puis observa distinctement le visage de son agresseur qui continuait d’enfoncer la lame arrondie à l’intérieur de lui. Il hurla encore, sans relâche, et ferma les points jusqu’au sang. Alors que l’outil fut violemment sorti de lui, entre le conscient et l’inconscient, il se souvint de quelque chose. Un mot lui apparut au pied d’un géant de pierre dont il semblait certain de connaître. Pendant un court instant il rêva puis lâcha magie à haute voix, reprenant ses esprits.

Quand il ouvrit les yeux, son visage crachait du sang, il apercevait son bourreau qui s’écriait devant la foule, mais il ne l’entendit plus. Il se sentait partis, mais la douleur revint le tourmenter lorsqu’une dague s’enfonça dans son mollet.

  • Cessez ! S’écria-t-il. Cessez ! Cessez ! Cessez ! Cessez !

Et plus il s’écriait, plus Ixion, souriant, prenait plaisir à enfoncer la lame. La douleur atteignit le système nerveux, il suffoqua, choqué, le sang coulait de ses plaies, coulait le long des irrégularités de la table, gouttant jusqu’à la flaque en contrebas qui avait à peine séchée la veille.

Dominus fit signe à son vassal d’arrêter la torture. Il n’y avait rien de bon à déchiqueter un homme vivant s’il ne montrait pas qu’il souffrait. Aussitôt ramené dans sa cellule, il fut enduit du plâtre inconnu qui cautérisa doucement ses plaies profondes.

A son réveil, Eionée se tenait toujours à ses côtés, comme la veille. Il lui expliqua de sa faible voix que demain serait sa dernière journée. Qu’au vue de son état, le seigneur avait décidé de le pendre un jour plus tôt, avait-il entendu par les gardes. Affaiblie il murmura à son compagnon de cellule s’il connaissait quelque chose à propos du mot magie.

  • Magie ? J’ai déjà entendu parler de cela, jadis.
  • Racontez-moi…
  • Je ne me souviens que de quelques bribes. Je crois que cela remonte à avant… Ma vie d’avant, je ne sais plus trop.
  • ..
  • Je n’ai que de vagues souvenirs. C’était un voyageur, il disait venir de loin. De très loin. Il parlait de parjure je crois, et d’un endroit pour se cacher, une cité sous les sables.
  • ..
  • Si vous vous obstinez, vous mourrez d’épuisement dans la nuit.
  • Continuez, s’il vous plaît. Demanda l’homme à peine éveillé.
  • Il me semble que cette cité avait quelque chose avoir avec la magie, une force naturelle, je ne sais plus.
  • Une cité de magie…
  • Vous divaguez. Je dois me tromper. Le temps efface tout.
  • Eionée…
  • Il parlait d’un monde aux apparences trompeuses, me semble-t-il. Quelque chose comme : un homme n’est pas un homme ou bien un homme n’est plus un homme. Je crois que cet homme avait fini par trouver ce qu’il cherchait en fin de compte.

Eionée observa le temps passer à la nuit claire. Les étoiles bougèrent de place toutes les heures, bientôt la lumière du jour marquerait la dernière journée de son seul compagnon de cellule. Les pas des monstres commencèrent à affluer de part et d’autre. La potence n’attendait plus que l’homme.

Peu avant qu’on ne vienne le chercher, ce dernier se réveilla et se tint debout difficilement, affaibli mais incapable de s’admettre brisé. Ixion lui fit face lorsqu’il ouvrit la porte.

  • Je marcherais seul, cette fois-ci. Affirma le condamné devant son tortionnaire.
  • Vous avez du courage, je vous l’accorde, et de la volonté. Je n’aurais jamais pris autant plaisir à vous voir souffrir, humain. Vous auriez fait un très bon sujet d’expérience. Je m’entraînerais peut-être sur la jeune fille après votre décès.

Il avança seul en dehors de la cellule, sans se retourner. Il marcha derrière les gardes, tandis que son agresseur fut le dernier. Il songea à ce qui l’attendait, mais la nuit avait été de bons conseils. La cicatrisation de son mollet, de son abdomen et de son dos atténuait sa douleur.

  • Je vous certifie, Ixion, s’exprima l’autre avant de franchir la porte des cachots, j’aurais votre peau !
  • Notre seigneur, le démon Dominus est plus puissant que tout être vivant de ce royaume. Alors attendez-moi autant que vous voudrez. Nous vous enverrons les dépouilles de toutes les personnes que je croiserais. Répondit-il avec ce même sourire sadique que lorsqu’il le tailladait.

 

Ils arrivèrent sur la place où se tenait la potence. Elle avait été montée par les esclaves qui, par soucis de maintenance, devaient se trouver sous les poutres principales afin que rien n’entrave le déroulement de cette condamnation. En haut, près du levier, la jeune fille qu’il était venu sauver le regardait triste et terrifiée. La foule de soldats en cercle n’attendait plus que le bruit du craquement de sa nuque lors de sa chute par la trappe. Leur excitation était palpable dans cette morbide atmosphère. Narak, souriant et soulagé, était lui aussi présent, positionné face à la potence, dernier visage que l’humain verrait. Il avait planté devant lui son épée et le fourreau dans la terre. Dominus, sur le rempart du fort, surplombait toujours la place et pouvait regarder mourir l’étranger comme il l’entendait.

 

Ses pas étaient lourds de douleurs et de culpabilité. Regardant le visage de toutes ces victimes, de tous ces hommes et ces femmes qui perdraient bientôt leur vie pour accomplir les desseins de ces êtres répugnants, il avait honte de lui-même, honte de n’avoir pas été présent, honte de ne plus savoir qui il était. Quand il arriva enfin sur la plateforme, face à la foule excitée, il ferma les yeux quelques instants. Il se souvint de toutes ces années passées, à parcourir le monde à la recherche de sa mémoire, tenant fermement son épée qui l’accompagnait malgré leur amnésie commune. Recouvrant son regard, il l’entendit l’appeler :

« Debout, debout ! Utilise-moi ! »

Il tentait de regarder tout autour de lui sans n’y voir rien. Mais quand il regarda au pied de Narak, il reconnut son épée :

 « Brandit-moi… Pour quelle raison as-tu survécu jusqu’à maintenant ? Souviens-toi ! »

  • Voilà votre châtiment, humain. Ajouta Ixion qui le fit sortir de ses songes.

Le monstre enfila la corde autour de sa tête et tandis que le condamné songea au passé, sa force lui revint. C’est alors qu’une brise légère se leva le temps que le nœud se referme autour de sa gorge, puis, de ses battements de cœur à sa respiration profonde, l’intensité du vent ne cessa de croître. Il inspira jusqu’à ressentir le flux de l’air passé entre chaque soldat, se glisser jusqu’au mas de l’échafaud, tourbillonnant autour de lui et faisant trembler le fourreau qui se dégageait de la terre molle dans laquelle il avait été plantée. Tendant ses bras et poings liés vers son épée, il surprit Narak qui, jetant un œil au sol, aperçu le fourreau tremblé.

« C’est cela… prends moi, attrapes moi, utilise-moi ! »

À cet instant, la jeune fille sous la menace du démon, bascula le levier. La planche s’ouvrit et Flocon tomba…

 

…La jeune fille, sous la menace, bascula le levier, la planche s’ouvrit, l’homme tomba.

Le vent se souleva violemment, il le ressentait. Il se souvint de toutes ces sensations que son long sommeil avait effacées, du souffle du vent, de sa force grandissante, il se souvint de cette nuit-là où la tempête faisait rage et qu’il s’en abrita pour échapper à ses poursuivants.

« Comment ai-je ainsi pu me laisser aveugler ?  Je n’ai pas senti le mal me corrompre, j’ai oublié mon passé, oublié mon but, notre but. Je n’ai gardé que ce nom, Flocon, gravé sur cette épée, et la longévité unique à travers des siècles. Qui suis-je vraiment ? C’est pour cela que je me bats, c’est pour cela que je n’abandonne pas. Le temps est venu que je reprenne cette voie, que je trouve les réponses à ces questions, que je me libère ! »

 

Sa chute sembla durée une éternité tandis qu’il se laissait transcender par la magie de cet élément, ressentant chaque once de ce pouvoir oublié. La corde presque tendue alors, se coupa nette sous la pression aiguisée de la bourrasque. En un instant, l’homme s’était entouré d’une enveloppe d’air, tournant autour de lui, le protégeant des blessures et l’accompagnant jusqu’au sol où, à genoux, le regard vif, le gris de ses yeux scintillait.

« Qu’attends-tu ! » Emanait la voix de l’épée.

Se relevant, Flocon s’avança en dehors de la potence, sous le regard ébahi des asservis, et craintif des oppresseurs. Face à Narak qui ne bougeait pas, il retira son fourreau de terre, observa sa poignée et sa lame et lui dit n’avoir pas oublié le passé.

Bien qu’enveloppé par la force du vent, le guerrier était décidé à se venger d’Ixion et de Dominus, usant de toutes les forces qui lui restaient pour les terrasser et défaire la confiance des troupes. Se retournant, il s’approcha calmement de la jeune fille, montant une à une les marches du pilori, arme en main, le regard empli à nouveau des yeux luisant que les troupes avaient observé tétanisés au village.

  • Comment est-ce possible ! s’étonna Ixion qui observait une intense pression sur lui.

Ce dernier tenta d’attraper la fillette par la nuque mais déjà son membre tomba en contre-bas devant les troupes.

  • Après tout ce que vous avez enduré, vous êtes encore capable de manier l’épée ! Je…

Interrompu, Ixion sentit la lame du héros traverser sa mâchoire et ressortir au-dessus du crâne.

En s’y dégageant, Flocon laissa tomber le corps inerte à ses pieds. Il s’accouda de fatigue à la potence et respira profondément. La pression qu’il imposait à tous s’estompa, mais pris de panique à la mort du bras-droit, la milice se dispersa laissant place à Dominus qui, visiblement, méprisait l’humain.

Tenant fermement la poignée de son arme entre ses mains, le guerrier s’adressa directement à son épée et leva le voile :

  • Je me souviens de ces années passées.

« Tu as une promesse à tenir. »

  • Nous retrouverons la mémoire, quoiqu’il en coûte…

Méprisant qu’on lui ait arraché son plus servant guerrier, Dominus attrapa l’arbalète d’un des soldats sur la muraille et tira en direction de l’homme, qui, comme dicté par son instinct, fit face au projectile, le broyant en morceau à l’impact sur la gouttière de son arme. C’était devenu un face à face. Flocon contre Dominus.

 

« N’oublie pas, Flocon, tes vérités, autant que les miennes. »

 

Il en était certain à présent, ce n’était pas un rêve mais un souvenir, le souvenir d’une promesse qui l’avait sauvé jadis et lui avait donné un but. Mais depuis cette grotte, depuis ce sommeil, il n’avait que fait défaut à cette alliance.

Dominus ria si fort que Flocon, perplexe, se concentra à nouveau sur son objectif, celui de terrasser ce démon et de sauver les gens de ces terres.

  • Je ne sais comment tu as pu assainir un coup fatal à Ixion, mais tu es si faible, humain, te crois-tu capable de te défendre contre moi ? Ah ! Je vais me délecter de ta souffrance, ne bouge pas, j’arr…

Au même moment, comme porté par le souffle du vent, le blessé sauta jusqu’à son adversaire. La poignée fermement serrée, l’arme tendue vers l’autre.

  • Que vas-tu faire pauvre humain ? Tu es peut-être capable de braver la mort, mais tu es mortel et faible. Je ne peux mourir contre toi. Tu tiens à peine debout !
  • Nous verrons bien… Acquiesça-t-il à genoux face à l’ennemi, se retenant à la garde de son arme.

 

Le monstre, de nouveau impassible, s’avança vers l’épéiste et d’un geste de la main, attrapa sa lame, le faisant tomber en avant.

  • Crois-tu vraiment qu’une épée ordinaire ferait l’affaire contre moi ? Aucune arme ne peut défaire mon invincibilité, humain.
  • Croyez-vous ? Rétorqua-t-il en désignant le sang qui coulait le long du membre sur le tranchant de la lame.
  • Comment se peut-il ? s’étonna Dominus en lâchant prise et regardant sa main écorchée.

Le liquide rougeâtre longeait la lame affûtée jusqu’à chuter sur le sol. Surpris, il se recula tandis que l’adversaire ramassa calmement son bien.

 

« C’est le moment, frappe-le, défais-le, je hais ces démons ! »

Se fit entendre à nouveau la voix dès qu’il l’empoigna l’espadon.

 

Tentant de rester concentré, Flocon ne fit pas attention à ce qu’il se passait sous ses yeux. Dominus laissa apparaître sa forme originelle. Son corps se transforma, il grandit de dix fois sa taille, la chaire se déchira laissant apparaître ses muscles immenses, ses membres devinrent plus féroces, ses os ressortaient à la surface, et sa gueule n’était plus qu’un amas de chaire, de dents ciselées et de globes oculaires noircis dont les pupilles plissées étaient d’un noir parfait.

  • Comment ai-je tenu tout ce temps dans cette pauvre enveloppe charnelle. Ah ! Maintenant je vais pouvoir te détruire, humain. Et ton épée, quelle qu’elle soit, je la briserai comme je te briserai. Tu es peut-être capable de braver la mort, mais tu n’es qu’un Homme face au Démon. Chaque geste que tu tenteras, je les reporterais sur les filles quand j’en aurais fini avec toi, puis je les dévorerais devant tes yeux, agonisant. Ah oui, que ce spectacle sera grandiose et réjouissant ! Viens, humain ! Viens mourir !
  • Me voilà ! S’élança Flocon qui sentait quelque chose s’éveiller au fond de lui.

 

« Frappe ! » S’exclama la voix.

 

Et aussitôt Flocon lança l’épée, un coup sur l’avant, un coup sur la gauche. De grands gestes, amples, sans réels dangers pour le seigneur qui les évita facilement.

 

« Frappe encore ! Encore ! Encore ! Frappe ! »

 

Et de plus bel, obéissant à cette voix, il envoya des coups, maintenant fermement son arme avec ses deux mains, lançant coup après coup jusqu’au moment où, percutant le bras féroce du monstre, voyant couler le sang, il se souvint :

  • Je suis Flocon ! Je parcours ce monde, et au plus loin que je me souvienne, elle était à mes côtés, gravée de ce nom que je porte. Une arme forgée pour terrasser tous les vôtres. Vous allez mourir ici, dans cette vie comme le démon Sangseur vous aura précédé.

 

 

Le Démon, intrigué par sa combativité, regarda l’épée attentivement et reconnu le minerai dans lequel elle était forgée :

  • Le Cristal de Mélium ! L’épée de cristal qui terrassa le Sangseur ? Si tu la possèdes alors, c’est toi. C’est toi son bourreau ! Ce réputé assassin, un simple humain ! Dire que tu es en vie après tout ce temps ! Où t’étais-tu caché ? Je vais me délecter de te détruire… Ou devrais-je offrir ta tête à notre Roi afin qu’il me nomme dans sa garde ? Après tout, si tu n’avais pas tué le Sangseur, nous serions mille fois plus nombreux aujourd’hui ! Malgré la faiblesse des premiers démons, ils ont laissé place à une force qu’aucun n’aurait pu croire apparaître. Tu as défait ce précieux allié, mais ton absence, humain, a permis de déchainer des forces qui te dépassent. Le Roi Démon saura me remercier si je rapporte l’épée responsable de la mort du Sangseur. Et toi, Flocon, en ton nom, j’écraserai tous les royaumes des hommes.
  • S’il existe un Roi Démon, alors je le traquerai, lui et tous les autres.
  • Ne sois pas si impatient ! s’écria Dominus en s’élançant sur lui.

 

Les bras et les os du démon brisaient le vent et atteignaient férocement Flocon qui ne pouvait contrer les attaques sur tous les flans. Ses plaies se rouvrir, la douleur aigue au torse revint, mais l’adrénaline l’empêcha d’abandonner. D’un mouvement rapide, se roulant vers l’avant sous le buste de l’ennemi, Flocon évita un coup fatal et se trouva dans le dos de l’adversaire. Tenant la poignée de son épée avec ses deux mains, il assainissait un puissant coup sur le bras droit du démon qui se retournait à l’instant. Le membre s’écroula au sol.

  • Misérable ! S’exclama Dominus voyant que son bras ne repoussait pas. Vous disiez vrai ! C’est bien la lame de cet assassin !

Libéré par la douleur qu’il infligeait, voyant l’opportunité devant lui, le guerrier puisa dans toute la force qui lui restait pour pivoter sur lui-même, évitant le coup enragé de la bête venant de gauche et lança à nouveau son épée en direction de l’abdomen du monstre. La lame s’empala dans le corps de Dominus avant de ressortir sur le flanc droit, déversant une quantité exponentielle de sang sur le sol.

  • Vous ! Comm… S’essouffla Dominus qui crachait rouge et sentit ses forces le quitter avant de perdre l’équilibre en s’agenouillant face contre terre. montant le regard, il aperçut Ixion inerte, la gueule fendue par le dessous.
  • Décidément… Vous ne craignez ni les hommes ni la mort, jusqu’à ce qu’ils soient face à vous. Le Sangseur avait commis la même erreur, Démon. Dit le vainqueur tenant à peine sur ses jambes en s’approchant de sa victime pour la défaire de son arme.

 

« Achève-le. » Fit la voix.

 

  • Notre Roi… Tu n’es rien face à notre Roi… Flocon… Suffoqua Dominus dans son propre sang.

 

L’homme descendit de la muraille sur laquelle il avait combattu, ramassa son fourreau et rengaina son épée faisant fi des douleurs qui le tourmentaient à nouveau.

Rejoint par la jeune fille qui était restée sur la potence à observer la scène, il s’affala contre le mur de la bâtisse, tandis qu’il demanda aux autres filles et aux esclaves restés sur la place d’aller délivrer Eionée.

  • Comment est-ce possible, étranger ? Vous devriez être pendu à cet instant ! S’étonna le vieil homme qui l’avait retrouvé au dehors et dont la lumière éblouissait son regard.
  • Je vous avais dit que je sauverai la fille. Que je sauverais tout le monde. Ricana Flocon, les yeux fermés, la main sur la blessure.
  • Comment est-ce possible ? Et Ixion, et le seigneur Dominus ?
  • Vous verrez par vous-même. Les survivants ont besoin de vous. Trouvez-les et protéger-les, Eionée. Si ça ne tenait qu’à moi, je brûlerais toutes traces de ces dernières années et rebâtirais une cité libre.
  • Vous saignez ! Remarqua le vieil homme. Ne dîtes plus un mot. Nous allons nous occuper de vous.

 

 

Après deux jours de repos dans le fort, soigné par Eionée lui-même, Flocon recouvra ses forces et se réveilla. Ce n’était plus le décor du cachot mais des appartements. Un lit confortable, et malgré la dépravation liée à l’occupation ennemie, l’accueil valait bien les cachots.

Il remercia tout le monde, récupéra ses affaires et quitta cette forteresse, accompagné de la jeune fille, épée au fourreau, cape sur le dos, capuche sur le visage. Il reprit la route qu’il avait entamé jadis.

Chapitre 4 :  Mont Dabrailla

 

En chemin vers le Nord, traversant à nouveau la forêt, la jeune fille dont la robe était délabrée et le brun de sa chevelure poussiéreuse questionnait l’homme sur toutes les choses que la vie lui avait été enlevées. Ses parents étaient morts devant elle, prisonnière d’un seigneur sadique, elle savait que rien ne la retiendrait ici, tandis que son instinct la poussait à suivre Flocon. Ce dernier l’accepta sans s’inquiéter. Il était certes déterminé à reprendre la voie du combat, mais il n’avait plus été en contact avec son humanité depuis longtemps. C’était là le meilleur moyen de rattraper le temps perdu durant son long sommeil.

Ils marchèrent jusqu’à une auberge abandonnée. Les aubergistes avaient été massacrés, plantés sur des piquets à l’entrée comme cela se faisait dans la cour du démon.

« Je me demande jusqu’où le maléfice et les meurtres se sont propagés ces dernières années. Si les démons dominent les royaumes des hommes, sans doute que nous ne trouverons plus aucune terre libre sur notre route. Cette jeune fille n’est pas préparée pour de telles souffrances. Les royaumes que nous avions traversés ont peut-être résistés. » Pensait le Flocon en inspectant l’auberge de l’extérieur.

Malgré le paysage, la bâtisse avait son charme. Les poutres qui traversaient le logis restaient apparentes et la façade d’une teinte verte la camouflait au milieu des bois.

  • Vous savez, dit-elle de sa jeune voix, je commence à avoir faim. Il y a peut-être quelque chose à manger à l’intérieur.

Flocon la regarda amusé. Il savait qu’ils ne trouveraient rien de comestible dans cette maison abandonnée, mais la maturité de l’enfant le réconforta de voir qu’elle avait l’esprit combatif malgré tout ce qu’elle avait vécu.

Ils entrèrent, la porte poussiéreuse coulissa en grinçant. Les quelques animaux réfugiés là par les trous s’échappèrent immédiatement. Devant le regard ébahit des deux arrivants, une rangée de cristaux luisaient d’une faible lumière. Il y en avait de toutes les couleurs. Les plus gros faisaient la taille d’une main et semblaient s’être érigés aléatoirement sur les pans de murs et les meubles. Il y en avait sur la table, la commode rongée par les termites, les murs, de toute part à l’exception faite du sol en pierre.

La fillette fut défendue par l’adulte d’en toucher ne serait-ce qu’un seul.

  • Mais c’est si joli ! Rétorqua la jeune fille.
  • Ces cristaux… Si tu te transformes en cochon, je ne me priverais pas pour te dévorer ! Lui répondit-il pour lui faire peur.

Après quoi elle recula et resta proche de l’homme qui songeait à l’origine de ces pierres. L’expérience qu’il en avait eu jadis ne justifiait que de la prudence.

  • Le monde doit s’adapter naturellement aux nouvelles forces qui le gouvernent. Si toutes les âmes ont été asservies, je me demande si quelques-uns des territoires que j’ai traversés jadis ont pu résister aux forces magiques.  Nous ferions mieux de ne pas rester en leur présence. Je chasserais pour nous nourrir ce soir. Décida-t-il en attrapant la main de la jeune fille et en sortant de l’auberge.

Un peu plus loin dans la forêt, les deux s’installèrent derrière un bouquet d’arbres, proche d’un terrier de lapin. Y tendant un piège en enfonçant des branches aiguisées tout autour du trou, il installa une cage en bois rudimentaire devant l’allée qu’il avait creusé rapidement. Ils attendirent silencieusement que les bêtes s’y coincèrent. La nuit eut le temps de tombée avant que deux d’entre elles soient prises au piège. Le premier lapin servis de repas tandis que le deuxième, gardé pour un prochain, fut laissé entre les mains de la jeune fille qui appréciait le pelage doux de l’animal.

  • Où avez-vous appris à chasser, sire ? Demanda la jeune fille. Mon père aussi savait chasser ! C’est lui qui… ramenait la nourriture au village. Répondit-elle tandis que les larmes commençaient à lui couler le long de ses joues rosées.
  • C’était il y a bien longtemps. Tu n’étais pas encore née en ce temps-là. Comment t’appelles-tu ? Ajouta-t-il d’un ton rassurant.
  • Aude, sire.
  • Ne m’appelle plus sire, Aude. Je préfère Flocon. Veux-tu savoir comment j’ai appris à chasser ?
  • Oh oui, sire ! Flocon ! S’enthousiasma-t-elle.

Il s’approcha du feu dont les crépitements donnèrent le ton. La braise flamboyante lui rappela l’ambiance.

  • C’était sur le Mont Dabrailla, en plein cœur de la chaîne de montagnes du Nord, nommée ainsi pour la croyance en Dabrail que les hommes lui vouaient, un être de pierre à l’origine de tous les monts de la terre. Pour la plupart c’était un mythe, une histoire que les gens contaient pour garder les croyances intactes. Mais le roi du royaume me conta qu’il était plus grand que tous les êtres et plus sage que tous les hommes. Je me demandais si je le rencontrerais un jour. Le roi organisait tous les ans une chasse immersive. Tous les jeunes de ses terres devaient prendre part à cette quête, et comme j’étais de passage, je lui demandai l’autorisation de participer. Le but était de lâcher les plus jeunes au centre de la forêt, au cœur de cette chaîne de montagnes et de leur apprendre à survivre et à chasser par leurs propres moyens. Tous ceux qui rapporteraient au moins cent livres de viandes se voyaient récompensés par le roi de quelques onces d’or et de victuailles pour leur famille. Tous les jeunes se réunirent donc au pied du Mont, guidé par un éclaireur, dont je fis partis. Le roi se déplaçait à cette occasion pour souhaiter bonne chasse à chacun d’entre eux. Quand les trompettes sonnèrent, ils entamaient la quête. La forêt était si dense que nous ne pouvions simplement pas faire demi-tour pour rebrousser chemin. Les plus dynamiques d’entre eux partirent en courant dans toutes les directions, se hâtant d’être les premiers récompensés. Quant à moi, je me demandais bien ce que j’allais découvrir au beau milieu de ces bois. Je ne connaissais rien à la chasse, et je n’étais pas vraiment concerné par cette coutume. Aujourd’hui, je suis convaincu que c’était avant tout un rite d’initiation à la survie et à la découverte de notre personnalité. Racontait Flocon.

 

  • Ils devaient être nombreux ! Moi j’avais… un tas d’amis au village. Remarqua Aude.
  • Quoiqu’il en soit, j’étais au pied du Mont Dabrailla et déjà les jeunes courraient vers l’intérieur de la dense et sombre forêt où je devais traquer et tuer les animaux, trouver un abri, m’apprêter à survivre en somme. Tandis que j’avançais à l’intérieur de cette atmosphère pesante, les premiers jours furent difficiles. Je ne savais pas quoi faire. Je trouvais quelques ronces où les mûrs me gardaient à l’abri de la faim, mais rapidement, je sentais qu’il fallait que je mange. Que je chasse. Je ne savais pas comment, mais je devais trouver autre chose. La forêt était si vaste qu’il était rare de tomber sur un autre individu ou groupe d’individus. D’ailleurs, je n’avais aucun moyen de me repérer. Il me fallait monter sur le Mont, sans quoi j’étais perdu. Je trouvais quelques terriers de lapins, et même si je vis les animaux en sortir, ils courraient bien trop vite et étaient bien trop agiles pour que je puisse les attraper à main nue. Je n’étais pas peureux de nature mais cette fois-là je sentais la peur qui rôdait près de moi. Je me souviens qu’après un certain temps, ce qui me semblait une éternité, je suis tombé sur un cadavre d’une jeune fille. Elle avait été en partie dévorée. C’était forcément un animal qui l’avait attaqué, et à ce moment-là mon sang se glaça. Je ne savais chasser et je découvrais que je n’étais plus le seul prédateur de cette forêt.
  • Il y avait des filles également ? Les filles chassaient ? Demanda Aude qui tenait fermement le lapin entre ses mains.
  • Oui, tous les enfants de ce royaume devaient apprendre. Chaque année, ce rite était répété. Je n’avais jamais prêté attention à leurs histoires passées. Je ne pensais pas que cela serait si difficile. Je n’avais pas idée que je serais confronté à l’adversité, que j’y serais contraint d’y faire front. Mais à cet instant, devant le cadavre de cette fille, je compris qu’il ne s’agissait pas seulement de chasser, de survivre, mais aussi de maîtriser son environnement. Je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait laisser des enfants entrer dans cette forêt sans la moindre défense. Pour ma part, j’avais mon épée pour me défendre. Il fallait que je me remette en question et que je prenne sur moi le fait qu’à ce moment même j’étais seul et loin de tout. J’étais perdu au beau milieu de nulle part. Seule la pointe du Mont Dabrailla me donnait l’espoir de pouvoir rebrousser chemin. Si j’arrivais à atteindre le haut de cette montagne, je pourrais voir où se situe le royaume et quelle direction prendre pour le rejoindre. C’était devenu mon seul objectif. De nuit, je tentais de trouver des branchages où grimper pour m’y reposer, et le jour, je marchais sans pause vers le mont que j’observais à travers les cimes. Hélas, plus je marchais, plus il me semblait que je ne l’atteindrai jamais. Il y avait comme un maléfice qui m’y empêchait. Plus j’avançais et plus la montagne semblait reculer. Au bout d’un certain temps, je ramassais des branches brisées et pointues pour me fabriquer des pièges. Puis, plus le temps passa, plus je me fis des réserves de fruits. Un beau jour, tandis qu’une tempête de neige fit rage et que je n’avais pas encore tué d’animaux, je me demandais combien de temps j’étais resté dans cette forêt. Jusque-là, obnubilé par mon objectif, je n’avais pas prêté attention au temps qui passait, au déclin de la température. Je me souviens de ce jour-là, où la neige rafraîchi mon esprit et où je craignais que le temps fût passé bien plus vite que je pouvais le concevoir. Si le froid s’installait, alors les baies disparaîtraient et je devrais absolument trouver le moyen de chasser. J’avais déjà les pieux dans le sol, mais si je ne trouvais pas la nourriture rapidement, je ne pourrais ni trouver la force ni les peaux pour me garder des brises fraîches qui allaient se multiplier. C’est dans cette situation que je compris que la maîtrise de l’épée au combat ne me servirait pas à chasser. De deux choses l’une, soit je prenais place en ce lieu, construisant abris et m’efforçant de fabriquer des pièges afin de chasser pour survivre à l’hiver, soit je continuais d’avancer vers un mont que je n’arriverais certainement jamais à atteindre et je mourrais probablement de froid et de faim dans les jours à venir.

La jeune fille eu un frisson et regarda le lapin. Elle lui aurait bien donné jadis pour qu’il puisse se nourrir, mais cramponner à l’histoire, elle resta muette et attendit patiemment la suite.

  • Je devais comprendre et apprendre rapidement à observer les habitudes des animaux et tendre des pièges à ceux dont les baies étaient leur pêché mignon. En effet, j’attrapai grâce à cela quelques écureuils. Les premiers coups d’épées pour les tuer me rongèrent l’esprit. J’avais l’impression d’être devenue une bête sauvage prête à tout pour survivre. Cette idée me répugnait mais la faim me gouvernait avec bien davantage d’intensité. Faire du feu était encore la seule chose que j’avais appris à faire avant cette aventure et cela me permis maintes fois d’échapper à la mort et aux prédateurs. Les gibiers furent de plus en plus grands et je recouvrais bientôt toute ma cabane des peaux de ces carcasses. La brise ne me fouettait plus et le froid cessa de me ronger les membres. Je survivais enfin comme j’aurais dû le faire dès les premiers jours. La saison passa et malgré mon jeune âge je me sentais aguerri et prêt à reprendre ma route vers le mont. A présent, je savais chasser. Si je savais comment revenir, je n’aurais plus qu’à chasser sur le retour et ramener les butins au royaume. Je me demandais parfois si j’avais été le seul à devoir survivre au beau milieu de cette forêt en plein froid ou si les autres avaient déjà tous remplis leur mission. En avançant, je repensais à cette fille dont j’avais découvert le cadavre et je m’étonnais qu’aucune bête ne m’attaque depuis l’hiver. Peut-être étais-je trop éloignés de leur repère pour que je sois une cible, pensais-je, mais puisque je me sentais plus confiant, je cessais de vouloir avancer vers l’infini et tenta de contourner le mont. Parallèlement à celui-ci, j’arpentais dès lors la forêt avec l’envie de rencontrer d’autres gens ou de découvrir d’anciens campements que d’autres auraient pu avoir fait par le passé. Ce que je découvris fut tout autre. Un jour ensoleillé, j’étais tombé sur une prairie en plein cœur de la forêt. Je me demandais comment une prairie si vaste pouvait se trouver au beau milieu d’une forêt si dense. J’y jetais un œil sans trop oser sortir de l’orée du bois où j’avais pris mes repères. Ce qui m’étonna le plus lorsque je contournai brièvement cette plaine, c’était l’absence totale de volatiles au-dessus de ce terrain. On aurait pu penser qu’il n’y aurait pas meilleur endroit pour se nourrir de vers et autres insectes. J’entendais pourtant bien les chants des oiseaux résonnés dans la forêt, mais nul être vivant ne se promenait au beau milieu de ce terrain. Je n’étais plus à ma première observation illogique. Déjà le mont semblait ne plus exister puisque nulle avancée ne me rapprochait de lui. Et maintenant cette plaine verdoyante immaculée. Au final, ma curiosité prit le dessus et je m’élançais sur l’herbe fraîche. De ma lance, je tâtonnais le sol pour vérifier qu’il n’était pas marécageux et j’avançais vers ce qu’on pouvait penser être le centre. Il y avait là un grand rocher surplombant une toute petite marre. L’eau était claire si bien que l’on pouvait sans problème distinguer le fond du trou. C’était sans doute la meilleure eau que j’eusse bu depuis mon aventure. Elle était douce et fraîche, et l’on sentait que sa pureté n’avait jamais été égalée. Je me demandais bien comment une pareille marre pouvait encore être aussi saine alors que non loin de là, une forêt grouillait d’animaux. Je me débarbouillais et contemplais l’endroit. Pour la première fois, j’eu l’impression que le Mont fut plus proche de moi qu’auparavant. Il y avait quelque chose de mystérieux dans cette prairie. Et je ne tarderais pas à découvrir pourquoi. En effet, à peine eu-je fini de me préparer à continuer ma route que le sol trembla. Une envolée d’oiseaux quittant les arbres aux alentours créa un nuage d’ailes et de plûmes qui s’élevait au-dessus des cimes et s’éloigna. Une deuxième secousse se fit sentir et cette fois-ci, la marre se vida intégralement de son eau. Elle fut comme aspiré vers l’intérieur du sol en un instant. Je fus renversé au troisième tremblement. Le sol se mettait à se fissurer. C’était terrifiant. J’étais terrifié. Je me disais que c’était la fin. J’allais mourir par une catastrophe naturelle. Ou surnaturelle. Je ne savais pas expliquer ce que je voyais. Le sol se renversa devant moi. La roche qui surplombait la marre n’était autre que ce qui s’apparentait à un nez au milieu d’un visage, et le creux de la marre était la bouche de cet être de pierre qui se dressait devant moi. Sa taille imposante mesurait sans doute cent pieds et sa carrure massive me stupéfia. Comment un être pouvait-il être si grand, si lourd, et se tenir debout comme n’importe quel humain ? De ma petite taille, il semblait être aussi grand que le Mont.
  • Un géant ! Cela n’existe pas. S’exclama la jeune fille dont le souffle s’était coupé quand il avait parlé des tremblements.
  • Ce n’était pas n’importe quel géant. C’était Dabrail, le gardien du Mont. Il n’était pas aussi stupéfiant que le conte le disait, mais il était suffisamment étonnant pour qu’on lui ait attribué quelques histoires incroyables. Et il était là, debout, devant moi. L’herbe verte recouvrait ses membres de pierres qui se mouvaient doucement au-dessus de ce qui restait de sol. Sa silhouette était bien celle d’un bipède bien que tout en lui n’était fait que de pierre, seul le centre du buste était fait d’un cristal quadratique brillant. Je ne savais comment expliquer qu’une telle chose puisse exister. Rien ne pouvait expliquer que de la pierre puisse être habitée par la vie. Je me souvins être resté immobile. J’étais terrifié à l’idée que cette chose me voit à ces pieds. Il aurait pu m’écraser d’un geste. Hélas, même si je faisais mine de n’être qu’une brindille dans le décor, il m’aperçut, il me sentit, il me dévisagea, et contre toute attente, il s’adressa à moi :
    • Qui êtes-vous, petit humain ? demanda-t-il d’une voix grave que sa gorge rocheuse créait avec un souffle d’air qui résonnait en son être.

Mais je ne sus plus quoi dire. J’avais perdu toutes mes capacités, figé par la peur et l’étonnement. Il savait ce qu’était un homme. Je réfléchissais à toutes les choses possibles ou non, qui pouvaient avoir un lien avec lui, mais j’étais incapable de recouvrer mon sang-froid.

  • Seriez-vous muet ?

Il se pencha vers moi et tandis que je restais figé, il m’observa.

  • Vous ne semblez pas très vivant.

Après réflexion, comme il se redressait pour regarder autour de lui, je compris instinctivement qu’il n’était pas méchant.

  • Combien de temps ai-je dormis ? Je ne me souviens pas qu’il y ait tant de forêt la dernière fois que j’ai arpenté cette contrée.
  • Bonjour ! M’exclamais-je bouleversé.

Il se tourna à nouveau vers moi, s’accroupi et tendit l’oreille.

  • Bonjour ! Seigneur Dabrail ! Répondais-je encore.
  • Seigneur Dabrail ? Comment connaissez-vous mon nom ?
  • Je… Vous êtes le gardien des Monts !
  • Gardien des Monts ? Ha !

Il se mit à rire ci-bien que le sol en trembla. Je n’arrivais pas à retrouver mon calme craignant toujours qu’il m’écrasa subitement.

  • Comment connaissez-vous mon nom ? Demanda-t-il à nouveau.
  • Des histoires ! Des histoires qui content votre existence !
  • Des contes. Cela doit faire bien trop longtemps que je suis endormi ici.
  • Je me demande si je devrais continuer cette histoire, Aude. La suite n’a plus de rapport avec la chasse. S’interrompit Flocon.
  • Oh oui ! S’il vous plaît ! C’est passionnant ! Je n’ai jamais entendu de tels récits !
  • D’accord, d’accord ! Ça ne peut pas me faire de mal de repenser à ces vieilles aventures.

Aude s’allongea contre une buche et regardait attentivement l’homme raconter son passé en imageant de gestes amples.

  • Le géant de pierre s’interrogea sur le temps qui s’était écoulé pendant son repos. Il n’en avait visiblement aucune idée, et moi, je n’avais aucune idée de comment il avait pu rester ici si longtemps sans que personne ne le sache. Je découvrirais bien assez tôt toute l’histoire, pensais-je. Je me rendais compte que cette rencontre était sans doute ma seule solution pour avoir des réponses à mes questions. Notamment celle qui concernait de rejoindre le Mont. Tandis qu’il regardait autour de lui, il me demanda si je connaissais le Chemin du Sage ?
    • Avec toute cette végétation, je me demande bien où il a pu passer.
    • Je ne connais pas de tel chemin. Répondis-je en y songeant.
    • Il ne doit pas être loin. Il permet de rejoindre le Mont. Je crois que c’est le seul chemin d’ailleurs. Je ne sais plus trop. Si j’arrive à atteindre la montagne, me disait-il, je pourrais retrouver ma demeure, savoir comment je me suis endormi ici.
  • J’essayais de comprendre ce qu’il me racontait mais j’ignorais tout à propos d’un sentier qui parcourait cette forêt. Après un moment à faire le tour de la prairie, il se tourna vers moi et s’approcha avec un pas décidé qui faisait à nouveau trembler le sol. Je sentais que quelque chose avait changé dans son comportement.
    • M’avez-vous piégé ? Reprit-il alors que je restais figer.
    • Seigneur…
    • Si vous m’avez piégé, je m’occuperais de vous. Je n’aime pas que l’on se fiche de moi.
    • Seigneur ? M’interloquais-je ne comprenant pas ce qu’il se passait.
    • Comment se fait-il que je me sois réveillé et que la terre ait autant changé. Mon ami, où est donc passé mon ami ?
    • Quel ami, seigneur Dabrail?
  • Il s’impatientait et de colère il frappa soudainement le sol. Celui-ci se fracassa sous la masse. Il était furieux. Ma vie semblait n’être plus rien devant sa force. Je ne savais pas quoi faire. Si je fuyais, il m’aurait rattrapé en une enjambée et m’aurait sans doute écrasé. Si je tentais de m’approcher, je risquais de finir comme le terrain, en morceau. Et rester immobile me rendait soupçonnable d’artifices dont j’ignorais tout sens. Je me souviens m’être décidé à agir. Je n’avais plus guère le choix que d’affronter l’instant.
    • Seigneur ! m’exclamais-je pour l’interpeller, j’ai besoin de votre aide ! Je souhaiterais rejoindre la montagne pour savoir où se trouve le royaume. Il n’y a que sur le Mont que je saurais comment rentrer là-bas !
    • Un royaume ? D’où venez-vous ? Demanda-t-il tandis que sa voix assourdissait tous les bruits alentours.
  • Je me sentis en danger et par réflex je prenais entre mes deux mains mon épée que je pointais en sa direction. Sa manière qu’il avait de me dévisager, je comprenais que je devenais peu à peu un obstacle. Je reculais doucement, prêt à courir vers les bois où peut-être pouvais-je me cacher. Il se pencha vers moi et s’apprêta à dire quelques mots quand quelque chose l’interpella.

Une nuée d’oiseaux arrivèrent dans la prairie. Ils venaient de toutes parts. Tous ceux qui s’étaient enfuis tout à l’heure revinrent soudainement. Même les animaux terrestres firent leur apparition. Il semblait que tous les êtres vivants fuyaient quelque chose de la forêt et se réfugiaient dans la prairie. Je n’y comprenais plus rien. Mais le géant regardait cela avec étonnement puis inquiétude.

  • Comment m’avez-vous réveillé, petit humain ? Me demanda-t-il soudainement tandis que sa voix était redevint paisible.
  • Je n’ai rien fait. J’ignorais votre existence, Seigneur. répondis-je honnêtement.
  • Il semblait alors bouleversé. Il savait pourquoi les animaux étaient venus à lui. C’était évident. Il savait quelque chose et cela avait sans doute un lien avec son éveil.
  • Il y a une force maléfique dans cette forêt. Le Sage avait promis de l’endiguer. Où est-il passé ? S’interrogeait-il de vive voix.
  • Que se passe-t-il, Seigneur ? Demandais-je dans la hâte.
  • Votre présence ici ne peut être une coïncidence. Je ne vois qu’une explication à mon réveil. Et mon ami, cette fois-là, il m’avait averti que ça arriverait.
  • Il s’interrompit et frappa de toutes ses forces à plusieurs reprises sur le sol. Il semblait devenir fou. Tout s’effondra autour de nous. Le sol se brisait et tombait. Mais rapidement, j’observais que les sous-sols de la plaine étaient en fait un vaste réseau de tunnels qui créaient des tranchées dans lesquelles les animaux se réfugièrent. J’avais l’impression d’assister à une scène où tous les acteurs connaissaient déjà le sens. Cela avait déjà dû se produire par le passé. Plus d’une fois. Le sol ne ressemblait déjà plus à cette prairie verdoyante. Ce n’était qu’un grand trou où les animaux s’étaient réfugiés et cohabitaient pour ne pas souffrir du mal de la forêt.
    • A présent, nous devons nous occuper de ce qui approche.

 

  • Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait, mais je sentais que je pouvais dorénavant avoir confiance en lui. Je le laissais continuer à m’expliquer, tandis que je le suivais jusqu’à l’entrée du bois.
    • J’ai pris du temps à m’en rappeler… Mon réveil, petit homme, est dû à votre présence ici. Je sens en vous une force oubliée.
  • Il me proposa un accord. Je l’aidais à supprimer le mal qui venait ronger la forêt, en échange de quoi il me promit de réveiller la force qu’il avait vu en moi.
  • Combien de temps êtes-vous resté dans cette forêt ? Interrogea la jeune fille après le récit.
  • Je suis resté environ dix années et le géant m’appris tout ce qu’il savait. À mon départ, Dabrail fit un duel avec moi. Si je vainquais sa force brute par la mienne, il me laisserait partir.
  • Vous avez gagné contre un géant ? S’émerveilla Aude.
  • Ne suis-je pas ici devant toi ? Plaisanta-t-il.

 

Chapitre 5 :  Un Imprévu

 

Au petit matin, Flocon eu une étrange sensation, le sentiment que quelque chose avait changé durant la nuit. La jeune fille dormait encore à côté des braises chaudes tandis que la brume matinale s’élevait doucement. L’odeur de la végétation n’avait plus ce doux parfums de rosé mais quelques odeurs plus amer, presque répugnante. Il se leva et regarda autour de lui. Rien de visible à première vue, mais la sensation était réelle et ses sens ne le trompaient pas.

Il observa la jeune fille avec douceur avant de décider de la réveiller pour partir.

  • Nous devrions retourner à l’auberge abandonnée. Lui dit-il en la réveillant d’un geste lent sur l’épaule.

Elle s’éveilla doucement mais vit rapidement l’inquiétude de l’homme qui s’apprêtait déjà à s’éloigner.

  • Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle en se dressant sur ses jambes engourdies.
  • Viens, allons-y.
  • Pourquoi faire ? Il n’y a rien là-bas. Et mon lapin s’est enfui !
  • Je dois vérifier quelque chose. Ne t’en fais pas pour ton animal, nous chasserons à nouveau.

Ils revinrent à la bâtisse. Elle n’avait plus la même apparence que la première fois. La végétation n’avait plus d’emprises sur les murs. Seule de la glycine recouvrait la façade et les fleurs bleus donnaient une touche de gaieté qu’on n’aurait pu imaginer la veille.

  • Nous ne devrions pas entrer. Pensa la jeune fille inquiète devant la porte dorénavant en bon état.
  • Reste à mes côtés, tu ne crains rien. Lui répondit Flocon d’un ton assuré en entrant.

L’intérieur était devenu coquet, les murs boisés témoignaient d’une propreté qu’une seule nuit n’aurait pu permettre, mais le parfum d’un logis habité et les cuissons de viandes et d’herbes avaient laissé dans l’air quelques odeurs agréables.

L’homme sentit la main de la jeune fille se desserrer de sa cape. Malgré l’étrange et agréable surprise, ils savaient que ce lieu n’était pas un miracle. En ces terres désolées, la terre sentait la mort et l’auberge décorée n’était guère le reflet de la veille.

Cachant son épée sous sa longue cape, il s’avança au milieu de la pièce vers une table-haute façonnée dans du chêne. Aude quant à elle resta silencieuse et attendit patiemment à ses côtés tandis que l’air sec de la salle lui asséchait la gorge.

Un homme arriva du fond de la pièce.

  • Veuillez m’excusez ! Je ne vous avais pas entendu entrer. Que puis-je pour vous ? demanda ce dernier en reluquant les deux individus.
  • Nous cherchons notre chemin. Pourriez-vous nous indiquer où nous sommes ? Répondit son interlocuteur avec méfiance.
  • Vous êtes à l’Auberge des Dix Lieux. Et je suis le maître de ce lieu, appelez-moi Maistro. D’où venez-vous ?

L’homme portait une longue tunique qui le recouvrait des épaules jusqu’au pied et dont la chevelure frisée tombait jusqu’aux épaules. Ses yeux d’ambre et sa moustache entretenue lui donnèrent l’apparence d’un barde.

  • A dire vrai… Nous nous sommes égarés dans cette grande forêt.
  • Egarez dans cette forêt ! Ah ! Que je vous comprends, nos clients sont des gens égarés justement. Je peux vous offrir quelques rafraîchissements pour vous désaltérer ? J’ai de la bière d’Idish, vous aimerez, j’en suis sûr !
  • D’Idish ? Je ne connais aucun lieu qui porte ce nom. Est-ce le bourg le plus proche ?
  • Idish ! C’est…

Un deuxième individu pénétra dans l’enceinte et salua le groupe.

  • Idish ! Je parlais justement de toi à ces voyageurs ! Des égarés de la forêt. s’exclama Maistro en l’apercevant.

Ce deuxième, à peine aussi grand que le premier, était vêtu du même type de vêtement mais son regard bleuté, sans pilosité faciale et sa chevelure blonde, aussi étincelante que l’or des broderies royales lui donnait un genre de coquetterie.

  • Bonjour à vous voyageurs. Bonjour Maistro ! Il n’y a pas foule aujourd’hui. Hier était plus vivant ! Répondit Idish.
  • Oh hier ! Je suis sorti me promener avant de fermer ! Et en revenant, ils s’étaient…

Il s’interrompit en croisant le regard du Flocon. A ces mots ce dernier sortit son épée et la pointa sur la gorge de l’hôte.

« Qui sont-ils ? » Fit la voix.

  • Que voulez-vous dire ? Demanda l’assaillant.
  • Hola Chevalier ! Baissez votre arme ! Je voulais dire enfuis ! Les gens qui n’ont rien pour payer s’enfuient toujours ! Cela arrive. Et je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise ! Êtes-vous vraiment égarés ? Interrogea Maistro en reprenant son souffle.
  • Veuillez m’excuser. Ces terres ne sont pas sûres et je me suis laissé emporter.
  • Je vous comprends, il est vrai que nous entendons de drôles d’histoires autour de nous. Tenez, l’autre jour un groupe d’individus m’a assuré avoir vu l’auberge en piteux état ! Je leur aie expliqué que ce n’était pas possible. Alors pour les rassurer rien de telle que de la bière, leur montrer que tout était bien réel. Et une fois le dos tourné, ils se sont enfuis ! À ne rien y comprendre. Tenez, prenez un peu de ce breuvage, ça vous fera du bien. C’est offert par la maison.

La jeune fille, qui commençait à avoir soif, récupéra le bol et bu de grandes gorgées cet élixir doré, pétillant et mousseux.

  • Vous avez dit à l’instant, reprit Flocon, que vous étiez ouvert hier.
  • Oui ! N’est-ce pas Idish ? Répondit Maistro en remplissant un autre pichet de bière. J’étais ouvert toute la journée. Il y avait un tas de monde ! Bien que les derniers se soient enfuis. Reprit Maistro.
  • Oh et jusqu’à tard ! Ajouta Idish.

Ce dernier vint jusqu’à la table pour récupérer son breuvage. Il regardait attentivement l’enfant qui s’essuyait la bouche.

Flocon, qui resserrait la poignée de son épée tout en les écoutant, attrapa la main d’Aude et recula d’un pas avant de répondre :

  • Hier, votre auberge était entièrement vide et abandonnée. Nous nous y sommes arrêtés et il n’y avait plus personne depuis longtemps. Vos histoires… Qui êtes-vous vraiment ?
  • Vous ne vous êtes donc pas égarés. Reprit Maistro d’un ton convalescent hottant son sourire. Voilà une situation plutôt embarrassante.
  • Qui êtes-vous ? D’autres démons ?
  • D’autres dîtes-vous ? Rien de pareil. Les démons sont des bêtes sauvages. Nous, nous connaissons nos limites magiques. Nous sommes sorciers. Rétorqua le maître.

Maistro commença à créer une forme lumineuse au creux de ses mains pour distraire Flocon. Au même moment Idish s’élança sur la jeune fille et disparu avec elle sous les yeux affolés du combattant. Il envoya aussitôt son épée vers Maistro mais la lame glissa à l’intérieur d’une enveloppe irréelle. Ils venaient tous trois de disparaître.

  • Aude ! S’écria-t-il. Où es-tu !

L’instant d’après il se retrouva dans la vieille auberge dont l’état de délabrement avait repris son cours. Il rangea son arme et regarda rapidement autour de lui. Seuls les cristaux multicolores ornaient les murs et les meubles, et l’air sec avait laissé place à l’humidité.

Effrayé par son impuissance et ce qu’Aude risquait à la merci de ces inconnus, il frappa violemment le mur plein de culpabilité. Au choc se décrochèrent quelques cristaux qui le firent sortir de ses songes. Les ramassant, il en fit un tas qu’il étendit sur la table. Leurs lueurs augmentaient avec la proximité des autres pierres. Il avait défendu à Aude de les toucher la première fois, mais son instinct le poussa à positionner la garde de son arme au-dessus d’eux pour les briser.

« Je ne ferais pas cela si j’étais toi. » Intervint la voix.

  • Qu’est-ce que… que devrais-je faire d’autres ? Je dois la retrouver. Je dois faire quelque chose.

« Ne sois pas impatient. Que comptes-tu faire là ? Détruire les cristaux ? Cette idée me semble dangereuse. »

  • Je suis convaincu que ces cristaux m’aideront à retrouver Aude.

« Quand tu m’approches d’eux, je ressens une certaine confusion. »

  • Je n’ai pas le choix ! 

Flocon envoya la garde de son épée sur le tas pour le briser. A l’impact, de nombreux halos lumineux s’échappèrent dans toute la pièce et un vent venu des profondeurs du monde, souffla férocement sur Flocon puis dans toute l’auberge. Celle-ci se mit à trembler si rapidement que la structure sembla se déphaser, se dissocier d’elle-même. Une dernière secousse renversa l’homme qui s’appuya contre la porte d’entrée dont la teinte du bois changeait sous ses yeux. Il eut l’impression de rêver, chaque objet, chaque coin se métamorphosaient mais quand le tremblement cessa, que le vent s’estompa, l’auberge avait retrouvé toute sa beauté matinale.

Il s’appuya un court instant contre un mur, retrouva ses esprits et sortit aussitôt de l’enceinte pour regagner la forêt. Toutes les couleurs semblaient avoir trouvé leur sens ici-même. La gaieté régnait en toute chose. Le décor n’était plus le même, il semblait avoir voyagé loin, très loin de sa position d’origine. Il ne tarda pas à se mettre à courir sur le sentier qui partait de l’auberge afin de rattraper les ravisseurs.

S’élançant à travers les bois, déconcerté d’observer ce paysage totalement différent, il était persuadé que le sort de la jeune fille reposait sur ses épaules.

Il arriva en quelques minutes dans un village aux tentes étranges. À l’entrée, un mur presque invisible empêchait quiconque d’entrer qui ne soit maître de magie. Il tenta de l’ouvrir avec la magie du vent, mais en vain. Il s’avança alors de la paroi et s’apprêtant à l’enfoncer de ses mains, il passa au travers sans n’en comprendre la raison.

Il s’en étonna quelques instants avant d’observer l’autre côté. Les habitants, tous, portaient de haut chapeau conoïde et marchaient encapuchonnés, vêtus de capes étrangement taillées qui remontaient jusqu’à leur chapeau pointu leur voilant intégralement le visage. Flocon quant à lui sous sa capuche blanche, se fondit dans la foule.

Ils semblaient errer sans buts, se croisant sans un mot, traversant les ruelles entre les tentes. L’homme arriva sans encombre à une hutte, dont l’entrée transparente, lui permit d’observer la magie qui œuvrait en ce lieu. L’endroit semblait immense à l’intérieur, tandis qu’à l’extérieur seuls quelques pas auraient suffi à en faire le tour. Il s’avança du voile qui le séparait des individus de l’autre côté et entra. A sa droite, une haute pile de chapeaux qui s’imbriquaient les uns au-dessus des autres. A sa gauche, une multitude de bâton taillé dans divers bois, de diverses couleurs. Nuls doutes qu’il s’agissait bien là d’un camp de sorciers, connus pour leur faculté à utiliser la magie communautaire.

Il s’installa à une table pour ne pas lever les soupçons et tenter de collecter des informations sur la disparition de son amie.

Seul, il ne remarqua qu’aucun des sorciers ou des sorcières présentent n’avaient prêté attention à sa venue. Et de l’intérieur de la taverne, tout semblait si spacieux et profond qu’il était impossible qu’une simple tente puisse abriter tout ceci. Les pichets que le tavernier servaient semblaient tous vides et pourtant, la boisson coulait à foison quand ils étaient penchés vers l’avant. Ce spectacle l’émerveilla quand soudainement une femme à la carrure colossale entra à son tour. Plus grande que tous, les cheveux bruns, longs jusqu’aux coudes, le chapeau plus volumineux qu’à la normale, elle s’avança jusqu’à la table de Flocon et s’y asseyait. Elle était plus haute que lui, plus large aussi, et sa poitrine imposante poussait sous la cape comme une armure solide. A sa taille, un grand sabre sans fourreau tenait par une liane sous la garde. La sorcière, silencieuse, fit signe au tavernier de les servir tous deux.

La boisson coula de la carafe vide vers la chope qui, par enchantement, se remplissait de cette liqueur brune et mousseuse.

  • Que me vaut cet intérêt ? Demanda Flocon lorsque son pichet fut déposé sous ses yeux. Vous ressemblez davantage à un soldat qu’à une sorcière. S’amusa-t-il en s’étonnant de la situation actuelle.
  • Ignorez-vous dont qui je suis ? Un sorcier sans chapeau n’a pas sa place ici, et pourtant vous y êtes. Pourquoi ? Questionna l’interlocutrice.
  • Puisque vous le demander si agréablement, madame, je recherche une enfant. Deux des vôtres l’ont pour ainsi dire, enlevée.
  • Des nôtres ? Vous n’êtes donc pas sorcier ! L’interrompit-elle subitement.

Elle se dressa d’un coup, renversant sa chaise et agrippa son arme.

  • Allons ! Ressaisissez-vous, je ne vous veux aucun mal !
  • Quel rustre ! Croyez-vous qu’une femme soit naturellement inférieure à vous ?
  • Ce n’est pas… ce que je voulais dire. Termina-t-il voyant la sorcière s’armer.

L’épée était aussi imposante que sa propriétaire. Elle la posa sur la table, face à Flocon qui ne réagissait pas.

  • Je cherche deux sorciers prénommés Maistro et Idish. Ils ont enlevé une enfant. C’est l’explication de ma présence ici.
  • Savez-vous pourquoi nous nous entourons d’une barrière magique ? Nous avons longtemps été attaqués par les démons, les monstres, les pilleurs, tous les individus extérieurs à notre communauté. Depuis plusieurs années, quiconque entrant ici sans autorisation aura à faire à moi.
  • C’est à cela que sert votre lame, je suppose. Cependant je n’ai pas le temps pour ces bavardages. Répond-il sévèrement.

Offusquée elle s’apprêta à le décapiter. Un vent puissant naquit alors autour de l’homme et de gestes directeurs il retourna toutes les tables de l’auberge, repoussant de quelques pas la sorcière.

  • Magie des éléments ? Comment est-ce possible ! Les Sage se sont éteins il y a bien longtemps. Qui êtes-vous ? Pourquoi n’ai-je pas été avertie d’une telle magie ?
  • Que voulez-vous dire ? S’étonna-t-il.
  • Ne vous jouez pas de moi. Notre barrière est conçue pour nous protégez des démons, nous avertir de leur présence, mais aussi savoir quel sorcier ou niveau de magie entre au camp. Comment avez-vous fait pour passer inaperçu ?

Tous les sorciers, même le tavernier s’échappèrent du lieu en voyant la fureur de la femme grandir.

  • Vous ais-je mise en colère ? Ce n’était pas mon intention. Mais si vous ne me laissez pas le choix, j’obtiendrai des réponses par la force !
  • Vous voilà sarcastique à présent ! Peu importe la raison ni la manière de votre venue, personne ne s’en prendra à mon peuple sans en payer le prix !

Une aura sombre s’échappa de la femme, assombrissant les lieux, ensevelissant la lumière autour d’eux, rongeant le sol peu à peu jusqu’à atteindre les bottes de Flocon.

Il recula aussitôt de quelques pas, se mettant hors de portée de l’aura adverse. La puissance magique qu’elle dégagea l’impressionnait, ci-bien qu’elle semblait contrer naturellement le vent qu’il avait fait levé plus tôt. Son épée, tendue vers le sol, gardait une brillance inexplicable. Cette femme était une épéiste autant qu’une sorcière.

Elle envoya un puissant coup en sa direction, la portée du geste s’étendit au-delà de l’arme, tranchant les murs jusque derrière lui.

  • Vous l’avez évité. Remarqua-t-elle.
  • De justesse. Votre force est colossale.
  • Vous vous méprenez.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Ma force n’est pas la seule chose qui soit colossale. Et puisque vous semblez être un habile guerrier, nous verrons laquelle de votre magie ou de la mienne est la plus féroce !
  • Ma magie ? Je veux simplement trouver les ravisseurs…
  • Cette insolence !

La structure toute entière explosa autour d’eux. La tente n’était plus et l’endroit retrouva sa taille normale. L’épée monstrueuse de la femme se transforma en un somptueux bâton noir qu’elle attrapa de ses deux mains, et d’un coup violent et imprévu, frappa l’abdomen de Flocon qui fut projeté à plusieurs mètres en arrière.

Mais à peine eu-t-il le temps de s’étonner ne pas avoir vu arriver le coup, que la femme apparu au-dessus de lui, arme en main, s’abattant sur lui.

L’onde de choc ravagea le terrain et tous les sorciers arrivèrent devant les décombres. Une assemblée toute entière se tenait devant l’affrontement.

Il avait évité la précédente attaque d’une roulade latérale mais le choc le projeta plus loin encore.

« Se faire battre par une sorcière… » Fit la voix quand il agrippa son épée.

  • Tais-toi, je suis occupé ! S’exclama-t-il devant tout le monde.
  • Que dîtes-vous ? S’intrigua la guerrière en s’approchant, sûre d’elle.
  • Je ne vous ai pas parlé. Répliqua-t-il en souriant douloureusement. Pourquoi faut-il que je me batte encore. Mes blessures me font encore souffrir.
  • Vous ne savez pas abandonner… Tant pis pour vous !

Flocon se releva douloureusement, mais ses pensées rivées sur Aude l’inquiétèrent, il devait se sortir de là et la retrouver à tout prix. Déposant son fourreau au sol, il fit s’élever le vent et le fit tournoyer autour de lui aussi vite qu’il le put.

  • Pourquoi utilisez-vous cette magie ? Il n’a aucun effet sur moi. Remarqua la femme avec désinvolture.
  • C’est ce que nous verrons.

La sorcière s’approcha en projetant son aura magique devant elle pour se protéger des intentions de son adversaire. Certaine de sa victoire, elle lança le plus violemment possible son bras en direction de Flocon. Ce dernier qui voyait que le vent ne le protégeait guère plongea avec son épée et la brandit vers l’avant pour contrer l’attaque qui le fit s’agenouiller sous la pression de la force adverse.

« Que fais-tu à genoux Flocon ? N’as-tu pas écrasé un géant à main nues ? Je me souviens de ton vaillant combat contre le Dabrail que tu as omis de conter à cette fille. »

La sorcière recula aussitôt d’un air inquiet et l’interrogea :

  • Qu’est-ce que c’était que cela ?
  • De quoi parlez-vous ? Renchérit-il en se relevant.
  • Cette étincelle électrique… Cette voix dans ma tête ? Je les ressentis jusqu’aux tréfonds de mes entrailles, s’adressant à… vous.
  • La voix ? Vous l’avez entendu, sorcière ?
  • D’où vient-elle ? Comment est-ce possible ? Demanda-t-elle en reprenant son souffle, comme suffoquant d’un phénomène qui la dépassait.
  • C’est une longue histoire. Sans doute l’avez-vous entendu quand j’ai paré votre coup. Pouvons-nous en rester là, je ne veux plus vous combattre.

L’adversaire s’agenouilla, les mains devant elle sur le sol, la sueur gouttant le long du visage. Elle respirait profondément pour retrouver son calme :

  • C’est donc cela… Annonça-t-elle à quatre pattes.
  • Pardon ? S’approcha Flocon qui n’entendait pas bien.
  • Votre épée est magique. C’est comme cela que vous avez pu entrer.
  • Magique ? reprit-il en regardant sa lame.
  • Elle l’est. D’une magie puissante. Je ne saurais dire comment cela est possible, votre épée semble imprégner d’un esprit. D’un esprit magique. De la magie que nous, sorciers, n’utilisons jamais, qui nous est inaccessible

« De quoi parle-t-elle ? Elle sait peut-être quelque chose ! Pourquoi ne pouvons-nous pas nous souvenir de l’entièreté de notre passé ? »

Rengainant son épée, Flocon s’avança à hauteur de la sorcière et lui tendit la main :

  • De quelle magie parlez-vous ? Peut-on réellement donner vie à un tel objet ?
  • Cette épée, quoiqu’elle soit réellement, est très puissante. Méfiez-vous en.
  • Me méfier ? Jusqu’alors elle ne m’a jamais été dangereuse.
  • En êtes-vous si sûr ? Un tel objet, possédé par un esprit. Je ne peux pas croire que cela soit une œuvre de bienveillance.

Flocon regarda son fourreau dans lequel était enfermé l’épée et soupira en songeant à ces cinq dernières années. Il se demanda un instant si cet objet, aussi atypique qu’il puisse être, pouvait être l’origine de son amnésie. Pourtant, il lui avait semblé que la lame de Mélium était elle aussi prise d’amnésie.

  • Pour l’heure, je ne veux plus vous combattre davantage. J’ai besoin de vous pour retrouver la jeune fille. Veuillez me prêter votre aide, je vous en conjure, sorcière.
  • Qui que vous soyez… Vous semblez honnête, et malgré votre impolitesse, vous semblez également être juste et bon.
  • Parlez-moi de Maistro et d’Idish afin que je puisse les trouver et m’expliquer avec eux.

Elle soupira, vainque.

  • Sachez une chose, ces deux sorciers ne sont pas vos ennemis. Expliqua-t-elle en se relevant sans l’aide proposé.
  • Je vous écoute.
  • Ils sont à l’auberge des Dix Lieux, dans les bois. Dit-elle en montrant la direction.
  • Impossible, j’en viens. Ils n’y étaient pas.
  • Vous en venez ? Naturellement. J’aurais dû le remarquer plus tôt. Vous venez d’un royaume des hommes. Quoiqu’il en soit, si vous venez de cette auberge, alors Maistro et Idish ont dû simplement se déphaser au même moment pour que vous ne vous croisiez pas.
  • Se déphaser ? Qu’est-ce que cela signifie ?
  • Je suis Veia, leur chef, expliqua la sorcière, chaque sorcier est meilleur dans un domaine magique qu’un autre. Idish par exemple a des facilités pour utiliser la magie qui émane des cristaux de Mélium et l’utiliser pour changer de lieu, nous appelons cela se déphaser. Maistro quant à lui est bien meilleur pour modeler la magie à sa guise. Mais ensemble, des sorciers peuvent accomplir de puissantes actions magiques. Ces deux frères sont inoffensifs, soyez-en sûr.
  • Pourquoi me l’ont-ils enlevé dans ce cas ? Interrogea le guerrier.
  • Vous les humains semblez primitifs et ignorants. C’est toujours un plaisir de vous montrer votre petitesse et votre étroitesse d’esprit. Ajouta-t-elle amusée et sans craintes. Si ces deux-là l’ont prise sous leurs ailes, ce n’était pas pour lui faire du mal. Ce sont de joyeux personnages.
  • Dans ce cas je me mets en route dès maintenant. Remercia le Flocon en quittant aussitôt la place silencieusement.

L’étrangeté de cet individu étonna Veia qui songea bien davantage à l’origine d’une telle épée, dont sa caractéristique première relève d’une magie disparue. Puis se tournant vers les confrères restés là silencieux, elle ordonna de reconstruire immédiatement la taverne.

Le Flocon arriva devant l’auberge où des silhouettes se mouvaient à l’intérieur. Il s’avança doucement, à pas de loup, jusqu’à toucher du bout des doigts la porte en bois.

  • Entrez donc Flocon ! S’exclama Maistro en lui ouvrant la porte.
  • Vous ! S’exclama-t-il mitigé.
  • Sire ! Flocon ! S’enthousiasma Aude à la vue de l’homme.
  • Allons mon bon ami, nous sommes partis sur de mauvaises bases ! Cette jeune fille nous a tout raconté. C’est une charmante demoiselle que voilà ! Reprit Maistro en l’invitant à entrer. Veuillez m’excuser pour tout à l’heure. Nous nous devons d’être prudents de nos jours. Et un sold… un homme de votre style avec une fille si jeune, nous ne pouvions que trouver cela étrange.
  • Que voulez-vous dire ? Rétorqua Flocon irrité.
  • Ne vous vexez pas, mais les démons et les monstres rôdent partout à présent. Nous autres sorciers, nous aidons volontiers les pauvres gens dans le besoin, mais rien ne nous assure que la présence humaine soit naturelle et saine.
  • Et nous le faisons avec ma bière ! Relança Idish.
  • Ah ! Flocon ! Ils m’ont montré leur tour de magie ! Vous auriez dû voir cela ! C’était magique ! S’exclama Aude qui ne prêtait pas attention à la discussion des adultes.
  • Je compre… J’ai rencontré votre chef. Répondit calmement le guerrier à ses interlocuteurs. Elle m’a parlé de vous en bien, ce que je comprends mieux à présent.
  • Vous êtes-vous battu contre elle ? La brute. Demanda Idish.
  • Nous avons simplement discuté. Mais là n’est pas le sujet. J’aimerais que vous me parliez d’une chose, sorciers.
  • Oui bien sûr, mais si elle vous a parlé ainsi, c’est que vous l’avez battu en duel. Reprit Maistro d’un ton attentif. Alors qu’est-ce qui vous tracasse ?
  • C’est particulier.
  • Particulier ? Nous sommes fils-de-sorciers, rien n’est particulier en ce monde. Ou bien tout l’est, façon de penser. Songea le premier à voix haute.
  • J’espère que vous ne vous êtes pas trop inquiété aujourd’hui. Ajouta-t-elle sentant que l’atmosphère n’était plus au rire.
  • Non, ne t’en fais pas, Aude. Ça a été. L’important c’est que tu ailles bien et que je me sois trompé aux sujets de ces personnes. Ce que je voudrais savoir, comment une épée peut abriter une âme magique ?
  • Pardon ? s’étonnèrent-ils.

Faisant fi de n’avoir pas compris la question, Maistro rebondit sur un tout autre sujet :

  • Mais comment avez-vous fait pour venir jusqu’ici ! Vous n’êtes pas Sorcier.
  • Les cristaux. Je les ai brisés.
  • Le Melium ! S’offusqua Idish.
  • Non ! Non ! Non ! Il ne faut jamais briser les cristaux de Melium. Jamais ! C’est défendu. Tous le savent. Un cristal renferme les forces de ce monde et cela attire les démons. S’exclama Maistro.
  • Que racontent vos légendes à ce sujet ? Votre chef m’a parlé de…
  • Il n’y a pas de légendes, juste un fait. Les cristaux semblent pousser aux lieux les plus instables, où l’on voit des phénomènes anormaux, où la magie semble se perdre.
  • N’utilisez-vous pas leur magie pour vous déphaser. Répliqua l’homme attentif.
  • Oui, non, non. Nous devons cesser de nous déphaser ici, cela attirera les démons ! S’exclama Maistro qui se dirigea aussitôt vers la sortie. Vous ne devez jamais briser les cristaux ! Quoique l’on vous ait dit à leur sujet, n’en faites rien ! Ces cristaux, c’est comme le mal. Si vous l’utilisez, celui-ci viendra à vous ! C’est défendu !
  • Mais j’ai…
  • Non ! Personne ! Jamais ! Ajouta Maistro suivi d’Idish en passant la porte qui se referma derrière eux, empêchant Flocon de demander plus de détails.
  • Ne partez pas ! S’exclama Aude qui courut vers la porte pour les rattraper.

Tandis que les sorciers s’éloignèrent de l’auberge, Flocon songea au fait qu’il était toujours à cet endroit. Il voulut les rattraper pour leur demander de l’aide afin de se déphaser, mais ouvrant la porte de l’auberge il s’aperçu que c’était déjà le cas. Le décor avait retrouvé la flore d’origine. tout était revenu à la normale, à l’intérieur comme à l’extérieur à l’exception faite des deux individus devant eux.

La jeune fille s’élança contre le premier et s’agrippa fermement à sa tenue en jetant un regard désespéré, les larmes aux yeux, pour les amadouer.

  • Vous ne partez pas, n’est-ce pas ? Ajouta Aude qui sanglotait au pied d’Idish.
  • Aude… C’est mon voyage, et le tien si tu le souhaites. Mais ces sorciers ne sont pas…
  • Ne pleure pas jeune fille, reprit Idish qui s’agenouilla devant elle. Bien sûr que non nous ne partons pas.
  • Comment cela, Idish ? S’étonna Maistro.
  • As-tu vraiment envie de faire face à Veia mon frère ? Rétorqua-t-il tandis que l’autre ravala sa salive.

Idish se redressa et s’avançant vers Flocon il lui proposa de les accompagner jusqu’à ce que la jeune fille soit en sécurité. Quand il jeta un coup d’œil en direction de Maistro, celui-ci acquiesça n’attendant plus que la réponse du guerrier qui, impressionné par la force de persuasion d’Aude, soupira puis accepta pour son bien. Il regarda l’enfant droit dans les yeux et vit en elle un enthousiasme atypique. Il savait que la route qu’il avait empruntée depuis son réveil était trop différente de celle de l’époque pour se repérer. Ces deux sorciers pouvaient certainement l’aider à traverser les royaumes et lui conter les histoires de ces dernières années. Cependant, il récupéra discrètement quelques cristaux qu’il déposa dans la bourse de sa ceinture, sous sa cape.

  • Allons-y Aude.
  • On vous suit sire Flocon ! Ajouta Maistro.
  • Tâchez de ne pas être une gêne. Rétorqua le chef du groupe. Et ne m’appelez plus sire.
  • C’est entendu. Aude nous a dit plus tôt vous être fait appeler Flocon. De quelle cité venez-vous ?
  • Si je vous dis épée magique, cela vous parle-t-il ? Demanda-t-il avec fierté.

Ce dernier se retourna et vit les trois autres accroupies près d’un tronc d’arbre.

  • Il y a un incroyable champignon là ! Tu as vu Idish ! Fit Maistro.
  • Où ça ! Où ça ? Demanda Aude en bondissant à leur côté.
  • Oh que oui, une bonne soupe au champignon pour ce soir. Écarte-toi, je vais le récupérer. Répondit à son tour Idish.

Le Flocon s’étonna du caractère particulier des deux individus. Ils venaient de l’ignorer au beau milieu d’une conversation qui semblait importante.

Chapitre 6 :  La Coalition

 

  • Je souhaiterai rejoindre le Nord, en apprendre plus sur ces hordes de monstres qui parcourent les terres des hommes, ainsi que trouver des réponses à d’autres questions.
  • Si ce sont des réponses que vous cherchez, les anciens sorciers, nos aînés ont pour rôle de préserver la connaissance depuis des siècles. Nous savons où vous devez vous rendre. Il existe un lieu sacré et qui nous est défendu. Là-bas se trouve sans doute de nombreuses réponses à vos questions. Si vous voulez en savoir plus sur l’origine de cette horde de monstres, de ce qui a pu se passer ces dernières années, ou sur votre épée, alors nous vous y emmènerons.
  • De quel endroit s’agit-il, sorciers ? Qu’y a-t-il là-bas ? Pourquoi tant de mystères ? Questionna Flocon.
  • Nous nous rendrons à la Faille. Il s’agit des tréfonds d’un gouffre, couvert de cristaux de Mélium, qui apparut il y a bien longtemps, déchirant le monde en deux.

« Des cristaux de Mélium. Serait-ce de cela dont je suis fait ? » Fit la voix quand il toucha la poignée de l’épée.

Flocon réfléchissait quelques instants, et songeant à ces découvertes, il se persuada bien vite qu’atteindre cet endroit était le meilleur moyen d’apprendre rapidement tout ce à quoi il avait échappé durant son sommeil. Il accepta et leur demanda de se mettre aussitôt en route. Rien ne semblait désormais plus important que d’obtenir des réponses.

Sur le chemin, Maistro s’amusa avec Aude en lui montrant les magnifiques tours qu’il avait perfectionnés avec le temps. Des halos de lumières tournoyaient autour de lui, des cerceaux et des boules lumineuses flottaient au-dessus de leur tête.

Derrière eux, Idish et Flocon discutaient :

  • Parlez m’en plus, reprit Flocon, cette Forêt Pourpre. Cette gigantesque forêt qui s’étend du Nord au Sud le long de la Faille. Elle m’avait semblé dangereuse jadis quand je longeais le précipice en direction du Sud. Mais n’existe-t-il pas des ponts qui permettent de traverser par-dessus cette Faille.
  • Je vois que vous êtes déjà bien au courant des dangers de ce lieu. Heureusement, nulle construction n’y est possible. La magie qui y baigne est obscure et puissante. Toutes les tentatives des hommes, et même celles des démons sur l’autre rive ont échoué. Cette magie dévore tout. Mais cette Forêt Pourpre comme tout le reste au-delà de ce faussé est un danger pour ce monde. D’aussi loin que je m’en souvienne, les sorciers ont craint l’idée que ces deux côtés puissent un jour être réunis. La Forêt s’étend sur toute la longueur de la Faille, et continue sa route à travers les mers. L’eau qui la surplombe est aqueuse et noire. Encore une fois, l’Ouest devrait à jamais se priver de l’Est.
  • Qu’y avait-il avant le Cataclysme ?
  • Vous êtes au courant de cela ?
  • De vieux parchemins énumèrent quelques lignes d’un cataclysme à l’origine de la Faille.
  • Vous êtes bien le premier humain de qui j’entends de tels propos. Oui cette catastrophe a changé la face du monde. Mais son origine reste incertaine. Etait-il naturel ? Ou bien… Mais certains des anciens sorciers affirmaient qu’avant cette tragédie, cette Forêt Pourpre n’existait pas, Expliqua Idish.
  • Ou bien ? Qu’alliez-vous dire ? Reprit Flocon.
  • Si cette Faille est le seul endroit où vous pouvez trouver des réponses concernant votre épée, c’est parce que ce trou semble être apparu au moment où les mages et les sages se faisaient la guerre. Veila, notre chef, nous a interdit de nous y rendre. Dire que vous connaissez son nom, Flocon. Votre combat a dû être rude pour qu’elle vous le donne. Notre Chef n’a jamais partagé aucune information sur elle aux étrangers. J’aurai aimé être présent pour voir cela.
  • Ne vous dispersez pas, Idish, racontez-moi pourquoi il vous ait interdit d’accéder à ce lieu sacré.
  • Très bien, Flocon. Nous autres, sorciers, sommes ce qui se rapproche le plus de l’espèce des Mages. Nous avons acquis un savoir magique important. Et nos anciens craignent que si l’un des nôtres se rende en ce lieu nous risquerions de devenir fou, ou pire encore, aussi mauvais que les démons.
  • Des suppositions vous empêchent d’atteindre les réponses à toutes vos questions ? N’y a-t-il jamais eu personne pour vérifier que les dires de vos aïeux ne sont pas un ramassis de craintes ? S’interloqua le guerrier.
  • Hélas, si, Flocon. L’époux de notre chef s’y est aventuré malgré les mises en garde. Il n’est jamais revenu.
  • J’en suis désolé. S’excusa amicalement le Flocon.
  • Cela s’est passé il y a deux ans, quand les premiers camps de sorciers se sont faits attaqués sur ces terres. Les plus éloignés des nôtres, reclus au Sud, ont été décimés. A ce moment-là, notre mentor à tous, l’époux de Veila, a décidé de découvrir comment combattre les démons et est partis jusqu’à la Faille pour y trouver cet endroit des réponses. Sa femme, quant à elle est partie à sa poursuite pour l’en dissuader. Quand elle arriva, il était trop tard. De cet être cher il ne restait plus que son épée au sommet du précipice, celle-ci même qu’elle porte à sa taille à présent. Quand elle revint au camp, elle s’enferma des semaines durant et fit son deuil sans l’aide de personne. Un beau jour, je m’en souviens comme si c’était hier, elle était sortie de sa tente, l’épée à la ceinture, et comme je passais devant, elle m’accompagna jusqu’à la taverne où je me rendais. Elle était enfin prête à reprendre les commandes. Depuis lors, elle nous protégea corps et âme de tous les maléfices extérieurs. Conta Idish.
  • Cette sorcière est donc ce genre de personne… Cela ne m’étonne pas, sa combativité était exemplaire. J’espère ne pas l’avoir fait souffrir.
  • Ne vous en faites pas. En vous donnant son nom elle vous a témoigné son respect.
  • Devrions-nous emmené Aude à cet endroit ? Après toute cette histoire, je ne voudrais pas qu’il lui arrive malheur. Elle est si jeune. Ajouta le guerrier en regardant Aude du coin de l’œil.
  • C’est une grande fille. Vous devriez la laisser vivre. Il faudra bien qu’elle fasse face à la vie au plus vite.
  • Sans doute avez-vous raison. Je l’ai sauvé des griffes de monstres, mais il m’est difficile de croire qu’elle pourra affronter cette vie seule un jour. Alors, croyez-vous que nous puissions rencontrer ces Sages dans le gouffre ?
  • Rencontrer des Sages ? Cela me semble improbable. D’après les anciens, ils ont disparu, comme les Mages, au moment du Cataclysme.
  • Mais en considérant que des réponses impensables se trouvent là-bas, à quoi d’autres devrait-on s’attendre ?
  • S’il existe encore des individus de ce peuple dans ces tréfonds, Flocon, alors expliquez-moi pourquoi n’en sont-ils pas sortis ? Après tout, ils étaient tellement puissants, tellement respectés. Ils étaient les opposés des Mages et de leur vil désir de maîtriser les royaumes. S’ils en existent encore en vie, je ne vois pas ce qui pourrait les empêcher de se montrer. C’est pourquoi, nous ne croyons pas qu’il en existe encore. Ni des Mages d’ailleurs. Et la présence de cet étrange cristal nous préserve de s’en approcher. La magie qui doit siéger là-bas ne peut être que maléfique.
  • Alors pourquoi…
  • Malgré tout, ajouta Idish en lui coupant la parole, s’il existe bien un lieu dont nous n’avons jamais rien véritablement su, c’est bien ce gouffre. Même notre Chef ne sait quoi dire sur cet endroit obscur. Il y règne les ténèbres.
  • Alors pourquoi vouloir m’y emmener si vous êtes défendu d’approcher, sorciers ?
  • Nous n’y pénètrerons pas. Nous vous y amènerons, nous y descendrons peut-être si l’endroit nous le permet, mais à la moindre sensation étrange, à la moindre magie, nous vous laisserons continuer seul, Flocon.
  • Ainsi, il existe un endroit où règne le mal, et tout ce qui s’y trouve est peut-être la réponse à toutes les questions que l’on pourrait se poser. Et s’il y existait encore de ces Mages ?
  • N’y songez plus, Flocon. Avec toutes ces questions, vous me faites croire que l’on va regretter de vous avoir proposé de vous y conduire.
  • Non, non. C’est assez. Nous verrons bien sur place. Quelle direction prendre ?
  • Vous souvenez-vous d’un fort d’épéistes ? Au bout de ces terres, jonchant la Faille, faisant face à la Forêt Pourpre, il existe un chemin taillé dans la pierre qui descend jusqu’à mi-hauteur du gouffre. Les hommes avaient voulu construire un chemin pour récupérer les cristaux. Mais les fondations n’ont jamais tenue et sans doute la folie aura pris quelques-uns d’entre eux.
  • Je ne pourrais oublier ce peuple. Affirma Flocon qui se souvenait de ses rencontres passées. Ainsi notre destin est lié, nous devons y retourner et découvrir ce que cet endroit sacré cache aux mondes.

Idish crut apercevoir un sourire d’enthousiasme sur le visage de son nouveau compagnon qui le persuada de ne rien ajouter. Il savait que les dangers de leur monde s’étaient amplifiés depuis le vagabondage du guerrier, mais peut-être devait-il tout de même laisser de l’espoir à cet homme qu’il voyait.

Ils partirent vers ces lieux. Flocon ne reconnut aucun décor, aucun sentier de terre, ou prairie entre deux parcelles de forêt. Les sorciers quant à eux connaissaient bien ces environs. Tout ce qui était à l’Ouest de la Faille leur était connu et minutieusement cartographié. Aude gambadait comme un cerf au beau milieu des paysages, suivis de Maistro et d’Idish qui s’enchantaient de sortir de leur quotidien pour accomplir de plus grands dessins que ceux qu’ils prévoyaient dans leurs auberges. Ces deux-là discutèrent surtout de ce qui allait leur manquer le plus, et notamment les grognements et le comportement de leur chef. De temps à autres ils jetaient de rapides coups d’œil dans la direction de Flocon en s’amusant d’accompagner un être qui avait pu la battre.

  • Tu vois, il semble qu’un sorcier, aussi bon soit-il, ne peut rivaliser avec unvrai épéiste. Chuchota Maistro.
  • C’est vrai qu’il est difficile à croire que Flocon ait pu battre la chef… Pourquoi ne pourrait-on pas maîtriser plus de magie nous aussi ?
  • Parce que nous sommes seulement fils-de-sorciers, tiens ! Ajouta Maistro qui gardait toujours son sourire.
  • C’est injuste. Les Sages, eux, le pouvaient. C’est décidé, je vais devenir Sage.
  • Ne dis pas de bêtises. Si tu deviens Sage, comment pourrais-je m’amuser encore autant avec toi, tu resteras cloîtrer à ne rien pouvoir faire, même pas une bêtise de temps en temps ! Tu seras trop sage pour ça !
  • Ah… Tu as raison, ce serait une vie bien monotone. Devoir rester sage. Passer ses journées à connaître des vérités ignorées du reste du monde, reclus dans un lieu inconnu… Il n’y a rien qui puisse être bien réjouissant là-dedans.
  • Reste donc avec moi et nous boirons la meilleure bière qu’il soit jusqu’à la fin des temps.
  • Oh ! Tu me connais trop bien Maistro. Comment refuser de confectionner cet élixir doré, sa mousse onctueuse, et cette saveur… Peut-être pourrais-je en faire un peu quand nous serons arrivés. Je doute que nous fassions quelques pas vers l’intérieur de l’antre maléfique. Flocon entrera seul, j’aurais le temps de faire apparaître la distillerie, qu’en penses-tu !
  • Quelle bonne idée ! Une bonne bière pour patienter. J’ai un peu peur mon frère, je dois bien l’admettre. Je ne veux pas que tu disparaisses, Maistro.
  • Je me demande de qui des deux tu tiens ce trait craintif. Pense un peu à moi, je ne pourrais plus profiter de ton si bon breuvage si je venais à disparaître ! Argumentait Maistro.

Ils continuèrent de discuter en alternant rire et chuchotement jusqu’au moment où Aude s’écria d’effrois.

  • Que se passe-t-il ? Demanda Flocon qui la rejoignit en trombe.

Elle était figée devant un spectacle morbide. Quand il arriva à ses côtés il observa silencieusement un spectacle étonnamment répugnant.

  • Qu’est-ce que cela ? Ajouta Maistro en s’avançant au-devant de la troupe.
  • C’est un miracle… Un miracle. Répondit Idish.
  • Un miracle ? De quoi parlez-vous ! Reprit Flocon haussant la voix et détournant le regard de la jeune fille.

Il la fit s’asseoir sur un rocher un peu plus loin et la réconforta. Les sorciers s’avancèrent à leurs côtés et Maistro reprit d’un ton sérieux :

  • C’est un miracle qu’il y ait une telle étendue de cadavres de monstres.
  • Expliquez-vous. Fit le Flocon en regardant le champ de bataille.
  • D’après notre carte, de l’autre côté de la colline qui nous fait face, se trouve des plaines jusqu’à la Faille.
  • Et cette bataille, ça ne peut être que la Coalition Humaine qui en est responsable. Il n’y a pas d’autres armées en ces terres capables de cela. Renchérit Idish.
  • La Coalition Humaine ? Qu’est-ce encore que cela ?
  • Ici, c’est un champ de bataille, ne voyez-vous pas ? Toutes ces lames plantées dans le sol, traversant le corps de ces êtres. C’est sans nul doute cette armée qui a fait cela. Nous en avions entendu parler lors des premiers combats. Les royaumes des hommes se sont unis pour forger une alliance puissante. Les quelques rescapés des camps de sorciers de ce monde nous ont conté cet exploit.
  • Il est vrai que l’on peut dire cela, Maistro. C’est un exploit que l’homme, aussi égoïste qu’il puisse être, se soit rassemblé devant l’adversité. Une Coaliton ! Ils n’ont pas fait les choses à moitié. Ajouta Idish.
  • Vous dites que les empires de l’Ouest se sont unis ? Reprit Flocon.
  • Exactement, et voilà le résultat. Affirma Maistro en contemplant le champ de bataille.
  • Une Coalition. C’est donc un pacte de défenses entre chacun des royaumes humains afin de consolider leur force.

« C’est un sacré spectacle. »

  • Comment fais-tu pour voir ? N’es-tu pas qu’une épée ? Chuchota-t-il.

« Je ne sais ce que je suis. C’est ce que tu as promis de découvrir, rappelle-toi. Quant au reste, dès que tu me tiens, je suis capable de voir à travers ton regard et de ressentir ce que tu ressens. As-tu peur que je lise dans tes pensées ? »

A ces mots, il lâcha aussitôt l’anse et regardant la jeune fille apeurée, il reprit ses esprits et ajouta :

  • Ne pouvons-nous pas contourner ? Je n’aimerais pas qu’elle…
  • C’est bon ! J’ai été surprise, mais je ne suis plus une enfant ! S’exclama-t-elle n’ayant pas envie de créer davantage de soucis à son sauveur.

Des larmes de terreurs coulaient sur ses joues rosées mais l’angoisse d’être un frein à ses nouveaux compagnons lui donna plus de courage encore.

  • Vous voyez, Flocon, cet enfant n’est plus la victime que vous avez secourue. Vous devriez vous y faire. Et ne plus vous en soucier de la sorte vous permettra de vous concentrer sur la suite. Termina Idish.

Ils s’avancèrent jusqu’au pied du terrain, au cœur de la vallée et se mirent à le traverser.

Là, s’apprêtant à marcher à travers les corps qui jonchaient le sol, une silhouette apparut au loin. Un cadavre se relevait. Ce n’était pas tant un cadavre qu’une carcasse à peine vivante, dont le souffle se coupait par intermittence et où l’on distinguait le regard bestial malgré la distance.

  • Qu’est-ce ? Demanda Flocon en soulevant sa cape et dégageant son fourreau.
  • Un monstre, répondit Maistro, un monstre. Cette bataille est encore jeune. La terre est à peine sèche du sang qui s’y est déversé, quelques êtres ont pu survivre.
  • Devrons-nous combattre ? Demanda Aude terrifiée.
  • S’il y en a un qui s’est relevé, il se peut qu’il y en ait d’autres, Flocon. Remarqua Maistro.

Le guerrier empoigna son arme et avança tout en fixant le monstre qui restait immobile au loin.

« Que vas-tu faire ?  N’as-tu pas remarqué que c’est un piège ? N’as-tu pas ressenti leur corps vivant au sol ? »

  • De quel piège parlez-vous ? Demanda-t-il à haute voix.

« Le piège va se refermer. Quelle est la proie la plus facile ? La jeune fille peut-être ? »

Le Flocon se retourna en direction d’Aude. Il ne s’expliquait pas comment l’esprit de l’épée avait pu ressentir ainsi les choses. Parmi les cadavres, de nombreux corps se mouvaient à nouveau, tout autour d’eux.

  • Faites attention ! S’écria le guerrier à quelques mètres du groupe.
  • Idish ! Aude ! Rapprochez-vous ! Ordonna Maistro qui observait les monstres se relever.

« Que vas-tu faire ? Tu n’es pas de ceux qui fuient. »

Il sentit le piège se resserrer. Déjà ses amis se trouvaient encercler et il manquait de temps pour les rejoindre.

« Tu n’es pas assez puissant. Tu n’es pas encore assez fort. »

  • Me pensez-vous si faible ? Je ne les laisserai pas tomber.

Il rengaina son épée et tendant les mains vers ses compagnons, il se concentra sur son pouvoir. Ses yeux se mirent à briller d’une lueur grisâtre. La cape se mit à flotter sur le souffle du vent qui s’intensifiait tout autour d’eux, à quelques pouces du sol. Il s’apprêta à lever les mains au ciel pour en appeler à la puissance magique du vent, quand soudain, à quelques centimètres de lui, l’espace d’un court instant, sifflant dans l’air, des flèches parfaitement taillées traversèrent le champ de bataille et se logèrent dans les corps des monstres encore vivant. Il se retourna et vit une nuée de flèches s’abattre sur le champ de bataille, précisément sur les êtres qui se relevaient jusqu’alors.

  • Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Demanda Idish qui n’en revenait pas.
  • Là-bas, sur la colline, fit Maistro, regardez !
  • Des hommes ! S’exclama Aude.

Le Flocon regarda en leur direction et vit non seulement les archers, mais toute une avant-garde. Peut-être cent, ou deux cent archers qui se tenaient face à eux et qui venaient de les sauver.

En les rejoignant, ces derniers les entourèrent aussitôt. Un individu dont la tunique laissait paraître son haut-poste militaire, s’avança vers la troupe, fit face à Flocon et leur ordonna de déposer leurs affaires.

  • Qui êtes-vous ? Demanda Flocon qui glissa à nouveau sa main sur son fourreau.
  • J’éviterais de sortir votre arme si j’étais vous. Dit un autre archer qui s’avança par l’arrière.
  • Nous devrions répondre à leurs attentes sans discuter, Flocon. Ils nous ont sauvés. Dit Idish en enlevant doucement sa tunique de sorcier.
  • Et je leur en suis gré. Mais je n’aime pas leurs manières. Alors je vous le dis, se tournant vers les inconnus, si vous ne baissez pas vos arcs, vos flèches n’auront pas le temps de se décocher que je vous aurais coupé les bras à tous !

« Il est fou ! » Pensa Maistro.

Les hommes des bois s’étonnèrent du comportement arrogant de l’interlocuteur vêtu de blanc. Le plus proche de l’opposant tira davantage sur sa corde craignant une attaque surprise :

  • Je vous le répète, dit le gradé avec moins de conviction qu’à ses premiers mots, déposez vos affaires au sol.
  • Je n’en ferais rien avant vous. Répondit Flocon qui commençait à sortir doucement la lame de son fourreau sans quitter le regard de son interlocuteur.

« Que comptes-tu faire ? Ils viennent de les sauver. »

  • Vous… Nous sommes les éclaireurs du royaume des Hommes. Nous vous avons vu traverser la vallée et venir en notre direction. Vous avez éveillé les derniers monstres. Quelles étaient vos attentions ?
  • Ah ! S’exclama-t-il en relâchant son arme, rassuré de les entendre venir du royaume des Hommes. Je vous présente Aude, une amie. Les deux sorciers que voici sont mes compagnons, Idish et Maistro. Je m’appelle Flocon. Nous ne sommes pas hostiles. Veuillez nous laisser traverser vos terres. Nous devons rejoindre la Faille.

L’archer, étonné, baissa son arme, suivi de ses acolytes. Il s’avança à hauteur de l’épéiste et lui demanda de sortir son épée. Ce dernier, intrigué, la brandit d’un seul coup.

  • C’est bien vous, affirma l’archer en contemplant les inscriptions à la base de la lame, vous êtes revenus ! Veuillez nous suivre, la reine voudra vous voir.
  • Nous connaissons-nous ? Interrogea le Flocon interloqué.
  • Non, chevalier, mais la reine est impatiente de votre retour.
  • La reine ? Songea Maistro stupéfait.

Escortés, ils se mirent tous en route. Le guerrier sentit qu’il se rapprochait de la jeune femme qu’il avait sauvée jadis dans ce royaume d’épéistes. Peut-être était-elle devenue reine aujourd’hui. Ils descendirent l’autre flan de la colline par un sentier de pierre qui dominait deux paysages bien différents. Derrière eux, le Sud à perte de vue et devant eux, le Nord, délimité par l’immense Faille et les cimes de la Forêt Pourpre qu’ils devinaient au loin. Regardant à nouveau dans la direction des terres, le groupe s’étonna de voir les nouvelles fortifications qui longeaient la brèche. Jusqu’à l’horizon, des remparts et des forts surplombaient les profondeurs terrestres, et les plaines des terres intérieures étaient délimitées par d’autres remparts plus élevés et nettement plus fortifiés encore.

  • Tous les royaumes ont dû se rassembler ici… C’est incroyable. S’étonna Maistro.

Les deux Fils-de-sorciers s’essayèrent à discuter avec les sauveurs mais ces derniers restèrent muets. La jeune fille, quant à elle, regardait son héros et observait qu’il était plus enjoué qu’à l’accoutumé. Cette reine était quelqu’un qu’il appréciait et cela la rendit jalouse comme elle ignorait pouvoir l’être. Elle serra les poings et avança machinalement. Le premier de la troupe, qui était directement suivi de Flocon ne put s’empêcher de lui adresser la parole pendant leur marche :

  • Nous avons beaucoup entendu parler des exploits de Flocon, jadis.
  • Vraiment ?
  • Vous avez terrassé les brigands qui oppressaient ce royaume et avez atteint la ville cachée dénommée Petra.
  • Le temps où l’on pouvait voyager à travers les terres sans trop risquer sa vie n’est plus d’actualité. Quand je suis venu ici il y a de ça quelques années, ce n’étaient que des prairies. Aujourd’hui, il y a des forts à perte de vue. C’est bien le signe que le monde est face à un danger qui l’ébranle.
  • Vous ne semblez pas si âgé pourtant. Mais c’est vrai, du jour au lendemain, des monstres sont apparus aux quatre coins du continent et beaucoup de sang a été versé. Certains royaumes se sont alliés pour repousser ces bêtes. Puis, de bouche à oreille, nous avons entendu parler de château qui n’avait qu’un flanc à défendre, érigé devant la Faille. Moi-même venant du Sud, une campagne aride où se trouvait la cité de Petra et lorsque les monstres sont arrivés, sortant des sables et des terres, détruisant tout sur leur passage, la population de Petra se mit en marche vers le Nord fuyant en emmenant tous les survivants avec eux. L’homme qui était à la tête du convoi… était persuadé qu’il existait un royaume préparé pour tout cela. Et arriver devant cette Faille, comme certains l’appellent, les populations se sont entre-aidées, on construit un pont, et ont fortifié des fronts qui existaient déjà de l’autre côté. La reine, quant à elle, était déjà présente avant notre arrivée.
  • Les stratèges de nos armées ont fait croire à un campement au creux de la vallée. La marche des monstres, bruyantes depuis les plaines de Sud, permirent aux armées de se préparer en de pareille opportunité. L’embuscade était parfaite. Nous autres archers, n’avons eu aucun mal à les défaire. Pris en contre-bas, ils étaient piégés dans la vallée, et nous avons été victorieux sans n’avoir aucun combattant sur place. Mais nous avons eu pour ordre de revenir chaque jour de ces six derniers mois afin de vérifier qu’aucun d’entre eux n’avaient survécu et risquer d’appeler des renforts.
  • D’où venaient-ils ? Du Sud ?
  • Nous l’ignorons. Murmura le garde.
  • Les hommes sont capables de grandes choses quand ils s’allient. S’émerveilla l’épéiste.
  • C’est en partie grâce à notre reine. Elle a tout fait pour que les royaumes ne fassent qu’un. Si nous sommes encore debout en ce jour, c’est en partie grâce à sa diplomatie.

« Tu t’es occupé du Sud. Nuls renforts ne pourraient être appelés dorénavant. »

Il se sentit rempli de joie en apprenant que cette femme était toujours en vie et que l’homme qu’il avait rencontré à Petra était devenu bon et respectueux. Le soleil frappait fort et éclairait les abords de la Faille. Devant eux, les premiers remparts les empêcheraient bientôt d’observer l’horizon.

  • Nous vous laissons ici. La garde va vous emmener jusqu’à bon port. Dit l’archer en saluant avec respect les aventuriers.
  • Veuillez me suivre. Reprit un grand homme dont une cotte de maille recouvrait tout son buste.

Ce dernier resta silencieux sur tout le trajet. En pénétrant les différentes aires de ce nouveau fort, les quatre compagnons remarquèrent que chaque citoyen portait une arme ou qu’ils en possédaient une à proximité. Le premier d’entre eux, un fermier, avait non loin de lui une fourche dont les dents étaient brillantes comme la lame d’une épée. Flocon se remémora non sans plaisir les mouvements du forgeron qui façonnait jadis toutes les épées de ce royaume. Aujourd’hui, même le paysan pouvait se défendre avec ses propres outils.

En avançant encore, ils passèrent au total trois remparts. Le château lui-même avait été également fortifié et il semblait immense, imposant et surtout imprenable. Des draps flottaient tout autour des murs avec l’emblème d’épées cousues dessus.

Flocon, sentant qu’il se rapprochait de plus en plus, en devint impatient.

Le garde s’arrêta devant les marches du château et fit signe à la troupe de les monter seule. De belles marches taillées dans la pierre.

  • Nous y voilà. Fit Maistro devant la grande porte, en haut de l’escalier.
  • Tout a bien changé ici. Ce lieu est devenu de toute beauté. Répondit Flocon émerveillé.
  • Quelle étrange porte. Il n’y a aucune poignée. Comment peut-on l’ouvrir ? Demanda Idish en regardant ses compagnons.
  • Vous ne pourrez pas. Cette porte ne s’ouvre que de l’intérieur. Le même système était installé dans la cité de Petra quand j’y aie séjourné. C’est un bon système de défense. Je reconnais bien là la touche personnelle d’Efferus. Laissez-moi faire, je vais m’en occuper.

Il s’avança, tendit ses bras pour s’entourer d’un vent puissant tandis que ses compagnons reculèrent d’un pas.

  • C’est donc cela la puissance de cette magie. Je la ressens jusque dans mes entrailles. Songea Maistro qui appréciait de voir un pareil exercice.

Le Flocon s’appuya sur sa jambe arrière et d’un coup sec il projeta ses bras vers l’arrière, dégageant ainsi l’entrée. Là les hommes et la jeune fille comprenaient mieux quelle force l’avait maintenu en vie toutes ces années.

  • Hola ! Firent les gardes postés à l’intérieur, surpris.
  • Ne vous fâchez pas. Nous sommes invités par la reine. Je me suis permis d’ouvrir la porte. S’expliqua Flocon.

Au pied de l’escalier, le garde sonna un petit gong avertissant de l’arrivée de personnes importantes. Au son, les soldats postés à l’intérieur reprirent calmement :

  • Qui devons-nous annoncer à la reine ?
  • La troupe de Flocon. Répondit Idish fièrement.

Les soldats s’étonnèrent d’entendre ce nom. Mais leur statut les obligeait à rester neutre et à amener les invités jusqu’à la cour. De part et d’autre des murs du château l’on pouvait observer les plus belles épées forgées du royaume, les nombreux blasons des royaumes qui s’étaient unis à la cause au cours du temps, et quelques armures atypiques sur des mannequins de bois et de pailles.

  • La reine, c’est donc bien la princesse d’autrefois dont vous nous avez parlé n’est-ce pas ? Demanda Maistro en marchant à hauteur de Flocon.
  • Oui, c’est elle. Ça ne fait aucun doute.
  • Où se trouve le roi ?
  • Le roi… Je n’en ai pas la moindre idée. Jadis il n’y en avait pas. Croyez-vous que cela change quelque chose ? Demanda Flocon irrité.
  • Je ne sais pas. Les hommes sont-ils aptes à se faire diriger par une femme ? Quoiqu’il en soit, vous m’avez impressionné à l’instant ! Ajouta Maistro en voyant que ce qu’il venait de dire ne l’avait pas ravi.

Ils entrèrent dans une antichambre, entre le couloir et la salle du trône.

  • La reine va vous recevoir. Laissez toutes vos armes ici. Coupa le garde en s’adressant à Flocon et désignant une longue table qui longeait un mur surplombés d’armes en tout genre.
  • Je comprends votre méfiance. Veuillez apporter mon épée auprès de la reine. Répondit-il compréhensif.

Il détacha son fourreau de sa tenue et le remit au soldat. D’étranges objets et notamment des bouts de bois étaient également déposés par les Fils-de-sorciers. Amusée, Aude enleva tout ce qu’elle avait dans ses poches, à savoir quelques brindilles et graines qu’elle avait ramassé dans la forêt. Les gardes royaux qui observaient silencieusement les arrivants se démunir de leurs objets, montraient quelques haussements de sourcils, étonnés d’apercevoir pour la première fois des sorciers.

  • Il est l’heure.  Dit impatient Flocon qui se tenait devant les portes.

Les gardes se mirent en rang de chaque côté des nouveaux venus et tous ensemble ils escortèrent la troupe dans la grande salle du château où l’on devinait siéger au loin la reine. Tout autour d’eux, d’autres gens conversaient. Il s’agissait là des représentants de chaque royaume de la Coalition, réunis ici pour discuter de l’avenir des armées, et s’entretenir avec Sa Majesté.

Le chef de la garde annonça :

  • Voici la troupe du Flocon !

À cet instant, les murmures s’effacèrent au profit d’un silence inattendu. Seul le bruit des armures des gardes résonnait alors. Tous les regards fixaient scrupuleusement les étrangers et plus particulièrement l’homme que l’on voyait à peine derrière le chef de garde.

  • Je n’ai jamais aimé les châteaux. Il y a beaucoup trop de monde. Chuchota Maistro à son compagnon et tenant la main de la jeune fille.
  • Je me demande surtout comment nous allons pouvoir atteindre la Faille à présent que ce royaume humain à retrouver son Flocon. Lui répondit Idish sur le même ton.
  • Que veux-tu dire par là ?
  • Je ne suis pas certain que les hommes fassent passer le souhait de Flocon avant leurs intérêts…

La troupe s’arrêta brusquement. Les gardes se dispersèrent devant la foule et le commandant s’avança jusqu’au trône en y faisant révérence :

  • Majesté, cet homme prétend être Flocon, votre sauveur.

Il fit place à l’invité.

  • Vous ! Dit soudainement d’un ton sévère la femme qui se dressait devant le guerrier désarmé.
  • Lui… Pensait Efferus qui se tenait silencieux à ses côtés.

La foule sembla retenir son souffle ne sachant pas quel sens donné à cette sèche réaction.

Elle se leva de son trône, attrapa la poignée de l’épée que le garde avait rapporté tout proche et la brandit vers l’invité.

Tous retinrent leur souffle en voyant l’horreur d’un tel acte.

La cible prit la parole en souriant, lorsqu’elle tendit l’épée à son propriétaire :

  • Majesté.
  • Des rescapés des campements du Sud ont parlé d’un sauveur en cape blanche et à l’épée atypique.
  • Je n’ai fait que mon devoir.
  • Pour récompenser vos actes de bravoure, vous êtes libre de circuler dans le royaume…
  • Flocon, c’est ainsi que l’on me nomme.
  • Efferus… est un soldat hors pair et le premier des hommes à m’avoir conté votre histoire après l’avoir entendu auprès du peuple. C’est un homme fidèle et sage. Vous pourrez compter sur lui.
  • Parlez, nous sommes ici en bons termes, dit la reine.

Elle s’avança tout proche de Flocon elle ajouta d’une voix légère : je ne peux vous témoigner la joie que j’ai de vous voir tant le mal semble grandir tout proche. Votre arrivée nourrit l’espoir du peuple.

Flocon fut surpris de l’entendre parler avec si peu de vigueur. À son tour, il répondit :

  • Hélas, mon arrivée en ces murs est un hasard. Je souhaiterai atteindre l’autre rive de la Faille et trouver des réponses.
  • La Faille ? Que me racontez-vous là ? C’est impossible. Nul ne peut la traverser. Ceux qui ont essayé ont été tués. Il semblerait qu’un être dangereux habite la forêt qui longe l’autre rive de cet endroit.
  • Ayez confiance, je dois m’y rendre, sans quoi je ne pourrais vous être plus utile.
  • Réfléchissez Flocon, nul ne revient jamais de cet endroit maléfique. Restez avec nous, prêtez votre force à notre armée. Repoussons ensemble l’ennemi. Nous sommes déjà arrivés si loin grâce à la Coalition des royaumes. Avec vous à la tête de nos armées, nous pourrions repousser le mal !

La reine, voyant qu’elle sortait de ses gongs, reprit son calme :

  • Soyez les bienvenues. Vous pourrez rester autant que vous le souhaitez. Ce soir, nous festoierons en l’honneur de votre retour. Vos amis sont ici chez eux. Nous discuterons de vos projets plus tard.
  • Je vous remercie Majesté, fit Flocon avec révérence, et nous acceptons cette généreuse hospitalité.

Il se redressa et tendant la main vers la reine, cette dernière lui rendit son épée.

« Cette femme a bien mûrit. Mais je n’ai pas apprécié le ton sur lequel elle vous sied de rester ici. »

Fit la voix de l’arme quand Flocon la reprit en main.

Il resta silencieux et regagna les sorciers qui ne comprenaient pas le comportement de leur camarade.

  • Pourquoi rester, Flocon ? Il nous faut partir, bien au contraire ! Chuchota Maistro.
  • Soyez patients, mes amis. Regardez ce royaume et ces gens. Nous sommes leurs invités. Nous ne pouvons tourner le dos à une alliance si importante. Prenez le temps de vous reposer ce soir, de vous divertir. Nous partirons dans la nuit.
  • Brillante idée. Ne froissons pas les esprits de vos proches. Confirma Idish.

La reine se rassit sur son trône et laissa ses invités sortir de la salle. Tandis que la garde les emmenait dans une grande chambre où ils furent installés, elle songea au retour de cet homme qui l’avait sauvé et dont elle n’avait jamais cessé d’espérer son retour.

Après une heure ou deux, on frappa à la porte :

  • Entrez, fit Idish qui inspectait depuis lors chaque recoin de la pièce à la recherche d’un peu d’or.

Efferus entra. Il referma la porte doucement derrière lui comme s’il craignait d’être surpris par des gardes ou la reine elle-même.

  • Efferus, mon ami ! Que puis-je faire pour vous ? Demanda Flocon qui était resté sur le balcon.
  • Vous semblez suivre un but honorable. Votre quête n’a jamais été ébranlée. Je sais que nous pouvons compter sur vous, Flocon, si l’avenir devenait incertain face aux forces qui nous confrontent. Alors je ne peux que vous aidez en ce jour à atteindre votre but.
  • Efferus…
  • Si vous souhaitez atteindre la Faille, il y a un escalier façonné dans la pierre qui commence à la porte Est du rempart. Cependant, cette structure n’a jamais vu le bout, car les hommes s’étant trop approchés des profondeurs ont disparu à tout jamais. Et là-bas, nulle lumière ne peut vous éclairer. Cet endroit est étrange, et tout ce qui y entre n’en sort jamais. J’espère que ces sorciers vous protègeront. S’il y a bien une personne capable de traverser un gouffre pareil, c’est vous. Je vous fais confiance pour en sortir et revenir indemne.
  • Mon ami, je garde vos pensées pour quand j’y serais, et vous promets de ne pas sombrer à mon tour dans ce lieu inconnu.
  • Oui, reprit Maistro qui sortait d’une pièce avoisinante à la chambre, nous ferons notre possible pour nous protéger.
  • Je vous aiderai. Ce soir, le buffet sera grandiose, et tous festoierons joyeusement de votre retour. Plus tard dans la nuit, je vous accompagnerai, je vous ouvrirai les portes de notre cité et vous conduirai jusqu’à cet escalier.
  • Qu’allez-vous dire à la reine, après notre départ ? S’inquiéta Flocon du sort de son ami.
  • Ne vous inquiétez pas. Sa Majesté comprendra. Elle ne peut en vouloir à l’homme qu’elle admire le plus… À présent je vous laisse. Nous nous retrouverons dans la grande salle à manger un peu plus tard.

Efferus sortit de la chambre. Puis Maistro et Aude s’approchèrent de Flocon et reprirent en chœur :

  • Qu’elle admire le plus ?
  • Ne prêtez pas attention à cela. Nous nous connaissons simplement depuis longtemps.
  • Je remarque qu’elle ne vous a pas oublié, Flocon. Souligna Maistro.
  • Une reine. J’aimerai bien être une reine. Marmonna Aude jalousement.
  • Efferus m’apprécie également. Cela ne semble pas vous gêner. Argumenta Flocon amusé.
  • Quand allons-nous manger ? J’ai une faim de loup ! Ajouta Idish qui pensa au buffet et à la boisson.
  • Un garde viendra nous chercher quand ce sera prêt. Profitons des quelques heures qui nous restent pour nous reposer. Affirma Flocon.
  • Vous avez raison, faisons comme cela. Nous autres fils-de-sorciers, remarqua Maistro, avons besoin de sommeil.

Tandis qu’Idish, Maistro et Aude allèrent s’allonger tous les trois sur le grand lit, Flocon quant à lui restait sur le balcon, détacha son fourreau de sa ceinture, le déposa sur ses genoux et fit glisser la lame doucement vers l’extérieur. Il la regarda, réfléchissant la lumière du ciel. Malgré les années, la lame n’avait pas pris une égratignure. Il la mania avec délicatesse et à peine eut-il le temps de s’étonner de ne rien n’entendre, que la voix réapparue :

« Nous approchons de cet endroit. Bientôt des réponses. »

  • Je ne saurais expliquer comment cela est possible. Une épée capable de communiquer. Pourquoi n’avoir pas parlé à la reine ?

« Ah, seul celui que je choisis peut m’entendre. As-tu oublié notre accord ? »

  • Veila, la sorcière, vous a pourtant entendu.

« C’était à toi que je m’adressais. Seul le contact de ma lame avec son bâton lui permit d’entendre. »

  • Que croyez-vous que nous puissions découvrir dans cette Faille ?

« Je ne saurais dire depuis quand j’existe. Ni ce que je suis vraiment. Que suis-je vraiment ? Pourquoi suis-je ainsi ? »

  • Si nous venions à découvrir les réponses à toutes ces questions, que se passera-t-il ?

« Je l’ignore. »

À ces mots, Flocon rengaina son épée et lâcha la poignée. Cette remarque venait de lui faire froid dans le dos. Il était tout proche de remplir sa promesse. La Faille se trouvait de l’autre côté de cette forteresse.

L’heure des festivités venait d’arriver, et réveillée par la garde royale, la troupe se mit en route vers la grande salle à manger où le buffet montrait un festin. La pièce était grande et vaste, soutenue par de haute colonnade en pierre et dont le plafond en voûte appréciait de hauts lustres noirs où la cire coulait largement et goûtait déjà jusqu’au sol. Au centre, une grande table ronde en chêne où y étaient déposés les plats aux saveurs du poulet cuit mêlées de vin rouge, et les odeurs de pommes de terre ruisselaient dans la sauce crémeuse et dont le tout se mélangeait aux fruits de saisons et aux légumes locaux. Tout autour, les rois des autres contrées, les généraux et les plus hauts représentants de la Coalition se servaient gracieusement. Idish s’y précipita aussitôt et se servit comme s’il avait un estomac de quatre personnes. Aude, quant à elle, attrapa ce qu’elle pouvait en bord de table. Maistro, dont la faim ne le rongeait pas autant que son frère, fit le tour de la salle, observant tous ces gens. Parmi eux, des regards intrigués fixèrent les Fils-de-sorciers dans leur tunique atypique. Une grande femme, à l’allure robuste comme était leur chef Veila, s’approcha du sorcier en souriant :

  • Qui êtes-vous, preux chevalier ? Je ne vous avais encore jamais vu.
  • Sorcier, madame.
  • Sorcier ? Reprit l’inconnue.
  • Je suis sorcier. Non chevalier. J’accompagne Flocon. Expliqua-t-il en montrant son compagnon d’un geste de la main.
  • Cet homme, c’est Flocon ? Il ne semble pas être aussi important que vous…
  • Je me nomme Maistro.
  • Quel joli nom, Maistro. Aimeriez-vous…
  • Ne l’écoutez pas ! S’interposa un général, cette folle est prête à tout pour trouver un époux.
  • Vraiment ? Alors je suis partant ! S’enthousiasma Maistro. Ce n’est pas tous les jours qu’une jolie femme me propose d’être son époux. Ricana-t-il.
  • Oh, mais vous êtes le camarade de Flocon ! S’exclama le commandant qui évinça entièrement la femme. J’ai beaucoup entendu parler de ses aventures par le passé. C’est bien la première fois que je rencontre l’un d’entre vous. Les histoires content des êtres à l’apparence désagréables, aux nez crochus, aux chapeaux pointus. Mais vous ressemblez plus à nos valets.
  • Peut-être que ces contes parlent également de magie ? Savez-vous ce que nous sommes capable de faire à quelques impolis qui nous manqueraient de respect ?
  • Ne vous brusquez pas, je voulais seulement…

Au même moment, Idish arriva à hauteur de son frère et le bouscula, renversant l’alcool et la nourriture dans un fracas qui interrompit tout le monde un court instant.

Plus loin, accompagnée d’Efferus, la reine approcha de Flocon. À son passage, tous firent la révérence. Quand ce fut au tour de son interlocuteur, il la regarda droit dans les yeux. À leurs côtés, Aude mangeait tranquillement et silencieuse. La reine s’exclama :

  • Une vraie troupe. Des sorciers et une enfant, vous m’étonnez Flocon !
  • Il est important de trouver les compagnons qui nous sied le mieux pour faire front à l’adversité, vous n’êtes pas de cet avis, Majesté ?
  • Toujours de sages mots à partager, Flocon. À présent, j’y pense. Prêterez-vous votre force à notre cause à tous ? Nous avons attendu de longues années qu’un tel chevalier se joigne à nous pour endiguer cet ennemi commun. D’ailleurs, auriez-vous une idée de la raison de leur apparition ?
  • Hélas, Majesté, je ne saurais dire d’où viennent tous ces monstres, répondit-il prudemment, mais si je peux vous aider, je le ferais volontiers. Je dois toutefois atteindre la Faille au plus tôt.
  • Vous ne pouvez pas. C’est un lieu de mort. Ceux qui tentent de traverser ou d’y descendre n’en reviennent jamais.

Aude s’apprêta à révéler les attentions de la troupe cette nuit quand Efferus prit la parole :

  • Oui, nous aurions grand besoin de la force et de l’abilité d’un combattant tel que vous.
  • Ecoutez-moi ce bon Efferus, le plus à même de choisir les meilleurs hommes pour nous défendre. S’enjoua la reine.

Ce dernier s’avança dans la salle afin d’être suivi de son acolyte et de la reine, loin de la jeune fille :

  • Permettez-moi de vous demander, Flocon, mais qui est cette jeune fille ?
  • Oui, remarqua la reine, qui est-elle ?
  • C’est une enfant que j’ai sauvé il y a peu. Son village a été incendié, ses habitants tués. Je l’ai sauvé de quelques monstres d’un royaume plus au Sud. D’ailleurs, n’avez-vous pas fait face à d’autres camps ennemis ?
  • Une réfugiée donc. Cette jeune fille aurait besoin d’un environnement sain à présent, Flocon. Affirma-t-elle.
  • Notre nouvelle alliance nous a rapidement permis de repousser jusqu’à la côte Ouest les derniers camps ennemis. D’ailleurs, la dernière bataille eut lieu dans la vallée toute proche. Cela semblait un acte désespéré de ces monstrueuses choses. Nos forces ici, barricadées, sont imprenables. Et dans tous les royaumes, les hommes et les femmes nous ont rejoints pour résister et se soulever. Aujourd’hui, à l’Ouest comme au Nord, nous sommes en sécurité derrière nos murs. Mais au Sud, nous ne savons que trop peu de choses sur l’état des terres.
  • Toujours à parler de guerroyer. Aujourd’hui est un jour de fête Efferus. Et cette jeune fille aurait bien besoin de ne plus avoir à vivre la guerre. Qu’en pensez-vous, Flocon ?

Ce dernier tourna la tête pour regarder Aude et vit en elle la maturité qu’elle n’aurait jamais dû acquérir à son âge. Il savait qu’ici, elle serait en sécurité et ne risquerait plus sa vie ni ne verrait plus aucune atrocité. Il y réfléchit quelques instants, et croisant à nouveau le regard de la reine, il acquiesça :

  • Vous avez raison, Majesté, Aude serait bien mieux aux côtés des siens plutôt qu’au beau milieu des dangers de ce monde.
  • C’est donc décidé. Nous prendrons soin d’elle. Affirma la reine.
  • Permettez-moi de vous demander comment cette Coalition est-elle apparue ?
  • Efferus, reprit-elle, veuillez lui raconter tout ce qu’il a manqué jusqu’alors.
  • Bien ma reine. S’exécuta-t-il : lorsque les premiers monstres sont apparus, que ce soit ici ou ailleurs, ils n’étaient pas disciplinés et rassemblés. Nous avons pu prendre le temps de fuir. Les armes qu’elle façonnait nous a permis de nous défendre. Quand nous fûmes assez nombreux, nous envoyâmes des éclaireurs dans les contrées voisines afin de conter ce qui arrivait et comment nous nous défendions. C’est alors que la princesse décida de mettre en place cette Coalition. Au début, notre premier voisin ne voulut pas d’une femme pour dirigeante. Il décida qu’il fallait mieux un mariage entre eux pour unifier leur force. Mais la princesse ne voulut rien savoir. Elle le défia en duel. Imprudent, le seigneur accepta croyant n’avoir à faire qu’à une paysanne. Mais ses nombreux combats l’avaient rendu forte et habile. Ainsi, il perdit l’affrontement et dû se soumettre au souhait de sa Majesté. Cette dernière ne souhaita pas dictée ses ordres à son nouvel allié et lui proposa donc de signer un pacte d’alliance. Grâce à cette première unification, les autres armées arrivèrent rapidement et souhaitèrent signer eux aussi cet accord. Les plus réticents durent signer après leur défaite en duel. À terme, ils déclarèrent que la princesse du Royaume de l’Epée devait être nommée reine de tous les royaumes. Loin des jalousies des uns et des autres, la reine pouvait accomplir parfaitement la tâche qu’elle avait souhaité mettre au jour. D’ailleurs, il y a à peine quelques semaines de cela, nos éclaireurs ont vu arriver une armée de monstres qui se dirigeaient vers nous. La vallée semblait être le meilleur endroit pour une embuscade. Nous n’avons pas eu à envoyer un soldat sur le champ de bataille. Depuis notre flanc de colline, nous avons installé des balistiques d’épées et avons attendu que l’ennemi s’avance. Les armes forgées ici sont si tranchantes que rien ne résista à leur chute. Cette contre-attaque, décidée par l’un des chefs de guerre, nous a permis de nous défendre d’une pareille force ennemie sans n’avoir perdu aucune vie. Depuis, nous n’avons aucune nouvelles des éclaireurs. Les royaumes les plus proches semblent avoir retrouvé la paix. Mais aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de me demander comment de pareilles atrocités ont pu voir le jour et sortir de nulle part. Nous sommes en guerre contre des ennemies dont nous ignorons leurs origines.

La reine se tourna et partageant soudain un large sourire avec tous ses invités, elle fit sonner son verre en cristal et prononça quelques mots :

  • Notre invité d’honneur, cher Flocon, prêtera sa force à notre grande armée. Remercions le temps de nous l’avoir ramené et puissions être victorieux de cette époque difficile qui nous assaillit depuis trop longtemps !

Sur ces mots, Flocon regarda les deux sorciers puis Efferus. Il était temps de disparaître avant qu’ils leur soient impossibles d’atteindre la Faille. Il s’accroupit devant la jeune fille, et d’un ton paternel lui expliqua qu’elle devait aller se coucher et se reposer. Après quoi, ils s’échappèrent tous les quatre tandis que la reine et les autres invités étaient occupés à discuter des affaires des royaumes.

  • Nous devons nous dépêcher, si la reine remarque notre absence, elle se doutera de quelque chose. Vous devez être partis avant qu’elle s’en rende compte. Fit Efferus.
  • Et vous, comment prendra-t-elle le fait que son propre bras-droit, en qui elle a le plus confiance, lui a caché de telles intentions ? Demanda Flocon.
  • Ne vous en faîtes pas pour moi, comme je vous l’ai dit, elle ne pourra vous en vouloir. Quant à moi, je lui expliquerai quand elle daignera m’écouter. Allons-y maintenant, vite !
  • Mais, où est Aude ? Interrompit Idish.
  • Cela va de soi mon frère, regarde ce royaume. Cette jeune fille aura sa place et une vie saine ici. Nous la reverrons un jour, j’en suis sûr. Vite, viens ! Affirma Maistro qui courrait aux côtés de Flocon et d’Efferus le long des murailles.

Le fort était construit en longueur ce qui permettait de se déplacer sur une grande distance. La troisième fortification protégeait le peuple de l’intérieur du royaume jusqu’au bord de la Faille. Celle-ci faisait l’objet de défenses imprenables venant de l’Est, et on pouvait la voir s’étendre sur des kilomètres en direction du Nord comme du Sud. Lorsqu’ils arrivèrent devant la herse, Efferus ordonna aux gardes de la soulever afin qu’ils puissent atteindre le chemin de pierre qui descendait vers les profondeurs de cette falaise.

  • C’est ici que je vous laisse mes amis. Dit Efferus anxieux.
  • Je vous remercie. Grâce à vous, nous trouverons les réponses et peut-être serons-nous plus à même de trouver un moyen de lutter efficacement à l’avenir.
  • Puissiez-vous nous revenir sain et sauf, mon ami.

Idish et Maistro firent un geste de la main pour le remercier à leur tour, et s’échappèrent tous les trois. Ils disparurent rapidement dans l’obscurité après avoir descendu les premières marches encore éclairées par la lune.

  • La lumière de la nuit ne passe déjà plus à cette profondeur. Comment allons-nous descendre dans l’obscurité ? Demanda le chef de groupe.
  • Aveuglé ? Très peu pour nous. Répondit Idish qui sortit une brindille de sa cape. D’un seul coup il en fit apparaître un long bâton terne.
  • J’aimerais pouvoir dissimuler mon épée comme vous le faites. S’amusa Flocon.

Sans attendre, Idish agita son instrument de sorcellerie pour faire apparaître en son bout une petite sphère de lumière étonnamment intense.

  • Voilà que monsieur fait son intéressant ! Répondit Maistro.
  • Cette magie m’étonnera toujours. Nous vivons en ce monde ne connaissant qu’une partie des vérités qui édifient ces terres. Si tous les humains savaient que de telles forces existaient tout proche d’eux, je ne suis pas sûr que la vie telle que nous la connaissons resterait inchangée. Pensa Flocon à voix haute.
  • Sans doute que la plupart des hommes s’y accommoderaient, mais beaucoup d’entre eux tenteraient de maîtriser ces forces à des fins mitigées. Ainsi est l’homme, à jamais inassouvis d’asservir ce qui l’entoure. Rétorqua Maistro.

Idish, qui avait pris les devants et était déjà arrivé à mi-chemin remarqua que les marches s’arrêtaient là. Il haussa la voix et expliqua que c’était la limite pour eux. Seul Flocon allait devoir continuer.

  • Courage Flocon. Vous n’êtes ni un humain ordinaire, ni un sorcier. Espérons que le mal qui ronge les profondeurs de cet endroit n’est pas d’emprises sur vous.
  • Ne vous inquiétez pas. Je suis armé. Je saurais me défendre s’il le faut. Attendez-moi là, je reviendrais. Affirma-t-il d’un pas décidé.

Il avança dans le halo de lumière puis disparu instantanément dans l’obscurité. Idish tendit aussitôt sa baguette afin d’éclairer devant lui mais la lumière ne semblait ne plus traverser davantage. Il cita doucement le nom de son camarade mais ce dernier ne répondit rien.

Dans l’obscurité la plus totale, Flocon se retourna. Ni devant ni derrière il ne vit quoique ce soit. Il n’avait fait qu’un pas et pourtant les Fils-de-sorciers avaient disparu. Il posa sa main sur la poignée de son épée et se demanda où il était.

« Où m’as-tu emmenée cette fois-ci ? Quelle est cette étrange sensation qui fait vibrer ma lame ? »

À ces mots, il regarda son fourreau qui scintillait de petites lueurs au niveau de la lame. Quand il la retira entièrement, il s’étonna de la voir briller toute entière. Cette lumière pénétrait dans l’obscurité et lui offrait une vue complète à deux mètres de distance de lui. Sans aucun mal, il continua à descendre le sentier argileux jusqu’au fond de ce lieu oppressant.

Arrivé en bas, sa lame brillait d’une lumière bien plus intense. Un vaste halo de lumière l’entourait et il voyait facilement à plus de cinq mètres autour de lui.

« Cette sensation, quelle est cette sensation ? Qu’as-tu fait ? Où sommes-nous ? »

  • Au beau milieu de nulle part. Vous éblouissez cette obscurité. N’en connaissez-vous pas la raison ?

« Je ne saurais l’expliquer. Cet endroit m’apaise malgré qu’il soit baigné dans la plus étrange atmosphère qu’il m’a été donné d’observer. »

Il s’avança encore et vit devant lui un gigantesque cristal. Au moins deux fois plus épais et plus grand que lui. Tout proche il remarqua que son épée brillait plus intensément encore ci-bien que la proximité lui permettait alors de voir à travers le cristal. Il y découvrit avec stupéfaction le visage d’un homme, figé dans la terreur. Son corps témoignait d’un instant de peur avant d’être momifié sur place à l’intérieur de cette boîte impénétrable. En le contournant du regard, il remarqua que bien d’autres sarcophages étaient disposés de-ci delà, comme si ce fut des dizaines d’ouvriers piégés à leur insu. Il avançait encore davantage, cherchant à fuir cette horrible vision quand il eut quelques minutes de répit où le vide regagna l’endroit. Ce n’est qu’après un quart d’heure de marche lente, qu’il tomba à nouveau sur un cercueil de cristal, cette fois-ci plus imposant que tous les autres, mais qui avait en son sein un être à l’allure sereine et aux traits atypiques. Le corps du prisonnier était recouvert de tatouages sinueux qui s’unissaient les uns aux autres, ses muscles saillants se dessinaient comment si le temps n’avait jamais eu d’effet sur lui, et son visage prononcé s’accordait avec son crâne chauve, duquel on pouvait voir incrusté en son centre un cristal hexagonal aux nombreuses couleurs.

« Qui que ce soit, je me sens attiré par cet individu. »

Le calme qui se dégageait de la posture de cet inconnu l’intrigua. Il n’avait rien de commun avec les hommes croisés plutôt qui témoignaient de frayeurs et de positions alarmantes. Non, cette fois-ci, c’était tout l’inverse. C’est alors que Flocon approcha la lame de l’épée du cristal. Celle-ci s’illumina avec tant d’intensité que la lumière se réfléchit dans toute la galerie, ricochant entre chaque cristal des parois et du sol, donnant à Flocon un spectacle unique. L’obscurité venait de laisser place à un panorama sur l’immensité de la Faille, de sa profondeur et de sa hauteur, éclairée à des dizaines de mètres tout autour de lui.

« Pourquoi ne fends-tu pas cette pierre ? »

  • Le devrais-je ? Peut-être y a-t-il une raison pour que cet individu soit figé là. Il n’y en a pas d’autres dans mon champ de vision qui lui ressemble.

« Tu ne sais même pas s’il est encore vivant. Que risques-tu ? Brise ce cristal ! »

  • Pourquoi se hâter ?

« Fais comme bon te semble. Je veux simplement des réponses. »

Flocon, dicté par sa curiosité, frappa la pointe de la roche avec le tranchant de son épée. À l’impact, un souffle puissant, suivit de flammes puis d’eau jaillirent. Il sembla se passer une explosion qui fit voler l’épée avant qu’elle ne se plante dans le sol un peu plus loin.

Sous le regard ahurit de Flocon, le cristal fendu se brisa peu à peu puis se décomposa entièrement craquant jusqu’au sol. Là, devant lui, se tenait l’inconnu immobile, dont l’air ambiant était rempli d’une humidité inexplicable.

Il regagna son épée, et la sortant du sol, il entendit une imposante respiration. Ce n’était pas la sienne, non, c’était bien celle de l’être libéré. Quand il le regarda de nouveau, Flocon aperçu le mouvement de la poitrine se gonfler puis dégonfler, les muscles se congestionner et doucement, la tête bouger. Les yeux s’ouvrirent.

« Il respire. Il vit. »

Flocon recula doucement avec son épée serrant de plus en plus fermement la poignée de crainte d’avoir délivré un danger, avant de se figer d’effroi.

  • Où suis-je ? Demanda l’inconnu d’une voix grave et sereine. Où suis-je ? Reprit-il en clignant des yeux d’où on voyait ses pupilles briller d’une lueur que le premier n’avait encore jamais vu.
  • Vous êtes dans la Faille. Répondit Flocon qui ne s’expliquait pas le déplacement instantané de son interlocuteur jusqu’à lui.
  • La Faille, qu’est-ce que cela ? Qui êtes-vous ?
  • C’est ainsi que l’on appelle la fissure terrestre qui sépare les royaumes de l’Ouest à ceux de l’Est.

L’inconnu regarda dans toutes les directions, puis, de sa main droite, il tenta d’attraper la gorge de Flocon qui l’évita de justesse :

  • Qui êtes-vous ? Reprit l’inconnu amusé.
  • Je viens d’un royaume du Nord. Et vous, qu’essayez-vous de faire ? Rétorqua-t-il en essayant de le contourner.
  • Un humain ? Qu’est-ce qu’un humain fait sur nos terres ?
  • La Faille n’a pas d’appartenance… Répondit le second avec hésitation. Nous sommes à la frontière de l’Ouest et de l’Est.

Son comportement imperturbable laissa perplexe Flocon qui se contenta d’attendre davantage de questions.

L’autre s’avança alors jusqu’à la paroi dont la lame de l’épée continuait à éclairer. Il contempla les cristaux quelques instants puis se retourna et reprit d’un ton inquiet :

  • En quelle ère sommes-nous ?
  • Nous sommes en 527 après le Cataclysme. Répondit approximativement Flocon.
  • Qu’est-ce que cette date ? Quelle est l’équivalent de notre calendrier ?
  • À quel calendrier faites-vous allusion ?
  • Calendrier des Sage ! Je suis Cadmos le Sage. Dernier gardien en vie des Maîtres Sage.
  • Un Sage… ?

« Un Sage. Je les croyais éteins. Il divague sûrement. »

  • C’est-à-dire que nul royaume n’utilise dorénavant votre calendrier comme référence. Reprit Flocon. Cela fait près de cinq siècles que votre peuple et celui des Mage a disparu. Nous vous pensions éteins.
  • Bien sûr ! Notre guerre. Je me souviens de ces mages nous assaillant, de ces barbares nous arrachant nos fils et nos filles. De ces monstres qui dévoraient nos femmes. Le Maître de cette Montagne Sacrée au Nord Est… il avait décidé de rompre le monde pour sauver l’avenir des espèces. L’avait-il vraiment fait ? Je me souviens… combattant et à bout de souffle… Que s’est-il passé ?

« Si c’est vraiment un Sage, pose-lui des questions. Il doit connaître quelque chose à mon sujet. Fais vite ! »

  • Je ne comprends pas grand-chose à ce que vous racontez. Mais je vous ai libéré pour avoir des réponses.

Le Sage s’avança tout proche de Flocon, et d’un geste rapide, il attrapa la poignée de l’épée et l’observa minutieusement.

  • Où avez-vous eu pareille lame ?
  • Comment avez-vous… Que savez-vous sur cette épée ?
  • Quelle magie est-ce là ? Quelle légèreté, et cette lame, elle semble faite de cristal. Comment cela se peut-il ? Les hommes ont-ils acquis de pareils savoir-faire ?
  • Que voulez-vous dire par savoir-faire ou magie, je n’ai pas connaissance de cela. Cette épée, d’aussi loin que je me souvienne, est en ma possession.
  • Cette épée, dit-il en la maniant à droite et à gauche, est unique…
  • Je m’appelle Flocon.
  • Votre épée est unique, Flocon. Une magie puissante l’abrite. Je ne saurais dire ce que c’est. Et si les hommes ne sont pas responsables de cet objet, je me demande bien qui peut l’être.

 « Qui êtes-vous ? Je ressens comme une certaine nostalgie. » Fit la voix émanant de l’épée tandis que le Sage la maintenait encore.

  • Qu’est-ce que cela ? Fit le Sage étonné.

« Vous me maniez sans vous présenter ? Quelle est cette sensation ? »

  • Votre épée, Flocon, où l’avez-vous trouvé ?
  • L’avez-vous entendu ? Comment cela se peut ? Rendez-la-moi !

« Flocon, qui est-il ? Sa présence me semble familière ? » Fit la voix en regagnant la main du guerrier.

Tandis qu’il rabaissa son arme, l’homme inspira profondément et répondit :

  • Je… l’ignore.
  • Vous l’ignorez ? C’est à croire que les démons et les Mages ont réussi à atteindre leur but en fin de compte. En reste-t-il ?
  • Nul ne sait, mais au-delà de la Faille, le doute demeure. Les hommes ne s’y sont jamais aventurés depuis plusieurs générations.
  • La Faille ?
  • Nous sommes au cœur de celle-ci en ce moment même. Cet endroit sépare le continent en deux, et nul homme n’a jamais pu la traverser, parait-il. D’ailleurs, comment vous y êtes-vous retrouvé ?
  • J’ignore tout de cet endroit. Ce que vous racontez n’a aucun sens. Je me souviens de ce combat au pied du temple des anciens, combattant contre une Mage et puis… je me réveille ici, en votre présence, dans cet endroit où seule la lumière d’une épée possédée éclair. Toutefois, je me souviens bien de quelque chose.

Flocon resta à l’écoute, serrant fermement son sabre et attendit la suite. Lorsque Cadmos expliqua ce dont il s’agissait, le soulagement fut immense. Une réponse parmi toutes les questions qu’il s’était posée avait été révélée. Il existait bien quelqu’un capable de dire par quelle magie cette épée fut forgée, découvrant ainsi l’origine de celle-ci.

  • Son nom est Delfic le Sage, un très vieil ami et maître forgeron. Lui seul saurait dire d’où provient une pareille épée, qui plus est brillante.
  • Voilà une réjouissante nouvelle !

« Enfin ! Un forgeron, trouvons-le et nous saurons ce que je suis, d’où je viens ! »

  • Hélas, je n’ai pas gardé de contacts particuliers avec lui. Il avait décidé de quitter son clan bien avant notre guerre, car il s’était épris d’une Mage. Ils avaient tous deux quitter les leurs pour s’installer à l’Est, non loin de la mer du Nord. Et vous me dîtes qu’il est impossible d’atteindre cet endroit à présent ?

« Comme il était impensable d’atteindre vivant les profondeurs de cette Faille. Nous devons y parvenir ! »

  • C’est décidé. Nous devons nous y rendre. Vous servirez-nous de guide, Cadmos le Sage ?
  • Je dois dire que je suis curieux de découvrir ce que le monde est devenu. Et sans doute est-il l’un des derniers des miens encore en vie. Je vous accompagnerais jusqu’à lui, si le monde n’a pas tant changé.
  • Nous découvrirons quelle est la véritable nature de cette épée. Il reste simplement à savoir comment nous allons traverser ce gouffre. Mais avant cela, rejoignons mes amis à la surface.
  • Vos amis, qui sont-ils ?
  • Deux sorciers.
  • Les sorciers peuplent donc eux aussi cette époque. Les forces principales ont bien changé… D’ailleurs, si cette Faille est aussi imposante que vous le dites, comment m’avez-vous trouvé ?
  • Vous souvenez-vous où vous avez combattu ? Se peut-il que le royaume des Hommes soit fondé sur vos ruines ?
  • Je me souviens de collines à l’Ouest, et d’un lac à l’Est. Des chaînes de montagnes verdoyantes à celles couvertes de cendre. Si cette fracture terrestre est en effet à l’endroit de notre dernier affrontement, alors le Maître devait s’y trouver lui aussi quand il sépara le monde.

Remontant, Flocon songea à ces mots et apprécia avoir enfin trouver le témoignage d’un Sage. Ce ne pouvait être une coïncidence qu’un tel être soit si proche des remparts de ce royaume.

Le Sage remarqua l’effroi des hommes enfermés dans les cristaux le long de la falaise. Il lui semblait ressentir quelque chose d’étrange, comme si leur emprisonnement dans la roche n’avait pas été le fruit du hasard. Après tout, Flocon lui-même n’avait pas été enfermé de la sorte en descendant jusqu’au fond du gouffre. Le Sage, silencieusement, essaya tant bien que mal de ressentir une quelconque magie des éléments, mais il fut rapidement certain que ses capacités l’avaient quitté, peut-être même définitivement. Quant à Flocon, il ne s’expliquait pas encore qu’un humain puisse être détenteur de cette épée si particulière.

Ils arrivèrent bientôt à la limite du sentier, tout près de l’escalier de pierre, à la limite de l’obscurité.

 

 

Chapitre 7 :  La Forêt Sanglante

 

  • Je me demande quand il reviendra. Cela doit faire une bonne heure qu’il est parti. Dit Idish en finissant d’ingurgiter sa bière.
  • J’espère que tu as raison de ne pas t’en faire. En fin de compte on ne peut pas être sûr qu’il en reviendra un jour. Répondit Maistro.
  • Mais oui, il va bien, je le sens !
  • Tu ne sens rien du tout ! Tu es bourré !
  • Que racontes-tu là ? Je ne suis pas… oups. J’ai le hoquet à cause de tes bêtises, Maistro !
  • Ma faute ? Ma faute ! S’exclama le frère qui flanqua un coup de son bâton sur la tête du saoul.

Ils se regardèrent quelques secondes, mutuellement fâchés, puis se mirent à rire en chœur. Idish fit apparaître un nouveau pichet qu’il déposa sur une marche plus haute, dos au gouffre, et le déversa de moitié dans celui de son frère.

  • J’aimerais beaucoup savoir ce qu’il y au fond de ce gouffre. Comment est-ce, à quoi ressemble les profondeurs de la Faille ? Se demanda Maistro.
  • Si tu veux mon avis, il n’y a que des cadavres et de la roche, ou peut-être est-ce sans fond ? Mais si ta curiosité te pousse encore plus loin, je t’en prie, saute donc à pieds joints. Je ne donne pas cher de ta vie, Fils-de-sorcier, au beau milieu de cet espace maléfique. Quand on connaît nos origines, il y a de quoi se demander ce qu’il peut exister en bas.
  • Ah ! Je sais bien que tu as raison. Mais imagine un instant, si Flocon a pu traverser sans devenir fou ? Imagine donc un instant ce qui peut se trouver en bas ! Tout ce que nous savons c’est ce que les anciens en disent, ou ce que le chef tait. Alors ne te poses-tu pas plus de questions que cela ? Ajouta Maistro.
  • Oh, Fils-de-sorciers que je suis, je préfère boire cette bonne bière que de me creuser la tête avec des questions sans réponses. Ce que je sais me suffit. La terre est scindée, nous vivons des temps difficiles, la bière est un pansement bien suffisant et pas désagréable !
  • Tu as trop bu, tu ne penses pas ce que tu dis. Fils-de-sorcier ou non, tu es au-dessus de la beuverie des hommes ! Affirma Maistro.

L’autre finit de boire son breuvage et lui demanda de répéter d’un ton amusé.

Maistro, surpris, lui flanqua un nouveau coup de bâton pour le féliciter de ne pas l’avoir écouté. Soudain, un courant d’air vint dans leur dos. Ils se retournèrent pour regarder et virent avec stupéfaction Flocon. Ils se levèrent aussitôt bien que leur taux d’alcoolémie les fasse chavirer vers un côté puis l’autre et se frottèrent les yeux pour vérifier qu’ils n’avaient pas trop bu. Il était bien là, devant eux, puis une silhouette dominante au-dessus de leur ami apparu. Quelqu’un de haut, très haut.

Cadmos et Flocon s’avancèrent vers les sorciers tandis que la lumière qui émanait de l’épée jusqu’alors s’estompa entièrement.

  • Qui vous accompagne ? Interrogea Maistro qui serra fermement son bâton.

Flocon s’arrêta face à eux, sans un mot et laissa passer l’inconnu qui se découvrit. Les deux ivres s’étonnèrent de voir un tel individu sortir de la Faille.

Maistro fit signe à son frère de regarder le corps tatoué de Cadmos. Il s’agissait bien là d’écritures anciennes et de dessins méconnus. Malgré qu’il ne fût apprêté que d’un pantalon de toile, le cristal qui siégeait au milieu du front leur paru révélateur. Quelque chose d’étrange émanait de cet individu. Ils n’arrivaient pas à se sentir en sécurité mais ne pouvait pas non plus prétendre être en danger. C’est alors que Flocon s’adressa à ses compagnons :

  • Je vous présente Cadmos. Il nous accompagnera dans notre voyage.
  • Qu’est-il ? Demanda aussitôt Maistro.
  • Je suis Cadmos le Sage.
  • Que… que, que dîtes-vous ? S’offusqua Idish qui était plus sensible qu’à l’accoutumé.
  • Et vous êtes des sorciers. Ce cristal qui orne votre bâton en sa pointe n’est pas anodin. C’est le catalyseur de votre maîtrise de la magie.
  • Quant au vôtre sur votre front témoigne de votre origine, Sage. Votre maîtrise de la magie des éléments est célèbre parmi les nôtres. Se confronta Maistro sans broncher.
  • Les sorciers n’ont pas survécu aux guerres pour rien, après tout. Mais le cristal n’est pas notre seule force. Ne croyez pas qu’il suffirait de nous l’enlever pour nous défaire. Rétorqua Idish en hoquetant, irrité par l’attitude de Cadmos.

Idish s’apprêta à attaquer l’arrogant et leva son bâton en sa direction en le faisant tourner. De son côté, Cadmos se positionnait pour charger lorsque Flocon s’interposa entre eux.

  • Cesser vos idioties ! Je ne permettrais pas que vous vous attaquiez. Si vous voulez vous battre, vous le ferez sans moi et après avoir atteint notre destination ! À présent, calmez-vous ou je vous trancherais chacun votre tour !

« Je n’aurais pas dit mieux. Nous devons nous y rendre. »

Cadmos s’étonna à son tour de voir cet homme si vif d’esprit. L’épée brandie face à lui et à son adversaire, plus rapide que les deux, le laissa sans voix mais amusé de s’être mépris à son sujet.

  • Pardon, je me suis laissé emporter, dit Idish, je ferais mieux d’arrêter la bière à présent.

Cadmos se retira également de l’action et permit à Flocon de ranger son arme.

  • De quelle destination s’agit-il ? Reprit Maistro.
  • Mon périple semble n’avoir fait que commencer. Cadmos ici présent a partagé une information concernant l’identité d’un dénommé Delfic le Sage et d’une certaine Anaelle la Mage se trouvant dans les montagnes de l’Est, et ayant les réponses que je cherche. Mais il s’agira d’abord de trouver un moyen de traverser la Faille. De traverser la Forêt Sanglante, puis les terres de l’Est.
  • Un projet suicidaire en somme. Remarqua moqueur Maistro.
  • Je le sais bien, et c’est pour cela que vous êtes libres de partir. J’ignore totalement ce que nous trouverons de l’autre côté, si tant est que nous pouvions déjà y arriver.
  • Imagines-tu Idish, les premiers sorciers à avoir traversé la Faille ? Cela sonne bien.
  • Et nous pourrions retrouver les nôtres dans le respect et le mérite qui nous seraient dus, mon frère.
  • Je crois que c’est tout décidé, nous venons. Affirma Maistro pour son frère et lui.
  • Votre intérêt personnel me consterne, mais je ne peux qu’apprécier l’aide de deux sorciers tels que vous. Cadmos sera notre guide jusqu’à eux. Puisque c’est un Sage, vous pourrez m’apprendre ce que vous savez de lui pendant notre voyage. Mais sa présence à nos côtés est devenue indispensable. Continua Flocon d’un ton plus sérieux qu’à l’accoutumé.

Maistro et Idish furent intrigués de découvrir avec quelle fougue leur camarade défendait la présence de cet inconnu qui prétendait être un Sage. S’étaient-ils trompés sur les profondeurs de la Faille ? Les frères n’arrivaient pas à s’expliquer que Flocon ait trouvé dans ce gouffre maléfique un être légendaire et l’ait rallié à sa cause. Cela semblait relever du miracle et déjà les questions fusèrent dans leur esprit, avec qu’une seule hâte, se retrouver seul avec l’individu en question.

Ils réfléchirent tous ensemble pour trouver un moyen de passer de l’autre côté, quand Cadmos suggéra d’utiliser son épée. Si toutefois la magie qui régnait au sein de ce gouffre était néfaste pour le commun des mortels, peut-être que la lumière qu’émanait l’épée était une source magique opposée, permettant à son possesseur ainsi qu’à tous ceux qui se trouvait dans son halo de lumière de traverser la pénombre.

La remarque pertinente restait tout de même décourageante. L’épée n’émettait aucune lumière là où ils étaient. Et devoir s’enfoncer dans l’obscurité, où la magie des sorciers n’avait aucun impact les laissa dubitatif.

Flocon se mit alors à s’enfoncer le premier à l’intérieur, descendant quelques mètres plus bas. À l’intérieur du noir, son épée brillait de mille feux et comme il ne revenait pas, les autres entrèrent un pas après l’autre jusqu’à apercevoir, en un instant, le halo de lumière étincelant.

  • Cette lumière est si intense. Comment peut-elle être à ce point absorbée par la Faille ? Interrogea Idish.
  • Et comment cette épée peut-elle produire une telle lumière ? Ajouta Maistro.

« Oui, comment se peut-il ? Cet endroit me semble familier et pourtant je ne suis maître de rien. »

Suivis de près, Flocon apprécia la franchise de son nouveau compagnon :

  • Je ne vous pensais pas aussi habile et déterminé, Flocon.
  • Je me demande bien qui vous êtes vraiment, Cadmos. Votre peuple semble faire partie des légendes. Comment avez-vous pu survivre cinq siècles dans ce cristal ?
  • Je répondrais à toutes vos questions. Mais avant cela, il me faut avoir mes réponses auprès de Delfic.
  • Dans ce cas, nous devons atteindre Delfic le Sage et Enaelle la Mage et vérifier de nous-même ce qu’il en est des vérités. Et n’oubliez pas, Cadmos, si vous me dupez, j’userais de toutes mes forces pour vous arrêter.
  • Je n’en attends pas moins de votre part. Si vous êtes trop faible pour affronter l’avenir, je m’occuperais également de vous, guerrier.

Ils s’accordèrent sur ce dernier point. Puis tous ensemble, ils traversèrent le gouffre silencieusement. Idish jeta des regards réprimandant à Cadmos tandis que celui-ci marchait à l’arrière, perdu dans ses pensées, mains entremêlées.

Maistro qui se remettait également de la beuverie vint auprès de Flocon pour discuter :

  • Un Sage nous accompagne. C’est impensable. Aucun Sage n’est jamais entré en contact avec nous ces cinq derniers siècles. Qu’y a-t-il dans ces basfonds, qu’avez-vous trouvé Flocon ?
  • Pas plus que vous ne voyez déjà. Des prisons de cristal, des parois de cristal et en fin de compte, le néant. Le cristal s’est brisé au contact de cette lame, et Cadmos fut libéré.
  • Comment peut-on survivre à ce point au temps ? Il ne semble montrer aucun signe de faiblesse.
  • Je vous l’accorde, Maistro, c’est comme s’il n’avait jamais vécu ces cinq cents ans. Mais si ce qu’il dit est vrai, nous devons atteindre cette destination. J’ai fait une promesse et c’est le seul chemin pour l’accomplir.
  • Je resterai sur mes gardes. Mais s’il s’avère qu’il s’agit bien d’un Sage, alors vous rendez-vous compte qu’un être d’une espèce disparue et mythique nous accompagne ? J’ai l’impression que depuis que nous avons croisé votre chemin, notre vie a été complètement bouleversée. Et en bien ! S’il est aussi puissant que le raconte les histoires, alors ce sera un jeu d’enfant de traverser les terres de l’Est !
  • J’ai conscience que cet individu fait partie d’une part de l’histoire qui nous est mystérieuse, pourtant, il n’a pas l’air vraiment différent de nous. Et au regret de vous décevoir, Maistro, il m’a confié avoir perdu sa maîtrise de la magie des éléments.
  • En fin de compte, le temps lui aura bien prit quelque chose. Aujourd’hui, seul son cristal témoigne de son passé. Quant à votre épée, comment faites-vous pour la faire ainsi briller ?
  • Je ne le fais pas. Cette lumière émane naturellement de la lame quand elle est en contact avec la pénombre de cet endroit.
  • Pourvu que ça dure ! Plaisanta le Fils-de-sorciers.

Le Flocon réfléchit à cette remarque. Il sentait que quelque chose ne tournait pas à son avantage comme le pensait son ami. Bien que Cadmos fût un véritable Sage, il n’avait pourtant pas pu l’anticiper lorsqu’il dégaina son épée. Les forces titanesques dont parlaient les deux frères n’étaient peut-être qu’un mythe après tout, exclusivement lié à la magie des éléments. Malgré tout, se rassura-t-il, Cadmos pouvait leur apprendre bien des choses sur le passé et sur leurs ennemies.

Ayant traversés d’un bout à l’autre la Faille, ils atteignirent l’autre pan de la falaise, celle qui se trouvait à présent du côté Est des terres. Face à eux, nul chemin taillé dans la roche à emprunter. Le cristal recouvrait tout, et la structure lisse qui se dessinait ne permettait nullement de l’escalader.

Ils marchèrent longuement, progressivement et sans ne plus savoir s’il s’agissait du Sud ou du Nord.

Pendant ce temps Idish expérimenta la magie noire qui œuvrait dans la Faille. Il fit sortir à plusieurs reprises la pointe basse de son bâton magique vers l’extérieur du halo de lumière et observa que le voile l’enveloppait, comme le feu est attiré par la matière à consumer. Quand il le fit rentrer à nouveau dans le périmètre lumineux, l’enveloppe obscure se désintégra. Il s’interrogea sur la véritable nature de cette magie, et notamment sur ce qu’elle pouvait engendrer s’il s’exposait lui-même à cette force.

Environ trois heures plus tard, la paroi n’accordait aucune brèche jusqu’à ce qu’ils découvrirent un pan de la falaise qui apparut craqueler. Dans le halo de lumière, les fissures partaient du sol et remontaient en plusieurs points au niveau du mur, grimpant dans l’obscurité. C’était peut-être là, si ce n’était dans les environs, qu’ils trouveraient un chemin pour la surface.

  • Cet endroit semble instable. Fit remarquer Cadmos qui s’approcha de la paroi et y posa doucement sa main.
  • Comment pouvez-vous le savoir ? Jalousait Idish.
  • Ces fissures en disent long sur l’état de la terre qui se trouve derrière. Il ne m’étonnerait pas qu’il y ait une galerie derrière ce mur.
  • Qu’en pensez-vous Flocon ? Questionna Maistro.
  • Ça vaut le coup d’essayer. Puisqu’il ne semble n’y avoir que cette lame pour briser le cristal, je vais m’y atteler.
  • Non ! Ne faites pas cela ! Il ne faut pas briser les cristaux ! S’écria Idish.
  • Nous n’avons pas le choix mon frère. Il nous faut sortir de cette Faille. C’est sans doute le seul moyen.
  • Imaginez que l’épée se brise, ou bien qu’elle ne brille plus après cela ? Si nous plongeons dans l’obscurité, nous serons…
  • C’est un risque à prendre semble-t-il. Proposa calmement Cadmos.
  • C’est décidé. Préparez-vous ! Ordonna Flocon qui se mit en garde.

Il s’élança, la lame de l’épée tendue parallèle au sol et d’un geste sec, la force de ses bras accentuèrent le coup puissant qui traversa net le cristal. Mais contre toute attente rien n’arriva.

  • Comment une telle épée peut exister. Cette arme n’est pas censée être aussi tranchante.
  • Ce que dit Idish est vrai. Les hommes ne forgent pas d’épées faites pour trancher, mais plutôt pour pénétrer. La vôtre, Flocon, semble s’être glissée à l’intérieur de la roche comme si ce ne fut qu’une simple feuille.
  • Ce que disent ces sorciers est pertinent, Flocon. Cette épée est bien plus qu’un objet magique. Cette lame de cristal semble être plus tranchante que n’importe quel métal.

« Il est vrai que je n’ai ressenti aucune difficulté à trancher ce cristal. Comme ce fut le cas de son cercueil plus tôt. »

Il la retira doucement de l’enveloppe noire qu’il venait de découper et remarqua avec le même recul que ses amis, qu’il n’y avait pas de coupure plus nette que celle qu’il venait de faire.

  • Vous avez tout de même visé juste, fit Cadmos en passant la main devant le trou. Il y a un courant d’air de l’autre côté. Cela présage d’une galerie ou du moins, d’un passage que nous pourrions emprunter. Permettez-moi d’essayer.
  • Tu vois Idish, pas besoin de s’inquiéter, Flocon a une épée magique !
  • C’est peu dire, Maistro.
  • Faites donc, Cadmos. Confirma l’épéiste.

Le Sage posa la paume de sa main gauche à hauteur du trou, et de son poing gauche serré il se mit en position pour frapper. Il inspira profondément ci-bien que ses veines se mirent à grossir et ses muscles à se congestionner. Il expira subitement en haussant la voix d’un cri sourd et lança la droite en direction de la fente. L’impact infligea une telle force au mur que ce dernier se pulvérisa vers l’extérieur, laissant apparaître sous le regard ébahis des compagnons, le souterrain temps espéré.

  • Vous avez beau avoir perdu votre magie des éléments, Cadmos, vous n’en êtes pas moins un être très fort. Pulvérisé ainsi un mur de cristal.
  • Vous voulez dire un mur fissuré que vous avez préalablement fragilisé ?
  • Ce que veut dire Flocon, c’est que malgré vos siècles de vies, vous n’êtes pas en reste. Ajusta Idish envieux.

Quand Cadmos sortit à son tour du tunnel qui les menèrent jusqu’à la surface, il ne fit point attention aux remarques désobligeantes d’Idish qui ne supportait pas ce comportement, et s’avança tout proche d’un tronc pour y apposer sa main : « Cette forêt, quelle est-elle ? »

Ils en tombèrent tous des nus.

  • Eh bien ! C’est la « Forêt Rouge » ! S’exclama Idish n’en croyant pas ses oreilles. Vous ne le saviez pas ?
  • La « Forêt Rouge »… Je n’ai aucun souvenir d’une telle forêt par le passé.
  • Cette forêt, repris Maistro, délimite l’Ouest de l’Est. C’est comme une muraille naturelle où il est dangereux de séjourner. Mais pour atteindre l’Est, il n’y a pas d’autre choix que de la traverser.
  • Elle semble plus dangereuse encore que ce que nous avons croisé.
  • Quoiqu’il en soit, ce lieu est dangereux. Cet arbre est comme animé par une force maléfique. De la magie sombre, comme nous l’appelions en référence aux Mage. Remarqua Cadmos avec étonnement.
  • L’arbre vous l’a murmuré, je présume ? Demanda Idish avec un ton moqueur.
  • Les arbres sont des êtres vivants, animés par des forces naturelles infinies. Comment croyez-vous qu’ils puissent capter la lumière du soleil quand ils n’ont ni la vue ni l’esprit pour sortir de l’ombre ? Répondit-il avec cette indifférence qui énervait le sorcier.
  • Soit ! Fit Idish qui bouillonnait de colère.

« Monsieur sait ceci, monsieur sait cela ! Ce n’est pas parce que c’est un Sage qu’il doit s’adresser avec mépris comme cela ! » Pensa-t-il furieux.

Ils se mirent tous à marcher le regard attentif vers l’intérieur des bois. Les troncs semblaient tous plus épais, les cimes gravissaient des hauteurs impensables et les houppiers formaient une ombre au sol plus vaste qu’auparavant. « Il y a bien quelque chose d’hostile ici, pensa Flocon, cette forêt est plus froide encore que les tréfonds de la Faille, et malgré l’ombre au sol, le sous-bois est plein de vie. C’est comme si quelque chose nous observait. »

Maistro, plus attentif que son frère, ressentit le danger, toute son âme était en alerte à chaque branche, à chaque racine évitée. Cadmos quant à lui, fermant la marche, observa derrière lui un étrange phénomène. La forêt se refermait sur leur pas. La végétation regorgeait de vie et semblait les enfermer au cœur d’elle-même. Dans un instant de lucidité il affirma : « Nous sommes pris au piège ! »

Les trois compagnons se retournèrent immédiatement de surprise et virent derrière eux le mur végétal qui se dressait.

  • Un piège ? Ce sont les arbres qui ont manigancé cette embuscade ? Demanda Idish avec mépris.
  • Cesse de te plaindre ! Reprit Maistro attentif.
  • Nous ne pouvons qu’avancer. Si cette forêt montre un quelconque intérêt à notre égard, elle ne tardera pas à nous montrer son vrai visage. Affirma le guerrier.
  • Je suis d’accord, répondit Cadmos, nous devrions avancer. Et si nous devons faire front au mal, alors nous nous battrons pour le défaire.
  • Voilà une pensée chaleureuse. Vous êtes peut-être doué d’émotions et de bon sens… Murmura Idish qui s’en retournait pour s’apprêter à continuer.

Ils avancèrent toute la journée sans boire ni manger sur la mise en garde de Flocon, mais le bois semblait interminable. La formation était rompue et les quatre aventuriers avançaient sans repères, craignant de tourner en rond au beau milieu de nulle part. Ils devinèrent le ciel s’assombrir à la luminosité qui disparaissait peu à peu, mais rien ne pourrait éclairer les sous-bois une fois que la nuit se serait installée.

  • Ecoutez-moi, dit Flocon, nous ne serons pas sortis de cet endroit avant la tombée de la nuit, alors prévoyons dès lors un périmètre de sécurité. La nuit, des forces hostiles se déchaînent. Plus tard nous serons immergés dans l’obscurité. J’espère que vous avez quelques sorts pour nous garder sains et saufs, sorciers !
  • Nous pouvons créer un cercle de lumière autour de nous. Nous ne sommes que « fils-de-sorciers », nos pouvoirs ne nous permettent pas de nous battre comme notre chef, Flocon. Répondit Maistro
  • Je pourrais vous aider, ajouta calmement Cadmos, cela fait trop longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de me battre.
  • Toute aide sera la bienvenue. Apprécia Flocon
  • Ma fonction passée était des plus importantes et des plus dangereuses. J’étais le dernier rempart contre les Mage pour défendre les aînés. Je devrais encore être capable de quelque chose.
  • Je vous crois, Cadmos. J’espère que vous me parlerez également de ces aînés quand nous sortirons de cet endroit.
  • Seulement si nous en sortons tous vivant, n’oubliez pas.

Idish prit à part Maistro et lui fit signe de l’aider.

  • Que veux-tu faire ? Demanda ce dernier qui observait Idish énoncer des paroles au bout de son bâton.
  • Te souviens-tu de l’enseignement du chef ?
  • La « barrière » ! Tu as raison, faisons cela.

Cadmos observa les deux sorciers s’investir dans leur tâche et se rassura que cette nuit n’allait point être la dernière de sa nouvelle vie. « Si Flocon a survécu à cette ce gouffre, il survivra à cette forêt, et je pourrais voir enfin tout son potentiel. » Pensa-t-il tandis qu’il commençait à s’échauffer. Après quoi, il se tint droit, couvert d’un bas en toile dont des liens serrés moulaient ses muscles, et dans la pénombre presque totale, son regard semblait s’illuminer.

Flocon remarqua avec quelle sérénité le Sage se prêtait à l’action. Il sentait en lui une force véritable, dénuée de peur, et plus grande encore que tous les adversaires qu’il avait affrontés par le passé. Il observa un court instant le regard lumineux de son nouveau compagnon de route et se sentit rassurer de devoir combattre cette nuit aux côtés d’un tel être.

Des bruits s’élevèrent dans toute la « Forêt Rouge », des gémissements lointains à faire trembler l’innocence, des grincements de métaux qui rappelaient le passage des fers affûtés, des craquements qui brisaient le sol sous de lourds pas, un brouhaha impensable s’approchait d’eux.

« Cette forêt est maudite ! » S’exclama Maistro qui croisait son bâton avec Idish, murmurant encore des paroles inaudibles.

Mais Flocon sentit que cette fois, la bataille serait différente. Les bruits ne ressemblaient en rien ce qu’il avait rencontré par le passé. Cette fois-ci, c’était différent. Trop différent.

« Je ressens quelque chose, Flocon ! Préparez-vous ! » S’exclama Cadmos qui s’appuya fermement sur ses talons en dressant ses points nus devant lui.

Au même moment, le sol trembla sous leurs pieds et tout ce qu’il y avait autour d’eux se brisa et s’écroula. À peine la poussière se dégagea que les derniers mots des « Fils-de-sorciers » se firent entendre : « Baria ! ». Une onde de choc s’échappa des deux bâtons, s’allongeant sur plusieurs mètres, illuminant l’espace qui restait tout autour d’eux.

  • Voilà une belle barrière ! Félicita Flocon qui appréciait l’œuvre magique.
  • La « Barrière des Justes », dite « Baria » dans notre village. Celle-ci même que vous avez dû traverser pour pénétrer à l’intérieur du camp. Elle nous protègera de la tête au pied. Répondit Maistro.

Mais leur enthousiasme s’estompa rapidement lorsqu’ils virent le décor déchiré, le sol tombé tout autour d’eux et la terre engloutie par une créature à la taille gargantuesque. En quelques instants, le cœur de la forêt avait disparu laissant place à un vaste cratère où le centre, intact, gardait le groupe indemne. Les quatre se retrouvèrent face à une abomination qu’aucun n’avait pu imaginer exister jusqu’alors.

  • Qu’est-ce que…
  • Garde ton sang-froid, Maistro. Aussi terrifiante que soit cette chose, nous sommes à l’abri ici. Remarqua Idish.
  • À l’abriii ? Est-ce cela que vous avez diiit ? Fit d’un son strident le monstre devant eux.
  • Qui êtes-vous ? Lança Flocon qui lui faisait face auprès de Cadmos.
  • Cela fait bien longtemps que personne n’est venu iciiiii. Que faites-vous iciiiii ?
  • Monstre ! S’exclama Cadmos, laisse-nous passer et tu auras la vie sauve !

« Que dit-il là ? Ne craint-il pas cette féroce apparence ? » S’interrogea Idish tremblant.

« La viiiie sauve ? Les mortels sont siiii peu attaché à leur existence. »

Et d’un souffle fort, la bête monstrueuse fit s’évaporer la barrière magique, dont seul le halo de lumière restait. Flocon, Cadmos, Idish et Maistro étaient alors nez à nez avec l’entité démoniaque.

  • Enfin de l’exercice ! Rétorqua Cadmos dont le regard semblait brûlé d’impatience.

« Quiiii êtes-vous, insiiiignifiante fourmi, pour vous opposer à moi ? Aucun mortel ne sortira jamais vivant de ma Forêt Sanglante, hihihiiiii ! »

  • Vous n’êtes rien qu’un vieux débris de chair et je vous marcherai dessus comme j’ai marché sur vos semblables tout au long de ma vie ! Affirma le Sage qui se mit à sourire pour provoquer la bête.

Ses compagnons le regardaient avec étonnement. Pourquoi provoquait-il à ce point le monstre ? Pourquoi susciter sa colère ? Était-il vraiment capable de le tuer ? Flocon regarda silencieusement la scène tandis que les sorciers s’étaient reclus à l’écart.

« Quoi ? Votre insolence… s’énerva l’adversaire, je vous réduirais tous en miette, et vous, je vous torturerais à jamais ! » S’exclama la bête dont la voix fit trembler le sol. Le monstre frappa violemment de son membre supérieur gauche le Sage. La force de l’impact était si puissante que ce dernier, bien qu’essayant de contenir le coup de ses propres bras, fut éjecté vers l’arrière, plaqué contre la roche argileuse qui était encore là. Cadmos se sentit briser de toute part, incapable de se relever. « En un seul coup ! » Songea-t-il allongé sur le sol, perdant la lueur scintillante de son regard, observant de quelques mètres le face à face entre la bête et Flocon.

« Hihihiiii ! À quiiii le tour à présent, ignorants ? » Son regard se jeta sur Flocon tout d’abord, mais comme il ne fit aucun signe, il regarda les deux frères terrorisés. « Vous ! Vous m’avez l’air appétissant. Je n’ai pas mangé de chair fraîche depuis des années. Ah ça ouiiii, vous serez parfait ! » Dit-il en laissant courir sa langue sur le sol, glissant à côté de Flocon qui ne bougeait pas, s’acheminant jusqu’aux pieds de Maistro qui recula doucement.

  • Il est temps. Murmura Flocon qui sortit doucement son épée de son fourreau dont la lame scintilla de toute sa splendeur, illuminant comme jadis les confins de l’obscurité.
  • Qu’avez-vous diiiit, insecte ? Demanda le monstre.

« Je le sens, le sang va couler. » Chuchota la voix émanant de l’épée.

L’instant sembla durée une éternité. Flocon, dos à ses compagnons réchauffa de sa seule présence l’atmosphère de la scène. Sa posture vaillante, la position de ses bras le long du corps, son épée qui effleurait le sol de sa pointe argenté, sa cape flottante sur une nouvelle brise, il demeurait seul face au mal.

« Ainsi voilà son véritable pouvoir. » Pensa Cadmos essoufflé et rejoint par les deux sorciers qui regardaient du coin de l’œil l’affrontement.

  • Comment osez-vo… ! Tenta de s’exclamer le monstre quand la lame de l’épée pourfendit sa langue. 

La bête décocha d’aussi violents coups que celui contre Cadmos, mais la posture du guerrier les contrait   comme s’ils n’avaient jamais vraiment été lancés. Percutant à maintes reprises la lame de son nouvel adversaire, la bête s’essouffla tandis que tous observaient le héros tenir bon.

Lorsque la bête s’arrêta pour regarder son œuvre, elle s’étonna de ne même pas l’avoir égratigné. De toutes ses forces elle envoya son plus puissant coup contre Flocon qui, au choc, recula de plusieurs mètres. À peine crut-elle l’avoir vaincue qu’elle sentit au bout de son membre la lame froide de l’épée la repousser.

« Quiiii… »

En un instant, Flocon se dégagea, des marques blanches et brillantes apparurent sur tout son corps, et un vent puissant se leva tout autour d’eux. Il s’élança dans les airs, porté par le souffle qu’il avait fait naître, la poigne de l’épée fermement serrée entre ses mains, il frappa à son tour de toutes ses forces sur la gueule de la bête qui lui faisait front, tétanisée. Le coup fut si puissant qu’il projeta violemment le corps de son adversaire sur le sol en contre-bas, écrasée par la puissance du choc. En retombant, sous le regard ahurit de ses compagnons, il tourna son épée vers le monstre et lui pourfendit le crâne. À ce moment-là, toute la poussière fut balayer, fouettant les visages de ses compagnons qui, difficilement, virent la silhouette blanche et lumineuse de leur Flocon disparaître. Quand le calme revint, ce dernier se retira de la bête agonisante et descendit à hauteur des yeux.

« Epargnez-moi, je ne ferais plus aucun mal. C’est une promesse » gémissait la bête.

Flocon pencha la tête sur le côté et vit une stupéfiante réalité. Le corps de la bête était connecté à toutes les racines de la forêt. Toutes les forces maléfiques qui résidaient en ces lieux étaient liées à cet être. Il fut surpris mais compris à cet instant que son aventure venait à peine de commencer dans l’Est.

« Votre temps est révolue, monstre. Si vous croisez les-vôtres dans la mort, prévenez-les que j’arrive et que tous vous rejoindrons. » Dit-il sereinement avant d’assainir le coup de grâce.

Le souffle du vent se souleva, la poussière tournoya autour du Flocon, puis autour de la lame. Il leva l’épée, dans la continuité de son bras, et abattit le tout en direction de la gueule qui se fendit en deux, coupé par la puissante frappe.

« Enfin… je me sens apaisée de la disparition de ce monstre. » Fit la voix dans l’épée.

L’instant d’après, sous le regard de la troupe, l’enchantement de la forêt fut brisé, les racines qui jonchaient jusqu’alors le sol devinrent moisies et se désagrégèrent en quelques instants. Lorsque Flocon remonta jusqu’à ses amis, ils le virent face à eux, entendant le claquement de son épée qui glissait à l’intérieur de son fourreau, s’accorder avec la disparition soudaine de tout ce qui formait la « Forêt Rouge ».

Le Sage, se relevant doucement aperçu la même lueur dans ses yeux que celle qui s’échappait des siens quand il se sentait prêt à combattre jadis. Une lumière grise et vive, témoin de l’utilisation de l’élément de l’air. Cette fois-ci, Cadmos savait quelle force cet individu cachait en lui. Debout sur ses deux jambes, ils regardèrent tous les quatre la lumière de la lune traverser enfin la poussière qu’était devenu ce lieu interdit.

Instrumental Core & Really Slow Motion – The Angels Among Demons (Angels Among Demons)

De l’autre côté de la Faille, les royaumes des hommes allumèrent de grands feux pour prévenir tout le monde de cet étrange phénomène. Efferus accourut auprès de la reine pour lui annoncer la nouvelle au beau milieu de la nuit en s’exclamant avec joie :

  • Majesté, la « Forêt Rouge » vient de se transformer en une nuée de poussière. Il n’y a plus rien de l’autre côté de la « Faille ». Plus rien !
  • Comment cela ? Comment est-ce, possible ? Demanda-t-elle en observant d’elle-même le miracle qui se jouait devant les fortifications.
  • Je ne peux croire que ce soit une coïncidence. Ajouta-t-il en faisant allusion à Flocon.
  • Ce Flocon… Que tous les royaumes propagent la nouvelle. À l’aurore, je veux que nous réunissions tous les chefs. C’est l’occasion de marcher vers un monde trop longtemps oublié, Efferus !
  • Il sera fait selon vos souhaits, votre Majesté ! Acquiesça-t-il en souriant d’excitation.

Se retrouvant face à face, les deux combattants se regardèrent avec respect.

  • Vous avez été courageux, Flocon. Dit Cadmos en tenant le bras de son camarade.
  • Vous me devez quelque chose je crois. Ajouta l’autre avec un léger ton amusé.
  • Bravo ! Nous devrions fêter votre prouesse mon ami ! S’exclama Idish en faisant apparaître de la bière.
  • Oui ! Fêtons cela ! S’enthousiasma Maistro qui tremblait encore d’excitation.

En atteignant l’extérieur du cratère, les quatre découvrirent l’étendue des conséquences.

La poussière se dissipait doucement par la toute première brise en ces lieux depuis des siècles. De l’autre côté de la « Faille », la troupe devina au loin les feux s’allumer sur les murailles, signe d’un nouveau tournant pour le monde des hommes.

Chapitre 8 :  Le Protecteur

Après avoir repris leur souffle et s’être accommodé de cette nouvelle plaine où résidait depuis trop longtemps une forêt maléfique, ils décidèrent de continuer leur route sans plus attendre.

L’horizon n’avait jamais semblé aussi troublé, comme si l’avenir se masquait d’un voile de poussière qui s’estompait doucement. Flocon se retourna et vit que son groupe n’avait pas tant avancé que cela depuis qu’ils avaient investis l’endroit. Le monstre de la « Forêt Rouge » les avait fait tourner en rond, les piégeant ainsi au cœur de ce qui aurait pu s’apparenter au véritable corps de la bête : la forêt toute entière.

Ils marchèrent durant une demi-journée de plus.

Flocon s’était mis à l’écart, à l’avant de la troupe et marchait, poigne de l’épée en main.

« Que m’avez-vous fait ? » Songea Flocon en s’adressant à l’esprit de l’arme.

« Que m’as-tu fait ? »

« Je ne m’explique pas ce qui est arrivé. Comment ai-je pu ainsi terrasser une bête aussi monstrueuse ? Mon corps tout entier semblait être dirigé et ces marques qui brillaient de la sorte… » Rétorqua Flocon.

« Tu es lié à moi. Pourquoi ? Comment ? Je veux le savoir. »

« Qu’êtes-vous ? L’âme d’un démon ? » Songea Flocon désabusé.

« Je l’ignore… »

Il lâcha la poigne de son épée, mécontent, et réfléchit à quelle explication plausible pouvait expliquer ce qu’il avait ressenti contre son adversaire. Cette sensation de ne plus être maître de lui. La sensation de surpasser ses capacités habituelles, puisant en une force infinie et redoutable. Certain que l’épée en était responsable, il se convainc rapidement que l’épée ne renfermait pas seulement une âme mais les pouvoirs d’un être terrifiant.

Comme il marchait toujours seul à la tête du convoi, il arriva le premier aux falaises. Ces dernières entouraient jadis un vaste étendu d’eau, l’un des plus grands lacs du continent. Aujourd’hui, l’aire marine avait laissé place à un désert où l’on ne voyait plus que le sable sec à perte de vue.

  • De l’eau ! Voilà qui ne serait pas de refus. Un bon bain pour nous laver des poussières ! S’enthousiasma Idish.
  • C’est vrai que tu en as bien besoin. Tu es si sale ! Taquina son frère qui riait aux éclats.

Arrivant à hauteur de Flocon, immobile, face à l’étendue de sable, Cadmos comprit que le plaisir des sorciers allait s’effacer à ce panorama, il demanda :

  • On va vraiment devoir faire le voyage avec ces deux-là ?
  • Ils ne sont peut-être pas aussi sérieux et conscients du danger que vous, mais c’est leur décision. Et puis, ils semblent désireux de se surpasser.
  • Vous faites sans doute allusion à la barrière magique ? Ils ont dû être deux pour réussir un tel sort de bas niveau.
  • Il est vrai que votre parade était bien davantage spectaculaire. Surtout votre envolée. On a tous été étonné ! Se moqua Flocon tandis que les frères arrivèrent face à l’ancien emplacement au lac de sable.

La vue était unique, mais le décor avait lui aussi changé.

  • Il devait y avoir un lac auparavant, s’inquiéta Idish.
  • Je ne vois que du sable à perte de vue. Répondit Cadmos.

« C’est ce qu’on appelle de l’ironie. » Pensa le premier qui s’étonnait du sérieux de l’interlocuteur.

  • C’est, impensable. Cette forêt a dû se gorger de toute l’eau avoisinante.
  • Eh bien voilà un problème de régler. Nous passerons au travers. Reprit Cadmos d’un ton décidé.

Ils se mirent à descendre de la falaise après avoir trouvé un chemin pédestre qui les amena directement sur l’ancienne plage de sable fins.

Cadmos remarqua la déception dans le regard du guerrier. Il sentait que ce lieu devait regorger de vie et de prospérité par le passé, pourtant il n’arrivait pas à se sentir concerné par les maux que pouvaient ressentir ces gens.

  • Je me demande quand vous pourrez m’expliquer quoique ce soit à votre sujet. Dit Flocon au côté du Sage.
  • Trouvons un endroit pour se reposer et je vous répondrai.
  • Ainsi il nous faut continuer pour atteindre l’ancien rivage à l’autre extrémité. Et ensuite, j’espère que vous tiendrez parole.

Cadmos s’en détourna et avança en direction du dénivelé.

  • L’auriez-vous vexé ? Demanda Maistro qui se tourna vers Flocon en voyant le Sage passer devant lui.
  • Croyez-vous que les Sages soient si susceptibles ? Répondit Flocon.
  • C’est qu’il n’a pas croisé d’êtres vivants depuis longtemps. Il ne doit pas savoir comment réagir. S’amusa une nouvelle fois Idish.
  • Dîtes-nous Flocon, reprit Maistro qui se rapprocha de son interlocuteur, savez-vous ce qu’il essaya de faire quand il provoqua la bête à mains nues. Si ce n’était pas là un acte désespéré, alors que comptait-il faire ?
  • Je ne sais trop ce qu’il pensait faire. Mais il possède une grande force intérieure. Peut-être avait-il besoin de ressentir de quoi il était capable. Cinq siècles lui ont été enlevés, et d’après ce qu’il m’a dit, il semblerait qu’il ait été plus une sorte de guerrier qu’autre chose par le passé.
  • Et il n’a rien eu de grave le bougre ! S’exclama Idish.
  • Vous êtes dans le même cas, vous ignorez tout de votre passé, Flocon. Termina Maistro.

Cadmos se retourna à ces mots et jeta un regard accusateur aux autres qui se mirent alors en route.

« Sa force est sans aucun doute un trait important, il était prêt à affronter Idish à mains nues à leur rencontre. Je me demande ce que ses capacités pouvaient engendrer. » Songea Flocon qui suivit ses compagnons vers le bas de la pente.

Au bout de quelques minutes, Flocon tenta de soulever le sable comme il s’était sentit léger contre la bête. Il se concentra, ferma les yeux et songea à son état d’esprit pendant le combat. C’est alors qu’une légère vague de sable se souleva autour de la troupe et l’évita au-dessus de leur tête. Le guerrier joignit ses mains, et le sable prit la même forme que celles-ci. Mais à peine la pointe de ses doigts se touchèrent qu’il vît du coin de l’œil, Cadmos s’approcher en courant, le poing serré au niveau du buste.

« Qu’est-ce qu’il ? » À peine eut-il le temps d’attraper la poigne de son épée, que le poing lourd et ferme de l’assaillant percuta son fourreau qu’il avait pu soulever à temps. Le coup l’impressionna par sa force et sa rapidité. Flocon fut renversé vers l’arrière et se retint de tomber en posant un genou au sol. À ce moment, la boule de sable s’abattit sur les deux fils-de-sorciers qui ne manquèrent pas de râler avant de voir leur compagnon à genoux.

  • Pourquoi m’avez-vous attaqué, Cadmos ! S’exclama Flocon qui reprit son souffle.
  • Vous êtes un guerrier bien maladroit, Flocon. Réfléchissez un instant ! Vous venez de montrer notre position à n’importe quel guetteur qui vivrait dans cette contrée.
  • Au beau milieu de nulle part ? Du sable au milieu de sable, je ne vois pas ce qu’on pourrait y voir. Rétorqua Flocon.
  • Bouger donc au beau milieu d’une armée immobile, et vous verrez ! Nous devrions nous mettre en route immédiatement, je sens qu’on aura bientôt de nouveaux ennuis, Flocon. Ajouta Cadmos avec dépit.

L’humain sortit sa lame de son fourreau pour regarder son état. Elle brillait comme jamais mais n’avait aucune fêlure. Il la rangea aussitôt et reprit :

  • Vous avez raison. Votre vitesse est impressionnante, Cadmos. J’ai à peine eu le temps d’attraper mon fourreau. Ajouta-t-il rassuré.
  • Vous étiez bêtement distrait, voilà tout.
  • Pourquoi avoir provoqué le monstre ?
  • Je faisais diversion. Je ne pensais pas que vous me laisseriez tomber. Répondit Cadmos calmement comme si la réponse apportée n’avait aucune importance.

Les fils-de-sorciers s’approchèrent des deux autres mécontents :

  • Qu’est-ce qui vous a pris ! S’exclama Idish.
  • Que diable avez-vous fait ! Ajouta Maistro avec un ton aussi grave que son frère.

À peine euent-ils l’intention de les réprimander davantage que les quatre individus furent surpris par une boule de feu. Elle traversa tout le nouveau désert et s’écrasa juste derrière eux.

« Ce n’est pas bon. Ce n’est pas bon du tout. » Pensa Cadmos inquiet.

  • Ne venons-nous pas de voir passé une boule de feu ? Demanda ahurit Maistro qui se remettait à peine du reste.
  • Mais c’était bien trop proche pour que ce soit une coïncidence. Ajouta Flocon. Qu’en dîtes-vous Cadmos ?
  • J’en dis que nous devrions courir ! Répondit-il en levant le regard au ciel.

Une nuée de boules de feu semblait se diriger vers eux. Il était évident que le sable qu’avait soulevé Flocon les avait mis en danger. Cadmos se mit à courir de nouveau, aussi rapide que d’habitude, et tandis que les nouvelles braises commençaient à atteindre tout le monde, Maistro, Idish et Flocon suivirent l’exemple.

  • Mais ce n’est pas croyable ! S’écria Maistro, on ne peut traverser aucun royaume sans crainte, lorsqu’on vous accompagne, Flocon ! Un peu de repos après la forêt, ce n’était pas tant demander !
  • Cessez de gindre, et gardez vos forces pour plus tard. Je ne sais où nous emmène Cadmos, mais il n’a pas l’air du genre à se cacher des dangers ! Affirma Flocon en accélérant le rythme.

En jetant un bref coup d’œil vers l’arrière, Flocon vit le sable se transformer en magma. Ça ne pouvait être l’œuvre d’humains. Seule une force supérieure pouvait rendre le feu aussi chaud que cela. Lorsqu’il refit attention au-devant il remarqua que Cadmos n’était plus dans son champ de vision. Il était si rapide qu’il venait de les distancer d’un ou deux milles (le « mille » vaut mille pas de cinq pieds (environ 1620 mètres)*). La profondeur de l’ancien lac assombrissait l’endroit à chaque centimètre descendu.

  • Là-bas, les boules de feu viennent de cet endroit ! S’exclama Idish qui voyait au loin, toujours en contre bas, une ville se dessiner, et surplombée des jets de feu.
  • Incroyable ! S’étonna Flocon qui se hâta d’atteindre l’endroit.

Ils arrivèrent non loin des premières bâtisses, dont la forme arrondie semblait n’avoir aucun sens au beau milieu de ce désert. La lumière se reflétait sur les parois métalliques qui structuraient les habitations. À peine fussent-ils entrés dans le périmètre résidentiel que les boules de feu cessèrent de traverser le ciel.

En s’approchant davantage, Flocon observa le peuple présent. Aucun individu ne semblait agressif mais ils les dévisageaient comme s’ils n’en avaient jamais vu de pareils auparavant. Les deux frères se mirent à les dévisager à leur tour.

  • Regarde comme ils sont sveltes. Fit Idish.
  • Et leur chevelure longue et soyeuse. Ajouta Maistro.
  • Ne sois pas jaloux, tu aimeras en avoir une pareille ?
  • Tais-toi donc. Mais où est passé Cadmos ? Reprit Maistro.
  • Je ne sais pas, fit Flocon, nous devrions avancer.

Avançant le plus rapidement possible, suivis des deux sorciers, ils ne tardèrent pas à entendre des bruits et des cris. Non loin d’eux, se rapprochant de l’origine des sons, ils arrivèrent en quelques minutes face à un incroyable spectacle : à l’intérieur d’un gigantesque dôme transparent, derrière l’infrastructure sphérique, dos aux nouveaux arrivants, un soldat se tenait face à Cadmos et parait ses coups les uns après les autres. Le sol semblait trembler sous chaque attaque que le Sage envoyait. Mais l’autre résistait sans peine, déviant les poings vers la droite ou la gauche comme s’il s’agissait simplement de plumes. Une parfaite dextérité faisait front à une force brute.

  • C’est incroyable ! Dit Maistro qui posa ses mains sur la paroi transparente.
  • Ce guerrier est fantastique. Dommage qu’il ait ce casque sur la tête, et cette légère armure, j’aimerai bien savoir à quoi il ressemble. Et comment peut-il parer les attaques d’un Sage ? Demanda Idish.
  • Cela vous surprend-il vraiment ? Il n’a pas réussi à contrer le monstre hier, comment pourrait-il véritablement combattre un tel adversaire aujourd’hui. Le plus important, pourquoi a-t-il attaqué cet homme ? Reprit Flocon

Ils regardaient tous le combat, les habitants comme les aventuriers, sans qu’aucun n’interféra. Les coups de Cadmos créaient le son du tonnerre mais l’adversaire les esquivait sans trop de difficulté. Le Sage commença à se fatiguer et s’arrêta de combattre, affaiblis par ses précédentes blessures. Il se tenait devant la foule autour du dôme, tandis que l’inconnu restait immobile encore un moment. De l’extérieur de l’édifice, on pouvait apercevoir les lèvres du compagnon se mouvoir. Ils étaient dorénavant en train de se parler :

  • Vous vous battez bien. Dit l’inconnu à Cadmos.
  • Comment pouvez-vous être encore en vie ! Lui répondit-il furieux.
  • Elle m’avait parlé de vos semblables et que ce jour pourrait arriver.
  • De qui parlez-vous ?
  • Je n’ai pas à vous répondre.

Cadmos attaqua de plus bel pour en finir, décochant le plus puissant de ses coups en direction du visage de son adversaire. Surpris par la force qui lui restait, l’inconnu évita de justesse l’attaque et s’embrasa instantanément. Des flammes naquirent de toutes parts dans le dôme et un feu rougeoyant entoura le guerrier qui fit imploser par là-même son armure et son casque. Les bouts de métaux se désagrégèrent tout autour de lui. Faisant à nouveau face à Cadmos, l’individu souriait avec fougue.

  • Impossible ! S’étonna le Sage face à la personne qui se dressait au-devant.
  • Vous avez plus de ressources que le précédent, vos marques vous trahissent. Je vais devoir employer les grands moyens cette fois-ci.

« Cadmos est en danger, cette fois-ci, j’interviens. » Affirma Flocon qui sortit son épée et fendit le dôme sous le regard ahurit de tous.

Au même moment, l’inconnu qui combattait Cadmos se retourna et fit face aux spectateurs. Sa chevelure brillait dans la chaleur de la fournaise.

  • J’ai un sacré frisson ! Je veux une femme comme celle-là ! S’exclama Idish qui se réjouissait de voir la suite sans se soucier du sort du Sage ou de Flocon.
  • Une femme aussi… terrifiante. Tu es fou ! Nous avons déjà ce qu’il nous faut en homme dans notre aventure ! Répondit Maistro qui désignait Flocon.

À l’intérieur du dôme, la guerrière observait avec étonnement l’arrivée de Flocon qui la fixait sans crainte.

« Qu’il fait chaud ici. Penses-tu me faire fondre ? » Fit la voix qui se mêlait à l’instant.

« Cette fois-ci, je ne me laisserai pas faire, esprit. » Songea Flocon en s’avançant jusqu’au côté de Cadmos.

« Je n’y suis pour rien. Tu es seul responsable. »

  • Que se passe-t-il ici, Cadmos ?
  • Cette femme, c’est une Mage. Elle utilise la magie comme une arme. Ces boules de feu, c’est elle qui en est l’origine.
  • Qui que vous soyez, étrangers, je ne laisserai personne s’en prendre à mon peuple.
  • De quoi parlez-vous ?
  • À vous d’y répondre. Votre ami m’a attaquée.
  • Mensonge ! S’écria Cadmos. Vous nous avez bombardés de vos boules de feux.
  • Évidemment. Je ne laisserai personne tenter de conquérir ces terres. Que vous soyez humain ou démon, vous êtes tous les mêmes. À répandre la destruction sur votre passage. J’ai protégé cette cité ces dernières années. Je le ferais encore toute ma vie durant s’il le faut.
  • Cela ne sera pas nécessaire. Répondit calmement Flocon en rangeant son arme.

Un silence s’installa, durant lequel la femme remarqua la longue tunique rouge et banche.

  • Cet être est tel un monstre. Et vous le respectez ? J’ai été préparée à de telles rencontres. Elle m’a enseignée tout ce que je devais savoir sur les Sage et les Mage.
  • Taisez-vous ! Ne l’écoutez pas Flocon. Ajouta le Sage.
  • J’en ai assez entendu ! Disparaissez ! Répondit-elle en attaquant.

Les flammes s’abattirent sur Cadmos et son compagnon. Ce dernier tenta de se protéger, les bras devant le visage. Il pensa avoir réussi à contrer cette attaque flamboyante jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux. Sur ses mains venaient d’apparaître des marques brillantes, grimpant sur ses bras et sur le reste de son corps. Elles n’étaient pourtant pas blanches comme les précédentes. Cadmos les remarqua à son tour puis les fils-de-sorciers et enfin l’assaillant qui ne relâchait pas ses efforts. Le feu brûlait l’air et s’engouffrait sur les deux individus. Flocon observa ses mains qui brillaient d’une lueur orangée pour la toute première fois. Doucement, craignant perdre les biens faits de cette capacité, attrapa la poignée de son épée.

« Je savais bien que tu en étais responsable. Tu me crois maintenant ? » Fit la lame.

  • Cadmos, que m’arrive-t-il ? demanda Flocon perturbé.
  • Je l’ignore. Ces marques… Je n’ai jamais rien vu de tel.
  • Qui êtes-vous ! s’écria l’assaillante voyant que le feu contournait ses cibles.
  • Que suis-je ? S’interrogea l’épéiste.

Flocon était ébranlé. Il n’arrivait plus à penser, il n’arrivait plus à réagir. Ce qui lui arrivait ne faisait qu’empirer ses sentiments. Depuis le début il ignorait ce qu’il était. Il ignorait d’où il venait. Il ignorait jusqu’à sa propre origine. Ses capacités apparaissaient au fur et à mesure sans qu’il n’en sache les significations. Et tandis qu’il impressionnait les spectateurs, il plongeait intimement dans un état de dépression, face à un monde qui ignorait tout de lui.

L’assaillante cessa son attaque et rendit les armes en voyant que rien ne pouvait atteindre cet homme. Il l’ignorait, perdu dans ses propres pensées tandis qu’elle l’avait attaquée avec toutes ses forces. Elle se présenta :

  • Depuis cinq années, on me surnomme Ena. Princesse du Royaume d’Ardea, le sixième royaume des Plaines de l’Eveil.
  • On le surnomme Flocon. Il est amnésique. Je suis Cadmos, et ces individus là-bas ce sont ces compagnons, les sorciers, Idish et Maistro. Nous ne vous voulions aucun mal.
  • Qui est-il ? Je n’ai jamais rencontré personne capable d’éviter mes flammes. Ma maîtresse ne m’a jamais parlé d’autres gens comme moi.
  • Comme vous ? S’étonna Cadmos.
  • Je suis la fille du roi d’Ardrea et de la reine magicienne.
  • Est-ce vrai, princesse Ena ? Reprit Flocon. Est-ce vrai que vous êtes la fille d’une magicienne ? Votre royaume doit posséder de nombreux manuscrits sur la magie. Peut-être que je pourrais… Oui peut-être qu’il existe des textes sur ce que je pourrais être. Sur mes origines…
  • Je n’ai aucun compte à vous rendre, Flocon. Je dois protéger ces terres des monstres de ces contrées.
  • Comment est-ce possible, Cadmos ? Demanda Flocon bouleversé. Nous devons nous rendre là-bas. C’est une priorité.

Idish et Maistro les avait depuis rejoins. Tandis que le premier dévisageait la guerrière, le second écoutait attentivement le dialogue. Il lui vint une idée qui pouvait accommoder les deux parties :

  • Je suis Maistro, fils-de-sorcier, et je comprends votre devoir. Protégez ces habitants est ce qu’il y a de plus précieux. Mais dorénavant, la Forêt Sanglante n’existe plus. L’homme que vous voyez devant vous est celui qui libéra ces terres et pourraient en libérer bien d’autres. Grâce à lui, le royaume des hommes qui s’étend à l’Ouest rejoindra très bientôt ces contrées. Dîtes à votre peuple d’aller à l’Ouest. Ils trouveront refuge et nourriture auprès des nôtres. Soyez en sûr. En contrepartie, accompagnez-nous jusqu’à votre royaume. Notre ami, Flocon, est un individu dévoué et perdu. Il a besoin que des gens comme vous puissiez l’aider. Je vous en conjure, aidez-nous.
  • Ne vous méprenez pas Cadmos, cette femme n’est pas notre ennemi. J’ai besoin de votre aide, Ena. Reprit Flocon.
  • Je vous écoute, Flocon. Si ce que dis votre ami est vrai, que l’Ouest est bel et bien dégagé. Cela pourrait permettre aux peuples opprimés par les démons, d’avoir une porte de sortie, un renouveau.
  • Votre tâche est noble, et votre dévouement sincère. Cadmos, reprit Flocon en s’avançant à ses côtés, cette femme n’est pas une meurtrière. Elle a dévoué sa vie à protéger ces habitants.
  • Je n’abandonnerai pas ce peuple, Flocon.
  • Ces gens ne risquent plus rien désormais. Nous avons terrassé le monstre qui habitait la forêt. D’ici peu, les royaumes des hommes arriveront jusqu’ici. Ils sont déjà en marche, je le sais. Leur armée est colossale et dirigée par un chef que je respecte. Croyez-moi, votre peuple sera en sécurité.
  • Cette forêt n’est plus qu’un tas de poussière, princesse Ena. S’amusa Idish contemplatif.
  • Comment avez-vous fait ? Même mes flammes ne pouvaient brûler cette végétation. Ne sommes-nous donc plus isolés ? Si ce que vous dîtes est vrai, alors l’espoir renaît. S’enjoua Ena qui songeait au futur.
  • Je vous fais le serment de protéger les peuples opprimés. M’aiderez-vous ? M’emmènerez vous auprès des vôtres afin que je sache qui je suis ?

Chapitre 9 :  L’Autre

La guerrière s’était retournée avec son peuple et leur raconta la situation, les changements, l’apparition de Flocon, les forces humaines en marche jusqu’ici, et l’avenir qui se dessinait enfin.

  • Cette femme, une des douze royaumes ? Je ne connais aucune histoire au sujet d’un tel endroit. S’étonna Idish en écoutant les explications du guerrier.
  • Oui, l’une d’entre nous. Plus nous nous enfoncerons dans ces terres, plus le mal sera grand. Sa force nous sera d’une grande aide, j’en suis certain. Affirma son frère.
  • Par où devrions-nous nous diriger à présent ? Demanda Cadmos en regardant ses compagnons décidés. Mon ami Delfic se trouve dans une ancienne contrée humaine au Nord Est. Si cette princesse vient d’un royaume ayant résisté aux attaques des démons, il est possible qu’il s’agisse du même lieu.
  • Je pense que la princesse Ena est la mieux placée pour nous donner une direction à suivre. Elle demeurait en ces terres depuis de longues années maintenant. Rejoignons-là et demandons-lui. Je préfèrerai être partis avant l’arrivée de la Coalition Humaine.
  • Ne pensez-vous pas, maintenant qu’ils peuvent construire de quoi traverser la Faille sans crainte, que cette armée puisse être le meilleur moyen de marcher sur les terres de l’Est sans craindre d’autres ennemis ? Suggéra Maistro.
  • Je pense que nous pouvons éviter à ces valeureux soldats de périr pour rien. Nous devons affronter l’adversité les premiers. Nous sommes préparés à cela. Mais si vous préférez les attendre, n’en voyez aucune honte, répondit Flocon.
  • Les hommes sont nombreux certes, mais leur véritable force est limitée. Répondit Cadmos qui prit l’initiative de marcher vers Ena.
  • Nous ne vous laisserons pas à votre sort ! C’est hors de question. Rétorqua Maistro.
  • Oui oui, c’est ça. Fit Idish qui ne quittait plus la princesse du regard.

Quittant ses confrères, Ena se tourna vers le Sage qui arriva à sa hauteur et lui adressa ses excuses.

  • Si j’avais su tous les détails, nous n’aurions pas eu à nous battre. J’espère que vous n’aurez pas de rancœur à mon encontre. S’expliqua-t-elle.
  • C’est ce que nous verrons. Je garderai un œil sur vous, ajouta Cadmos avant d’être rejoint par les trois autres.

Ena s’en détourna et s’avança vers Flocon. Elle lui posa la main sur l’épaule en lui chuchotant quelques mots. Puis d’un pas décidé elle reprit :

  • Il est temps de se mettre en route, n’est-ce pas ?

Flocon se retourna et fit signe à Cadmos de suivre.

  • Dites, princesse, dit Idish qui s’était dépêché de venir à sa hauteur, avez-vous quelqu’un dans votre vie ?
  • Que voulez-vous dire ?
  • Y a-t-il un homme auprès de vous ?
  • Laissez tomber. Je ne m’intéresse pas aux sorciers, ni aux trouillards. Répondit-elle amusée.

Rejoint par son frère, Idish ralentit l’allure.

  • Je t’avais bien dit que ce n’était pas une femme pour toi, mon frère. Rétorqua Maistro d’un ton taquin.
  • Tu te trompes, j’ai senti dans ses mots secs un intérêt grandissant !
  • Tu es fou. Tu es vraiment fou. Mais têtu que tu es, rien ne t’arrêtera.
  • Tu as tout compris Maistro. Nous ne sommes par sorciers pour rien.
  • Fils-de-sorciers. Si tu commences à l’oublier, cela te jouera un mauvais tour !
  • Sorcier ou non, je lui prouverai ma valeur. Tu verras, ton scepticisme s’effacera quand je serais avec cette sublime fleur !
  • Je ne demande qu’à voir cela, Idish. Tâche de ne pas te brûler les doigts en t’y approchant.
  • Cette plaisanterie est d’une subtilité ! Ha ! Ries donc, mais tu verras bien !

Ils continuèrent à se taquiner et à en rire tandis qu’Ena songea à ce qu’elle avait vécu ces dernières années, à ces horreurs qu’elle avait traversé, cette tristesse qu’elle avait ressentie et à ces monstres qu’elle avait réduit au silence pour protéger les siens. Tout cela faisait dorénavant partie de son passé, tandis qu’un avenir pouvait s’ériger hors de ce monde de dangers qu’il abritait.

  • À quoi songez-vous ? Demanda Flocon.
  • Ah ! Vous m’avez surprise. Je pensais au passé comme à l’avenir.
  • Êtes-vous inquiète ?
  • Pour qui me prenez-vous ? Je suis bien capable de me défendre.
  • Je l’ai remarqué. Votre maîtrise est impressionnante.
  • La vôtre n’est pas mauvaise non plus. Comment avez-vous maîtrisé le feu ?
  • Je marche avec vous pour le découvrir. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il fait partie intégrante de mon être.
  • Je ressens cela aussi. Le feu brûle au plus profond de moi. Je n’ai qu’à y songer et il s’émancipe comme je le souhaite. Regarder cette flamme au bout de mes doigts. Je l’éteints et la rallume comme bon me semble.
  • Je n’en comprends pas toutes les subtilités. Je ne sais pas qui je suis, d’où je viens. Mais face au danger, je suis toujours capable de faire front. C’est comme si j’avais l’expérience de tout sans ne jamais pouvoir me rappeler de rien.
  • Vous semblez avoir combattu de nombreux ennemis par le passé. Mais où étiez-vous précisément ces dernières années, Flocon ? Demanda-t-elle d’un ton plus sérieux.
  • Je m’étais perdu.
  • Peu importe. Je n’ai jamais baissé les bras. Je n’ai jamais été « perdue ». Affirma-t-elle. Ne faites pas des promesses en l’air, Flocon, ou je devrais m’occuper d’elles à votre place.

« Décidément, je suis bien entouré, pensa le guerrier, Cadmos me fera regretter d’être faible, et cette princesse qui me considère déjà comme tel. Sont-ils indispensables… »

« Ces pensées ne vous sied guère. Vous êtes porteur d’une épée qui ignore autant de chose sur elles que vous sur vous-même. Mais ces compagnons, je suis sûr qu’ils nous aideront. »

« Vous m’espionnez donc. Votre mystère fait également partis des miens. Comment puis-je être en possession d’une épée possédée ? Et si j’en étais responsable ? Si j’en étais capable ? Peut-être que les réponses se trouvent dans ma mémoire. Une mémoire bloquée. »

« C’est possible, je suppose. »

  • Qu’avez-vous appris d’autres de votre affrontement contre Cadmos ? Reprit Flocon.
  • Pas grand-chose. Mais cette manière de combattre, à main nue, ça me rappelle un monstre que j’ai combattu il y a quelques années de ça. Je m’en souviens bien car il semblait bouleversé de voir quelle force m’habitait. Il prononça des mots incohérents, m’accusant de servir un être supérieur. Je crus qu’il faisait référence à ma mère la Mage, qui m’avait enseigné à maîtriser le feu, mais ce n’était pas cela.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Il semblait faire allusion à l’existence d’un être au-dessus de tous. Un être qui lui faisait peur. Il était persuadé que je servais les dessins du Roi Démon.

Flocon fit signe à Cadmos de les rejoindre en lui expliquant ce qu’il venait d’entendre de la bouche de la princesse.

  • Un Roi Démon ? Cela ne me dit rien. Reprit Cadmos.
  • C’étaient bien ses mots, ajouta Ena. Je n’avais pas fait plus attention à ces termes jusqu’alors. Mais maintenant, cela pourrait donner un sens à leur présence.
  • Que voulez-vous dire ? Questionna Cadmos.
  • Par exemple, pourquoi ces êtres sont apparus dans notre monde ? Pourquoi ont-ils attaqué les hommes et leurs royaumes ? Je pense que la raison est liée à cette… chose.
  • Ainsi ce serait l’œuvre d’un Roi Démon ? S’étonna Flocon qui en avait entendu parler jadis auprès de Dominus, le démon qu’il avait vaincu pour libérer Aude.
  • Oui, c’est cela, ajoute-t-elle, il existe sans doute un chef parmi ces créatures. Cela expliquerait qu’ils soient une communauté, une armée, et non pas des entités indépendantes.
  • Je n’ai jamais entendu parler d’un tel personnage. Rétorqua Cadmos.
  • Moi si. Peu de temps avant de rencontrer Idish et Maistro, j’ai eu à combattre un démon qui mentionna l’existence d’un roi parmi les siens. Expliqua Flocon.
  • Peut-être que Delfic et Enaelle en sauront plus à son sujet. Reprit le Sage.
  • Delfic et Enaelle ? Interrompit la princesse Ena.
  • Ce sont des proches de Cadmos. Expliqua succinctement Flocon.
  • Et où sont-ils ?
  • C’est incertain. La dernière fois qu’il les a vus, ils parlaient de s’installer au Nord Est pour venir en aide aux peuples opprimés.
  • C’est un peu plus complexe que cela, Flocon, reprit Cadmos, Delfic et Enaelle étaient sur le mont de l’Eveil.
  • Le mont de l’Eveil ? Reprit Ena stupéfaite. Cette étrange montagne qui flotte à des milles au-dessus de nos têtes ? Jamais personne n’a pu découvrir ce qu’il y avait sur cet étrange rocher flottant.
  • Alors c’est là-bas qu’ils sont ! Flocon ! Nous sommes sur la bonne voie !
  • Qu’ont-ils de spécial ? Pourquoi seraient-ils sur ce mont ? S’étonna Ena.
  • Ils avaient fait le choix de s’installer loin des leurs et de prospérer indépendamment des contraintes du monde. Ni les hommes, ni aucune autre espèce ne savait qu’ils s’étaient installés là-bas. Seuls les plus proches amis en avaient connaissance.
  • Pendant tout ce temps, il existait des êtres capables de lutter contre l’ennemi. Et plutôt que d’aider les peuples en difficultés, ils sont restés sur leur rocher, intouchables ? C’est donc cela que font les Sage ? Dans ce cas, je suis d’accord avec vous Flocon, trouvons-les, et j’irais leur montrer ce qu’est de vivre à la surface !
  • Calmez-vous Ena. Ces deux êtres sont les seuls, à notre connaissance, à pouvoir encore nous aider. Fit Flocon.

À ces mots, la femme évita les deux acolytes et se mit en marche en songeant à tout ce que ces êtres auraient pu faire pour protéger des innocents. Elle éprouvait déjà de la colère envers ceux que Flocon semblait idolâtrer.

Ils marchèrent pendant une demi-journée avant de se mettre à chasser ça-et-là et de se reposer tous les cinq auprès d’un feu et du gibier bien cuit.

« Regarde-moi cette femme, elle peut tout faire. Se battre, chasser, faire cuir de bon gibier à point. En soi, l’épouse parfaite, ne trouves-tu pas, Maistro ? » Réfléchit Idish qui partageait ses pensées avec son frère endormi, ne quittant pas du regard la longue chevelure rougeoyante et le visage paisible de la femme.

Cadmos, quant à lui, songeait à la présence de cette magicienne aux côtés de cette jeune femme. « Si toutes les âmes emprisonnées dans les cristaux ont pu s’échapper, alors certains Mages se cachent peut-être au cœur des forces ennemies. Et si Flocon est lié à cette étrange épée, assurément forgée par les mains de Delfic, alors l’histoire a pris un étrange tournant. Comment un monde a-t-il pu être scindé en deux ? Quelle force plus puissante que la nôtre, plus puissante que la magie elle-même aurait pu être capable de cela ? Et si cette Ena dit vrai, alors il existe peut-être une chose plus féroce que la progéniture des Mages, plus féroce que les plus terrifiants monstres, plus terrifiant qu’un démon, un roi parmi tous, capable de gouverner et d’évoluer. Comment un tel être peut-il exister ? Comment une telle chose a pu arriver sans que nous n’en soyons pas au courant ? Est-il seulement possible que cette chose ait joué un rôle jadis lorsque les Mages nous ont attaqués ? »

De son côté, éreinté par le voyage et les combats, Flocon s’endormait. L’instant d’un rêve, il s’évadait :

« Ce monde, quel est-il ? Je ne suis jamais venu en un pareil lieu par le passé. Il n’y a que des rochers et des monts à perte de vue et un tapis de lave. Le précipice borde le sol sur lequel je me tiens, et un souffle m’entoure, je me sens apaiser dans cet endroit désolé. Que se passe-t-il ? Où sont-ils, où sont Maistro, Idish, Cadmos, Ena ? Où m’ont-ils laissé ?

Si je ne fais rien, ce monde est voué à disparaître. –

Tu n’es pas obligé de te sacrifier. Il ne mérite pas ton sacrifice. –

Ce n’est pas un sacrifice. Je dois le faire. M’aideras-tu ? –

Bien sûr que je le ferai. Nous affronterons cela ensemble. –

Tu as le choix. Si tu restes ici, tu pourras continuer tout ceci. –

Je ne veux pas continuer sans toi. Faisons-le, ensemble. –

Alors c’est décidé. Nous nous retrouverons. –

Cela prendra peut-être une éternité, mais tu es le seul espoir. –

Non pas le seul. À nous deux, nous les sauverons tous. –

Et des coups de lames brillantes et sombres sonnèrent et ricochèrent au pied de cette immense montagne brûlante. En son cœur, le magma bouillonne et les cieux corrompus se mêlent à la terre. En un instant, tout disparaît. »

Le Flocon se réveilla soudainement, observant ses compagnons allongés à ses côtés. Il observa la position de ses mains, loin de la poigne de son épée. « N’était-ce qu’un rêve ? Cela semblait tellement réel. Se pourrait-il que ce fut un souvenir ? Et cette montagne, tout est confus. » Songea-t-il en retrouvant le sommeil.

Chapitre 10 :  Le Mage de Terre

Le Flocon, Ena et Cadmos ont parlé du Roi Démon. Son existence reste un mystère pour tous les héros, cependant, il s’avère que Delfic et Enaelle ont peut-être quelques réponses. Ena ressent une colère envers ces derniers de n’avoir pas agi contre le mal. Flocon quant à lui a cru rêver ou se souvenir de son passé.

L’aube se dévoilait doucement tandis que chacun se réveillait à la brise matinale. Les frères sorciers s’étiraient comme s’ils s’étaient endormis après une longue soirée de beuverie et s’observaient l’un l’autre puis se souriaient de leur bonne humeur quotidienne. Cadmos, assis contre un arbre, sommeillait encore bien qu’ils auraient pu croire qu’il n’était qu’entrain de penser. Ena s’était déjà levée avant les autres et était partie se dégourdir les jambes aux alentours.

« Nous devrions nous mettre en marche. » Dit sèchement Flocon à ses camarades qui émergeaient à l’instant.

Ils se regardèrent et observèrent le guerrier s’approcher de Cadmos en lui faisant une tape sur l’épaule pour qu’il se réveille à son tour.

« Il est temps de partir. » Ajouta-t-il au Sage sur le même ton.

Ce dernier s’étonna de ces mots ni précédés ni suivis de courtoisies. Cadmos jeta un regard intrigué dans la direction des deux autres qui firent un hochement d’épaules ne s’expliquant pas le comportement étrange de leur ami.

La longue cape du Sage se déplia et l’individu s’approcha de l’épéiste :

  • Que se passe-t-il Flocon ?
  • Que voulez-vous dire, Cadmos ?
  • Votre humeur ne traduit pas votre état d’esprit naturel. Auriez-vous passé une mauvaise nuit ?
  • C’est cela. Une mauvaise nuit ! Non, j’ai juste compris qu’il nous fallait nous dépêcher ! Nous devons trouver des réponses. Trouver ce roi.
  • Que me cachez-vous ? Ajouta Cadmos en baissant la voix. Je sens bien qu’il y a quelque chose qui vous tracasse.
  • Cesser, je me sens très bien !

Ena, qui revenait de sa balade, entendit le haussement de voix de son semblable et intervint :

  • Qu’est-ce que sont que ces embrouilles ? Déjà en train de vous taper dessus ? Encore plus immatures que ces deux frères !
  • Pardon ? S’étonna Flocon qui ne s’attendait pas à une telle remarque.
  • Regardez-vous, vous vous chamaillez pour des choses certainement aussi inutiles qu’irresponsables. Alors, allez-vous me dire ce qu’il se passe, ou devrais-je vous soutirer ces informations d’une manière moins docile ? Proposa Ena qui souriait aussitôt d’excitation.
  • Dîtes-le lui dont, j’en ai assez entendu comme ça ! Fit Cadmos qui se retira du dialogue et s’éloigna.
  • Nous voilà plus que tous les deux, Flocon. Parlez-moi un peu de ce mauvais rêve que vous avez fait cette nuit.
  • De quoi parlez…
  • Ne faites pas l’innocent. Vous vous tourniez dans tous les sens. Je n’ai rien dit, mais il est évident que votre esprit était tourmenté cette nuit. Racontez maintenant ou, je vous le ferai regretter. Expliqua-t-elle en allumant des flammes au bout de ses doigts.

L’homme se retourna et songea à ce qu’il avait rêvé avant de s’expliquer d’une voix inquiète et déshydratée.

Elle l’écouta sans intervenir et s’installa devant lui pour solliciter les détails. Ce Flocon, aussi fort et humble qu’il était, lui plaisait. « Un guerrier à la tâche unique, traversant tous les dangers du monde pour réparer ses erreurs et sauver les peuples de cette ère de tourment », comment ne pouvait-elle pas ressentir quelque chose ? Se demanda-t-elle amusée dans un coin de son esprit.

Il lui expliqua son ressentit face à la découverte de l’existence de Delfic le Sage et d’Enaelle la Mage qui vivaient sur un mont, ignorés de tous depuis toujours, et de son incapacité à savoir qui il est.

« Je vous aiderai, nous vous aiderons tous, dit-elle quand il eut fini, et nous trouverons l’explication à toutes ces épreuves. Si nous devons traverser les terres jusque-là, nous devrons passer par le lit de l’ancien fleuve Méré qui parcours la plaine d’une chaîne de montagne à l’autre. Puis les forêts du Nord seront les derniers remparts avant d’atteindre la Plaine de l’Eveil. Peu de doute que notre voyage se passe sans dangers. Les monstres et les démons rôdent et demeurent dans tous les territoires de l’Est. La Forêt Rouge protégeait l’Ouest, et ma situation géographique me permettait de survivre toutes ces années, mais je crains que plus nous nous enfoncerons dans les terres, plus le danger sera omniprésent, Flocon. »

Ce dernier acquiesça à ces mots et remercia l’attention qu’elle lui avait portée. Il lui sourit et retrouva ses amis à qui il présenta ses excuses pour son comportement.

  • Ça ne fait rien, répondit Maistro, avec tous ces dangers, on ne peut toujours être aussi enjoué que mon frère ! Et malgré tout, cela nous rappelle que nous sommes dans des territoires dont nous n’avons plus de nouvel depuis des lustres, nous devrions rester davantage sur nos gardes.
  • D’ailleurs, reprit Idish, comment allons-nous nous rendre au Nord ? Nous n’avons aucune idée de la cartographie de ces lieux.
  • Selon mes souvenirs et des histoires que j’ai entendue ces dernières années du peuple de l’ancien lac, nous pourrions suivre les sentiers forestiers nous gardant à l’écart des routes et des lieux trop à découvert. répondit Ena en s’avançant auprès du groupe.
  • Notre but est d’atteindre les royaumes de l’Eveil. Plus nous resterons cachés, plus vite nous pourrons avancer sans embuche. Ajouta Flocon.
  • Nous ne pourrons pas contourner le lit du fleuve Méré. Sa largeur et sa longueur sont trop importantes. Il s’étend entre la chaîne de montagne de l’Ouest et celle de l’Est. Expliqua la femme.
  • Dans ce cas, nous vous suivrons Ena. Affirma Cadmos.

À ces mots, la princesse observa le ciel et en déduisit la direction du Nord. À ses côtés, Idish l’admirait, émerveillé par sa beauté et espérait, depuis qu’il avait posé les yeux sur elle, qu’elle le remarqua. Il était évident qu’il n’avait pas la carrure d’un guerrier tel que Flocon, ni la sagesse d’un être d’exception tel que Cadmos, mais même fils-de-sorcier, il ne s’avouait pas vaincu. Pour lui, il y avait bien une chose qui les liait plus que les autres, la magie. Il était d’un peuple qui avait appris à malaxer la magie comme elle l’eut apprise d’une Mage. Il sentait que tout pouvait évoluer rapidement s’il se montrait aussi courageux et fort que les autres. Peut-être qu’un fils-de-sorcier pourrait devenir le plus grand sorcier de ces temps, rêvait-il.

  • Pouvez-vous me montrer votre magie ? Demanda Idish qui pressait le pas, à peine aussi grand que la guerrière.
  • Ce n’est pas une chose que j’utilise par plaisir. Rétorqua-t-elle sèchement.
  • Pour qui me prenez-vous ? Réagit-il exagérément. Je ne suis pas un simple d’esprit, je suis moi-même sorcier !
  • Fils-de-sorciers ! S’exclama derrière Maistro qui avait entendu le haussement de voix de son frère.

Décochant un léger sourire, Ena reprit sur ce terme : « Pourquoi vous appelez-vous « fils-de-sorciers » Maistro et vous ? »

Tout enjoué par l’intérêt de la femme, Idish reprit avec un ton grave, comme le ferait un homme pour affirmer ses convictions :

  • Cette dénomination remonte à notre enfance, lorsque nous étions encore de tout jeunes enfants. Notre village a été attaqué par des semi-loups, et les nôtres ont été décimés, nous laissant seuls, sans parents. C’est un autre camp de sorciers qui nous recueillirent et nous appelèrent comme cela pour qu’on n’oublie pas notre terrible passé.
  • Je suis désolé de l’apprendre. S’excusa Ena.
  • Ne l’écoutez pas ! Rattrapa Maistro qui avait écouté l’histoire.
  • Que voulez-vous dire ? Reprit la femme intriguée.
  • Tais-toi donc mon frère.
  • Idish vient de vous raconter l’une des histoires les plus incroyables qu’il soit. Il adore faire cela. Imaginez qu’il ait vécu cent vies différentes. Nous ne sommes pas du tout appelés « fils-de-sorciers » pour cette raison-là. Cela vient du simple fait que dès notre plus jeune âge, nous n’avons jamais été attentif et respectable. Notre devise a toujours été d’engendrer le chaos pour les chefs de camps. Nous nous amusions tout le temps ci-bien qu’un beau jour, le chef nous a attrapé et pour nous punir de nos bêtises, il a déclaré qu’Idish et moi-même n’étions que des fils-de-sorciers, dénonçant nos actes immatures, qui ne pouvaient représenter la sagesse de véritables sorciers. Depuis ce jour, les nôtres nous ont toujours surnommés les fils-de-sorciers, et nous n’avons rien fait pour endiguer cette interpellation. Se félicita presque Maistro qui appréciait se souvenir de ces temps de paix.
  • Quel amusant récit. Votre frère est surprenant, il a réussi à me faire croire en son histoire malgré sa nature fictive. Néanmoins, sachez Idish que je ne vous en veux point. Que ne serait pas prêt à faire un fils-de-sorcier pour plaire ? Taquina Ena qui fit apparaître une flamme au-dessus de la paume de sa main.
  • C’est impressionnant, fit Idish qui apprécia la lumière et la forme sinueuse de cette magie.
  • Quel est l’aîné d’entre vous ? Et que savez-vous faire donc de la magie ? Questionna à son tour la femme s’adressant aux deux frères.
  • Maistro est mon petit frère. Répondit aussitôt Idish fièrement.

L’instant d’après, le bâton magique de Maistro apparut et frappa son épaule.

  • Que fais-tu ? Tu es fou ! S’exclama Idish qui s’éloigna de quelques pas.
  • Encore une fois, reprit calmement Maistro, Idish et moi sommes nés en même temps, le même jour.
  • Peu importe, Maistro, je suis tout de même le plus malin de nous deux.
  • Cela ne te rend pas grand-frère pour autant !
  • Et si vous me parliez plutôt de votre maniement de la magie. Reprit Ena stupéfaite de les voir se disputer comme des enfants.

Maistro montra son bâton de couleur blanche à la femme et notamment les runes magiques qui y étaient gravées. Celles tout en haut signifiaient à quel camp ils appartenaient. Plus les runes étaient gravées bas dans le bois, plus la magie prenait une signification particulière. La dernière rune gravée, à mi-hauteur signifiait « barrière magique ». Dès qu’un sort était réalisé et appris, le sorcier pouvait lui donner un nom et le graver en rune de sorciers. Idish fit apparaître le sien, de couleur plus terne, à mi-chemin entre le noir et le gris et montra les écritures gravées dans l’outil.

Intriguée, Ena demanda pourquoi les runes n’étaient pas écrites dans le même langage que celui qu’ils employaient tous pour communiquer. À cette question, Idish expliqua que l’utilisation de magie est un privilège pour les sorciers, et que seuls des termes propres à leur communauté devaient permettre de lire la signification de leur bâton. De plus, un sorcier n’avait pas pour but de combattre pour acquérir quoique ce soit. Les sorciers ont évolué dans ce monde pour survivre et se défendre de leurs ennemis. Il n’a jamais été question de guerroyer avec la magie, à l’instar des Mage ou des démons.

  • J’imagine qu’avec de pareils interdits, il ne vous sera pas possible de me montrer l’étendue de votre maîtrise. Soupira Ena qui s’interrogeait sur la différence de son pouvoir magique avec celle de véritables sorciers.
  • Nous ne devrions pas, en effet. Mais comme nous partageons votre destin et celui de Flocon, nous ne sommes plus ici pour seulement nous défendre, mais pour affronter le mal. Répondit sérieusement Maistro.
  • Dans ce cas précis, nous pouvons nous permettre de vous montrer ce que nous savons faire. Ajouta Idish sur le même ton.

Les frères se mirent devant Ena et croisant leurs bâtons, ils commencèrent à énumérer oralement les runes gravées. À peine les premiers mots exprimés qu’une lueur bleuâtre apparu autour des objets. Celle-ci s’amplifia de plus en plus jusqu’à ce qu’ils se séparent, donnant forme à deux boules de lumières d’un bleu intense qu’ils jetèrent vers deux troncs d’arbres morts à proximité, d’un geste de bâton. Au contact des troncs, les boules de lumières explosèrent ce qui brisa le bois sec en deux. Il s’agissait d’un premier sort magique, une rune exprimant la force explosive d’une condensation intense.

Entendant ce bruit, Cadmos et Flocon se rapprochèrent inquiets. Quand ils vinrent à hauteur des trois autres, Idish et Maistro récitaient d’autres runes.

  • Que faites-vous ? Demanda Cadmos offusqué.
  • Ils me montrent leur maniement de la magie.
  • Vous plaisantez ! Ils font beaucoup…

Cadmos s’arrêta instantanément en ne voyant plus ni Idish et Maistro devant lui. Ena et Flocon furent tout aussi étonnés de ce qu’il venait de voir. Les deux fils-de-sorciers venaient de s’évaporer après une légère bourrasque.

  • Où sont-ils ? Questionna le Sage stupéfait.
  • Je pense qu’ils se sont… déphasés. Répondit Flocon.

Au même moment, ils réapparurent à quelques pas du groupe. Observant les regards étonnés des trois autres, les frères expliquèrent qu’ils venaient de se rendre à un autre endroit avant de revenir par la magie.

  • Comment est-ce possible ? Je suis incapable de faire une telle chose. Affirma le Sage.
  • Pourriez-vous nous apprendre ? Demanda gentiment Ena qui se rendit compte de son ignorance à leur sujet.
  • Cela est impossible, notre loi de sorcellerie nous l’interdit. Vous devriez faire partie de la tribu pour apprendre à utiliser nos runes. Reprit Maistro.

Flocon sortit de sous sa cape la petite bourse qu’il avait gardée jusqu’à maintenant. Il l’ouvrit devant tous et fit apparaître à la lumière du jour, quelques cristaux qu’il avait récupéré dans l’auberge où il rencontra les deux frères. Ces derniers s’offusquèrent de le voir avec ces cristaux interdis et lui demandèrent de les leur remettre aussitôt. Quant à la princesse et Cadmos, ils regardèrent ces minerais avec curiosité, attendant de savoir pourquoi le guerrier les leur montrait.

  • Il s’agit des mêmes cristaux qui se trouvaient dans la Faille. Ceux-là même dans lesquels vous étiez emprisonnés, Cadmos. J’en ai fait l’expérience et il est possible de se déphaser lorsqu’on les brise.
  • Regardez, votre front brille ! S’exclama Ena en voyant le cristal incrusté dans le front de Cadmos s’éclairer à la proximité de ces cristaux.
  • Je commence à comprendre. Cet endroit où nous étions tous enfermés… ces cristaux qui réagissent avec le mien, ce doit être lié à la Montagne Sacrée. Si tout ce cristal appartient à cet endroit, alors il est possible que ce soit celle-ci qui régit les forces naturelles du monde.
  • La Montagne Sacrée… songea Flocon en pensant à la voix de son épée avant de reprendre : maintenant que j’y pense, nous n’avons pas été déphasés lorsque je vous ai libéré du vôtre, Cadmos.
  • Si cette hypothèse est vraie, c’est parce que cet endroit souterrain se trouvait étroitement lié à ces cristaux, comme coincé, à l’abri du temps. Le cristal que vous voyez sur mon front appartient à la Montagne Sacrée. C’est là-bas que les premiers des nôtres découvrirent l’existence de la magie des éléments. Ces cristaux nous offraient ces capacités exceptionnelles, et nous en protégeâmes toujours son secret.
  • En d’autres termes, briser ces cristaux devrait libérer des forces naturelles et déséquilibrés le monde qui nous entoure, nous transportant tous. Le seul inconvénient c’est que nous nous déphasons à un endroit que nous connaissons. Briser ces cristaux risques de nous transporter n’importe où… Expliqua inquiet Idish.
  • Je suis prêt à prendre un tel risque. Accusa Cadmos.
  • Moi de même. Soutena Ena.
  • Je ne vais pas rebrousser chemin. J’avais l’intention de les utiliser un jour ou l’autre. Affirma Flocon.

À ces mots, Idish et Maistro se reculèrent un peu plus loin craignant une déflagration magique inattendue. Respirant profondément, Ena et Cadmos restèrent silencieux et face à Flocon, qui posant sa bourse au sol, sortit l’épée de son fourreau et s’apprêta à briser le tout.

« Que fais-tu ? »

Faisant fi de ce qu’il entendit, il percuta violemment les roches avec la monture de son arme et brisa le tout. En un instant, la terre se mit à trembler, une lumière aveuglante émana du point d’impact et une violente onde de choc les projetèrent tous dans les airs, retombant au sol après quelques instants.

Quand ils ouvrirent les yeux, les fils-de-sorciers se trouvaient à leur côté et les aidaient à se relever.

  • Ça a marché ? Demanda Flocon rengainant son arme dans son fourreau.

« Cela semblait risquer. »

  • Cet endroit, ajouta Ena, il semble habiter par une incroyable magie. J’ai l’impression de la ressentir partout où je pose mon regard. Les couleurs, la lumière, l’air, tout me paraît amplifier, décupler, intensifier.

Elle s’essaya aussitôt à l’utilisation de la magie et se surprit à ressentir sa puissance s’intensifiée. Cet endroit lui semblait être le meilleur endroit pour connaître ses véritables limites. Quant à Cadmos, se relevant tout seul, il inspira une profonde bouffée d’air et remarqua que le sol sous leur pied avait été complètement desséché. L’atmosphère de cet endroit lui fit se souvenir de la présence de la magie des éléments. Il ne les avait pas ressentis depuis longtemps.

  • Maintenant que vous nous avez caché ces pierres et que vous les avez utilisés pour nous amener ici, j’espère que vous êtes conscients que nous sommes face à des dangers plus grands et plus répandues encore qu’avant, Flocon. Remarqua Maistro énervé.
  • Laissez-le tranquille, c’était notre volonté. Rétorqua Cadmos qui en oubliait presque l’importance du voyage.
  • J’espère simplement que vous êtes prêt à assumer les conséquences d’un pareil choix, Flocon. Termina le premier.

Ena vint à hauteur des frères pour les remercier de leur compréhension et apaiser les esprits. En un instant Idish se sentit réconforter et prêt à se remettre en groupe tandis que Maistro restait prudent de ce comportement individuel. D’un pas décidé l’amadoué s’aventura au-devant de la troupe et fit signe aux autres de se mettre en route derrière lui.

  • Ce que vous venez de faire, remarqua Maistro auprès d’Ena, c’est de rendre mon frère complètement fou.
  • Vous devriez avoir plus confiance en lui. Il m’a l’air d’un véritable aventurier quand on lui montre notre confiance.
  • J’espère que vous avez raison et que ces terres ne seront pas les dernières terres que nous foulerons. Nous ne savons même pas où nous sommes. Soupira Maistro.
  • Avez-vous aussi peu confiance en notre force ?
  • Celle de Flocon je la connais, celle de Cadmos, laissez-moi en douter, et quant à la vôtre, nous n’en savons rien. Mais ce que je sais, c’est que ces terres n’ont pas été coupées du monde pour rien. Je suis persuadé que le seul monstre qui vivait dans la Forêt Rouge ne représentait pas le véritable danger qui sévi à l’Est de la Faille. Même vous, vous ignorez ce qu’il en est. Nous avançons aveuglément vers des terres envahies, et pire encore, depuis un monde où règne déjà des forces qui nous dépassent, remarqua Maistro.

À ces mots, Ena se tut. Elle sentait la peur du frère qui justifiait sa colère.

Idish quant à lui, marchait calmement, songeant plus aux mots de la femme qu’aux dangers de ce monde. Mais rattrapé rapidement par la réalité, ils sentirent tous l’odeur particulière du feu de bois.

À l’Est, la princesse remarqua la chaîne de montagne. Elle expliqua qu’ils avaient bien gagner deux semaines de marches au bas mot pour pouvoir ainsi voir les montagnes d’aussi près.

Tous les cinq se rejoignirent et avancèrent doucement, accroupis, évitant le moindre bruit, suivant la direction de la fumée, qui s’apercevait au-dessus des cimes, jusqu’à atteindre l’orée du bois dont le point de vue donna sur une vaste prairie où les herbes hautes cachaient la troupe du camp situé non loin. Ils entendirent des bruits comme ceux d’animaux.

Se décidant pour en savoir plus, Ena et Flocon se faufilèrent dans les hautes herbes et avancèrent jusqu’à pouvoir entendre de manière audible les sons ainsi que de voir quelle population vivait là.

C’était un camp de huttes faites en terres et d’herbes sèches. Les deux éclaireurs se retrouvèrent derrière l’une d’elle et passèrent doucement un œil sur le côté pour regarder qui habitaient là.

« Comment est-ce possible ? Vous voyez cela ? » Interrogea Ena qui jeta plusieurs brefs regards. Suivis de Flocon, ce dernier sentait le danger grandir malgré leur discrétion. Il fit signe à la guerrière de rebrousser chemin, mais se retournant vers la prairie, l’un des habitants les interpellèrent :

  • Qui êtes-vous ? Hola ! Venez-voir ! S’exclama l’un d’entre eux aux siens.
  • Nous voilà démasqués, chuchota la princesse à Flocon.
  • Ne brûlez pas les étapes. D’ailleurs ne brûlez rien avant qu’on en sache plus sur leurs attentions. Suggéra-t-il doucement, dos au nouvel interlocuteur.
  • Je vous ai posé une question. Repris l’inconnu qui était rejoint des siens.
  • Comme vous voudrez Flocon, dans ce cas, je vous laisse la parole. Dit-elle en se retournant doucement en même temps que son camarade.
  • Qu’est-ce que cela ? S’étonna l’un des inconnus. Ils ne ressemblent à rien, et pourtant ils parlent notre langue.

La femme et l’homme se regardèrent avec étonnement. Ces gens, ces choses, ces êtres aux formes de bêtes, plus particulièrement d’ours, étaient dressés sur leur deux pattes arrières, se mouvaient et communiquaient comme des êtres humains. Pourtant, leur remarque justifiait qu’ils ignoraient l’existence d’êtres humains.

  • Qu’êtes-vous ? Repris l’un d’entre eux dont la massue apparente montrait leur méfiance.
  • Que voulez-vous savoir ? Demanda Flocon.
  • Regardez ! Ces choses parlent ! S’étonnèrent tous en dévisageant les deux compagnons.

Derrière eux s’avança un énième individu dont la carrure et les cicatrices semblaient prouver son importance, tel un chef de meute. S’ils n’avaient pas été capable de se mouvoir ou de parler comme l’homme, sans aucun doute qu’ils auraient été pris pour de quelconques ours sauvages.

« Maître Our ! » Annonça l’un des inconnus en se prosternant devant l’énorme ours qui s’avançait vers les deux espions. « Nous avons trouvé ces choses qui rôdaient près de notre hutte, Maître Our. Que sont ces choses ? » Demandait le premier.

Ce dernier tourna tout autour des deux étrangers, les inspecta, les renifla, et leur faisant face à nouveau, plus haut et plus large d’au moins trois tailles, il s’exprima : « que font des sorciers sur nos terres ? »

Les deux interrogés se regardèrent avec étonnement et comprirent aussitôt que la seule espèce à l’apparence humaine ayant survécu en ce monde était celle des sorciers.

Votre présence n’est pas la bienvenue. Si vous souhaitez repartir d’ici vivant, faîtes-le sur le champ, sinon nous dénoncerons votre imprudence de votre présence sur les terres du Seigneur.

Nous allons immédiatement partir. Fit Flocon en se retournant pour prendre la direction des bois et rejoindre Cadmos et les fils-de-sorciers.

Ils s’avancèrent tous deux dans l’herbe haute, observé minutieusement par cette population d’ours civilisés.

À peine eurent-ils rejoins les autres qu’un groupe d’ours les entouraient tous les cinq.

  • Qu’est-ce que cela signifie ? S’étonna Cadmos sur la défensive.
  • Je vous expliquerai bien, fit Ena qui arrivait à peine, mais les mieux placés semblent être Maistro et Idish.
  • Ce sont les Ours de l’Est. Nous n’avions plus de preuves de leur existence depuis des décennies. Remarqua Maistro qui fit aussitôt apparaître son bâton magique.
  • Des Ours ! Comment se fait-il que des ours ressemblent autant à des humains ? Demanda Flocon intrigué.

La milice animale les entourait du double de leur nombre et armés avec autant de férocité qu’ils pouvaient l’être à l’état naturel. Leur masse était ornée de pointes telles des griffes qu’on aurait accrochées sur un bout de bois, et leurs corps étaient en partie couverts d’armures aux endroits les plus fragiles.

  • Nous veulent-ils du mal ? Demanda Ena se tournant vers Idish.
  • En théorie, ce sont des êtres pacifistes, n’utilisant la force que pour chasser ou se défendre. Mais comme Maistro l’a dit, cela fait de longues années que nous n’avions plus de nouvelles. Nous ignorons s’ils sont tels que nous les connaissions jadis.

Resserrant les rangs, les Ours n’étaient plus qu’à un pas des étrangers sur leur territoire. Ils attendirent patiemment que leur chef arriva. Ce dernier n’était autre que le même individu que celui qui avait sommé les humains de partir du camp. Mais cette fois-ci, quand il arriva face à toute la troupe, il observa le bâton de Maistro. En s’avançant de plus près, silencieux, il laissa tomber sa massue, retira son armure sous laquelle tous virent les cicatrices profondes et tendit sa patte démesurée vers le sorcier.

  • Que voulez-vous ? Demanda tremblant Maistro voyant que Flocon était prêt à dégainer, Cadmos à attaquer, Ena à s’enflammer et son frère à riposter.
  • Votre bâton, sorcier. Répondit le Maître Our. Donnez-le-moi.
  • Un bâton de sorcier n’appartient qu’à son maître. Qu’attendez-vous de nous ? Comment se fait-il…
  • Donnez-le-moi ! Ordonna en hurlant de sa plus forte voix l’ours.
  • Pas question ! Fit Maistro qui frappa fortement le sol de son instrument et fit apparaître une barrière magique autour de ses compagnons, repoussant la patte de l’interlocuteur.
  • Vous m’étonnez Maistro. Vous venez d’invoquer cette barrière seul. Remarqua Cadmos.
  • C’est cet endroit, il regorge de pouvoir magique. Répondit Idish qui fit apparaître à son tour son bâton.
  • Pourquoi voulait-il votre bâton ? Demanda Ena.
  • Je l’ignore. Mais je ne peux croire qu’il nous veut du mal. Cette barrière nous assure la paix jusqu’à ce qu’ils expliquent ce qu’ils nous veulent.

Le Maître Our tourna autour de la barrière magique, se tentant à poser la patte dessus pour sentir la résistance du sort.

  • Cet animal ne me fait pas peur, Maistro. Je ne me vois pas patienter jusqu’à ce qu’il daigne s’expliquer.
  • Que voulez-vous dire, Cadmos ?
  • Enlevez cette barrière, je vais lui demander ce qu’il en est.
  • Qu’allez-vous vraiment faire ? Ajouta Flocon.

Sans lui laisser le temps de réfléchir, le Sage attrapa le bâton et le jeta par terre. La barrière magique s’interrompit aussitôt et tandis que l’ours tenta de le ramasser, Cadmos se mit en travers de son chemin et à main nu, l’attrapa par la peau de la gorge et le souleva contre le tronc d’un arbre devant tous les autres.

« Je n’ai pas la patience de mes camarades. Expliquez-nous ce que vous êtes, ce que vous voulez, ou je vous brise la nuque ! » Affirma-t-il en relâchant la bête.

La milice fut choquée de voir avec quelle force un tel individu avait pu faire front au Maître Our. Ce dernier contourna l’assaillant et vint ramasser sa massue pour s’élancer à nouveau sur eux. A ce moment-là, Flocon percuta l’abdomen de la bête d’un coup de poing puissant.

  • Nous ne sommes pas vos ennemis. Reprit Flocon laissant le corps de l’adversaire au sol.
  • Qu’attendez-vous de nous ? Ajouta Idish qui s’avança aux côtés de la bête au sol.

Cette dernière, reprenant son souffle, toussotant et crachant sur le côté, se releva douloureusement ; s’appuyant sur ses pattes arrière il prit la parole :

  • Cela fait de nombreux cycles que nous n’avons jamais eu à faire à des étrangers. Et notre peuple a été réduit drastiquement ces cinq dernières années à cause des sorciers.
  • Que voulez-vous dire ? Nous venons des terres de l’Ouest et votre civilisation a été considérée comme éteinte depuis des décennies.
  • Peu importe ce que vous pensiez, les monstres, créations des Démons, ont tout ravagé. Ils ont massacré et appauvris les terres des peuples qui les habitaient pour chercher et découvrir par tous les moyens ce que seuls les sorciers étaient capable de faire.
  • Les démons créent des monstres et cherchent à s’emparer du savoir des sorciers ?
  • Non, Flocon, les démons sont pires que les Mage. Ils expérimentent sur des êtres vivants pour engendrer des monstruosités obéissantes. Expliqua Cadmos.
  • Votre existence et votre connaissance de la magie est la cause de centaines de massacres, reprit l’ours, si je pouvais mettre la main sur l’un de vos bâtons et découvrirent comment vous avez réussi à leur échapper, notre peuple pourraient enfin partir loin de ces horreurs.

Un silence de culpabilité s’installa. Le Maître Our resta au sol tandis que la milice avait baissé les armes et que la troupe songeait à ce qui était arrivé.

  • Vous avez mentionné un seigneur, ours. Qui était-ce ? Reprit Flocon.
  • Le seigneur de ces terres. Il gouverne sur toutes les prairies de la vallée. C’est un démon d’aucune pitié. Il est prêt à tout pour avoir l’opportunité de créer des monstres puissants. Il n’a que faire de ce que le roi recherche. Lui, ne cherche qu’à créer. Les quelques derniers peuples qui vivent sur ces terres peuvent espérer survivre en offrant ce qu’ils trouvent, parfois quelques individus de leur propre peuple, parfois des cristaux trouvés çà et là, ou au mieux, des sorciers. Mais cela fait bientôt un an que nous le fuyons en nous cachant, changeant continuellement de lieu de campement. Notre seule volonté est de retrouver la paix.
  • Nous vous aiderons à trouver cette paix. Nous sommes ici pour lutter contre ces êtres et ces monstres. Vous pouvez gagner l’Ouest et fuir ces terres. Reprit Maistro.
  • C’est impossible. Nombre d’entre nous ont essayé de fuir vers l’Ouest mais le monstre de la Forêt Rouge a toujours interrompu les exodes.
  • Plus maintenant, reprit Idish. Cet homme, Flocon, a vaincu ce monstre et à mit fin aux terreurs que cette forêt à toujours engendrée.

L’ours fixa le regard de l’interlocuteur et y découvrit la véracité des propos. Tous les ours posèrent leur regard sur Flocon qui acquiesça des paroles de son ami. La Forêt Rouge n’était plus un obstacle et il semblait évident qu’ils auraient à répandre la nouvelle pendant leur départ vers les terres si longtemps refusées de l’Ouest.

Ce peuple réprimandé ne savait plus quoi dire ci-bien que Flocon reprit doucement :

  • Vous avez mentionné un roi. S’agit-il du Roi Démon ?
  • Oui, répondit Maître Our en toussotant à nouveau. Que voulez-vous savoir à son sujet ?
  • Tout ce que vous savez à son sujet.
  • Nous ne savons que peu de choses. L’existence du Roi Démon est un fait qu’aucun des nôtres n’a pu vérifier de nos propres yeux. Mais les chefs d’autres tributs nous avaient déjà parlé de son existence et de tout ce qu’il était prêt à mettre en œuvre pour trouver des sorciers et les étudier. Les miens, mais aussi les peuples des montagnes, les semi-loups et d’autres ont souffert ou ont disparu depuis près d’une trentaine d’années. Vous semblez plus coriaces – ou plus fou – que nous pour vouloir le trouver, mais pour trouver des réponses, nul doute que le démon de ces terres sera la principale source.
  • Que pouvez-vous nous dire à son sujet ? Demanda Cadmos allant droit au but.
  • Xéro comme il se fait appeler. Nous ne connaissons pas sa force, ni ses capacités. Les rares qui ont eu l’occasion de le voir n’en sont jamais revenu. Nous avons trouvé des cadavres asséchés, comme s’ils avaient brûlés. Nous avons compris ce qu’il s’était passé quand l’un des miens à trouver l’endroit où ce démon vivait.
  • Qu’en est-il ? Reprit l’interrogateur.
  • Connaissez-vous le fleuve Cochyte, au nord d’ici ? Il se formait jadis dans les montagnes de l’Ouest, traversant toutes les plaines de cette vallée et finissait son lit au-delà des côtes montagneuses de l’Est.
  • Je connais ce fleuve, il était connu pour sa crue importante et ses courants puissants. Expliqua la princesse.
  • C’est là-bas que ce démon se trouve à présent. Le fleuve est totalement asséché. Il est même devenu désertique et aride. Il n’y a aucun doute que Xéro en est responsable. Les meurtres par assèchement et le fleuve désertique. Comment des êtres aussi monstrueux peuvent-ils exister ? Songea l’Ours dont on sentait la peine dans le ton de sa voix.

S’approchant de lui, Flocon posa sa main sur le bras féroce de l’être et reprit d’un ton grave, écouté de tous : « nous trouverons ce Xéro et lui ferons payer. Je vous le promets. »

A ces mots, le maître de clan soupira et acquiesça. Il demanda aux siens s’ils souhaitaient guider et accompagner cette troupe jusqu’à Xéro. Vaillants soldats, les Ours ne reculèrent pas devant l’opportunité de se venger de ce démon. Toute la tribu se mit à gronder de leur puissant hurlement. C’était la décision de combattre aux côtés de ces sorciers.

« Notre décision est prise, sorciers, reprit le chef Ours en s’adressant à Maistro et Idish, nous vous guiderons et vaincrons ensemble Xéro. »

L’étonnement gagna chacun des compagnons qui ne s’attendaient pas à combattre auprès d’alliés si rares. Il n’était plus question de leur faire changer d’avis. Et peut-être leur férocité et leur conviction guerrière permettrait de faire balancer le prochain combat en leur faveur.

« Le fleuve est à une journée de marche, nous devrions chasser et nous reposer jusqu’à demain. »  Fit l’un des Ours à son chef.

Ce dernier approuva et proposa à leurs frêles alliés d’être leurs invités. Les Ours se mirent aussitôt à courir, oubliant leur posture civilisée pour augmenter leur rapidité sur leurs quatre membres. En un instant, ces êtres féroces et intelligents redevinrent des animaux en proies à la faim. Ils traquèrent les animaux des prés, pistèrent les terriers et reniflèrent les odeurs. Chasser en meutes était devenus plus avantageux et fructueux.

Après plusieurs heures, presque à la tombée de la nuit, ils revinrent avec des sacs entiers de gibiers qu’ils portaient comme des hommes. Ils s’accaparèrent un terrain pour préparer le repas, écorcher les bestiaux, et les dévorer. Quelques bêtes étaient donnés à la troupe qui prit le temps de faire cuir un peu à l’écart de cette bestialité à laquelle ils ne voulaient pas se mêler.

Ena fit rôtir la viande en quelques instants. Elle en profita pour discuter :

  • Qu’est-ce que cela vous fait d’être pris pour des êtres respectables et puissants ? Interrogea-t-elle les deux frères.
  • Nous n’avons pas demandé à être ainsi traité. Rétorqua Maistro.
  • Ce n’est pas désagréable je trouve, reprit Idish enjoué, d’ailleurs cela semble leur donner la force de combattre.
  • La force de mourir, voulez-vous dire ? Déforma Cadmos.
  • Votre pessimisme est déconcertant. Ce peuple tente de survivre depuis je ne sais combien de temps et vous voyez dans ce futur leur simple mort ? S’énerva Idish.
  • Que voyez-vous d’autres ? Reprit calmement le Sage.
  • L’opportunité de se battre pour leur délivrance. Ils ont souffert toutes ces années. Vous pouvez bien les critiquer tant que cela vous chante, mais pendant que vous dormiez d’un sommeil centenaire, d’autres souffraient. Ils étaient désespérés hier encore et voyez comme maintenant ils sont prêt à affronter leur pire ennemi pour un avenir meilleur ? Ils sont prêts à se sacrifier si cela pouvait faire disparaître ce démon.
  • Notre présence n’est qu’un cor leur permettant de soutenir leur voix.
  1. Il a raison. Confirma Flocon qui appréciait la pensée de son ami.
  • Se préfèrent-ils morts au combat qu’enfin en paix dans les terres de l’Ouest ? Surenchérit le Sage.
  • De quelle paix parlez-vous ? Tant qu’il y aura ces démons, aucun royaume ne sera en paix. Ni ici, ni ailleurs, Cadmos. Est-ce donc cela l’état d’esprit d’un Sage ? Fuir le danger et laisser la tâche à d’autres ? Rétorqua Idish qui termina par une grande bouchée de viande.
  • Laissez cela de côté. Si demain nous affrontons ce démon, mieux vaut que nos forces soient unies. Ces êtres ont toujours été des guerriers. Ils connaissent les choix qu’ils ont. Ils ont décidé d’affronter leur ennemi, nous ne pouvons leur reproché. Utilisons leur force à notre avantage, et obtenons les informations que nous cherchons. Fini Ena.

Le Maître Ours s’approcha de la troupe, la gueule ensanglantée. Voyant que ses nouveaux alliés étaient perturbés par le sang dégoulinant, il passa lentement sa patte avant droite sur son museau afin d’essuyer le rouge. Il se laissa tomber sur le sol et d’un geste ample de ses griffes il dessina un plan au sol.

Deux longues droites délimitaient le lit du fleuve. Son plan était le suivant : leur imposante corpulence ne leur permettrait pas d’avancer sans être repéré au beau milieu du corps désertique du fleuve. La troupe devrait donc passer en première, avancer jusqu’au démon, et telle l’idée qu’il se faisait de la magie des sorciers, l’emprisonner dans une prison magique pour que les siens puissent les rejoindre et donner le coup de grâce à l’ennemi.

Le plan semblait plutôt naïf, mais aucun des compagnons ne reprit l’Ours, gardant en tête qu’ils feraient front les premiers.

  • Nous ferons comme vous préférez. Accepta Flocon.
  • Avec ces deux sorciers à nos côtés, nous avons enfin la chance de vaincre ce démon.
  • Nous le ferons. Affirma héroïquement Idish.

L’Ours retrouva les siens sur ses paroles réconfortantes. Pendant la nuit, Maistro et Idish ne réussirent pas à fermer l’œil. La pression qui était mises sur leurs épaules commençait à peser psychologiquement, et à cela s’ajouta les bruyants ronflements de la tribu non loin. Savourant les derniers morceaux de chaires cuites, Idish fit apparaître un peu de bière afin de se détendre de tout ce à quoi ils songeaient ensemble.

Les deux frères se posèrent l’un à côté de l’autre et se mirent à chuchoter. Ils craignaient que cet affrontement soit leur dernier. Jamais ils n’avaient eu à combattre un démon jusqu’alors. Les démons étaient les créatures des Mage, et eux-mêmes capable de créer des monstres aussi puissants que celui de la Forêt Rouge. Rien ne pouvait les rassurer. Ni la présence de Cadmos le Sage qui n’avait pas réussi à tenir tête face à Ena, ni le véritable pouvoir de celle-ci ou de celui de Flocon qui n’avaient jamais été confrontés à ce genre d’ennemi. Et pour couronner le tout, une tribu toute entière, probablement la seule de leur espèce s’apprêtait à se battre jusqu’à la mort, croyant que les pouvoirs de fils-de-sorciers allaient leur permettre d’atteindre la victoire facilement. Les paroles de Cadmos n’étaient pas si dénouées de sens après tout. Ils courraient tous à leur perte.

A l’aube, leurs camarades les découvrirent endormis l’un contre l’autre malgré tout. Pendant leur trajet jusqu’à destination, Flocon leur rappela à tous qu’ils s’apprêtaient à combattre un être dont ils n’avaient aucune idée de sa force et de ses capacités. Ce démon serait le premier de son espèce qu’ils allaient affronter, et créateur de monstres, le guerrier supposa qu’il était naturellement plus puissant que ces derniers. Ses mots étaient clairs et leur sens partagé au sein de la troupe, ci-bien qu’ils envisageassent tous les cinq d’attaquer ce Xéro en équipe et non séparément, comme ils avaient pu le faire par le passé pour prouver leur force. Non, cette fois-ci, il n’y avait plus rien à prouver. Ils allaient affronter l’ennemi pour le tuer, et au mieux, obtenir des informations sur ce roi démoniaque.

Quand ils arrivèrent enfin à terme du plateau, surplombant le lit du fleuve Cochyte asséché, les Ours montèrent un camp et se regroupèrent autour de la troupe. Idish et Maistro étaient leurs principaux interlocuteurs tandis que les trois autres compagnons écoutaient les paroles guerrières de ces animaux robustes : « pour ne pas vous faire obstacle, nous attendrons le moment opportun pour vous prêter main forte. Lorsque vous le déciderez, faites-nous un signe magique et nous arriverons en renfort. » Expliqua le chef de la tribu.

Ils descendirent les anciens rivages et s’enfoncèrent au creux du lit, marchant tous les cinq dans ce désert aride et poussiéreux où jadis, l’eau coulait à flot. Chaque pas les rapprochant d’un ennemi juré, où la pression engourdissait les gorges et aucun d’eux ne perdrait un instant de concentration au profit de paroles à présent inutiles.

Des roches asséchées jonchaient le sol à des hauteurs variées, créant des ombres çà et là où survécurent quelques brindilles et herbes persistantes, mais aucun repos n’était permis sans le danger prononcé d’être assoiffé rapidement.

Arrivés à peu près au centre de l’endroit, ils aperçurent au loin la silhouette d’un individu humanoïde qui restait immobile mais semblait, malgré la distance, leur faire face.

  • S’agit-il du démon ? demanda Ena qui n’arrivait pas à distinguer des traits distinctifs.
  • D’après les Ours, il n’y a pas âmes qui vivent ici à part le démon. Et je ne crois pas à la coïncidence d’être face à un parfait innocent. Ce fleuve est large de plusieurs kilomètres, alors la probabilité de tomber sur le démon était déjà assez mince. Expliqua Flocon.
  • Pas besoin de discuter, il me paraît évident que c’est celui que l’on cherche. Il ne peut en être autrement. Nous sommes cinq en plein milieu de son aire de jeu. Alors préparez-vous. Affirma Cadmos sur ses gardes.
  • Devrions-nous continuer d’avancer ? C’est peut-être un piège. Demanda Idish.
  • Nous ne pouvons faire autrement qu’aller à sa rencontre. Puis qu’il ne bouge pas, il est très probable qu’il fasse jouer en sa faveur l’aridité du lit. Répondit son frère.

Ils continuèrent d’avancer jusqu’à une distance de trois cent mètres.

Ils faisaient face à ce qui semblait être Xéro, immobile devant eux. Cadmos suggéra de l’attaquer aussitôt mais Flocon réfuta la proposition et répondit qu’il fallait mieux savoir à quoi s’attendre. Il se concentra comme dans le désert et fit se lever une tempête de poussière et la dirigea vers l’inconnu. Peu à peu, le souffle s’intensifia et de légères tornades volèrent autour d’eux balayant tout sur leur passage pour atteindre l’adversaire. Les nuages qui se formèrent au-dessus d’eux assombrirent les lieux avant le crépuscule lui-même.

Les Ours restés sur le plateau pensaient qu’il s’agissait là des forces magiques des sorciers.

Xéro ne semblait pas intimider. Tout cela ne l’affectait guère. La bourrasque lui passa littéralement au travers sans que cela ne le fasse bouger d’un pas.

« Ce démon ne semble pas réagir à votre capacité, Flocon. » Dit Ena qui sentait son tour venir.

Elle s’avança aux côtés du guerrier et fit apparaître un arc de feu finement dessiné. Sur ce dernier, une flèche brûlait l’air et se tendait sur l’arc, comme si celui-ci fut de bois et de cordes. Ena se positionna de profil, visant le démon, et tirant jusqu’au maximum vers l’arrière, elle lâcha le tout. Le projectile traversa les airs, brûlant l’atmosphère et laissant une traînée troublée derrière elle. Tous crurent à l’impact, quand l’adversaire posa une main au sol et fit apparaître du sol devant lui, à quelques mètres seulement de sa position, une gigantesque main de pierre qui stoppa la flèche. C’est alors que la terre se déchira entre les deux parties, et du terrain désertique apparu un géant humanoïde rocheux et argileux, dix fois plus haut qu’un homme et de largeur au moins équivalente. Sa carrure monstrueuse était ornée de gigantesques cristaux qui surplombaient ses épaules et sa tête, et ses membres énormes faisaient trembler le sol sous ses pas.

« Qu’est-ce que cela ? » S’inquiéta Maistro qui n’en revenait pas de voir une pareille créature.

Cette chose semblait culminer jusqu’au ciel et d’en bas, rien ne paraissait pouvoir lui faire face. « Qu’est-ce qu’un humain face à une pareille force vivante ? » songea Maistro. A peine eut-il rebaissé les yeux vers ses compagnons que ceux-là mêmes s’étaient élancés vers le nouvel adversaire. Ena fit chauffer son arc et envoya flèches après flèches sur toutes les parties du monstre, tandis que Cadmos et Flocon s’élancèrent aux pieds pour tenter de le défaire à coup de poing et d’épées.

Le Maître Ours et les siens soupirèrent d’inquiétude, si ce n’était de désespoir. Devant eux, ces êtres d’exceptions faisaient face à une monstruosité qu’ils n’avaient pas imaginée possible. Xéro ne leur semblait plus être le principal danger du lieu, et abattre ces deux adversaires leur semblaient alors impossible. Le chef retint les siens de descendre, ne souhaitant pas que son peuple soit décimé en vain.

« Aide-moi à protéger Cadmos ! » S’écria Idish à son frère qui invoquait déjà une barrière magique autour du Sage pour le protéger de la pression dévastatrice que le monstre envoyait vers lui en tentant de l’écraser de ses poings et de ses pieds.

Flocon, quant à lui, sortit son épée et la brandit, déferlant de puissants coups de lames sur toute la surface rocheuse.

« Toi… Fit la voix à l’instant où il posa sa main sur la poigne, cette chose ne peut être abattue de la sorte. »

  1. Pas maintenant ! S’exclama Flocon dont le cri était assourdi par le vacarme du géant.

« Tes petites entailles ne l’affecteront jamais. Et tes amis vont souffrir de sa puissance destructrice. »

Le guerrier jeta un coup d’œil en direction de Cadmos qui passait davantage son temps à éviter les coups qu’à les donner, et Ena se fatiguait rapidement d’employer pareille magie à répétition.

« Prend garde, il arrive. »

Mais l’instant d’après, le géant pivota sur lui-même et son dos devint son buste, son coude se retourna et son poing de la taille d’une maison déferla sur Flocon qui ne put s’en protéger. Son corps fut éjecté dans les airs, lâchant prise de son épée qui se planta dans le sol à quelques pas d’Ena.

Cadmos, apeuré et s’essoufflant également voulu rejoindre le corps inerte du guerrier, évitant les quelques coups supplémentaires qu’infligeait le monstre. Il  hissa Flocon sur ses épaules afin de le soustraire au champ de bataille.

La princesse s’arrêta d’user de ses flèches de feu et rejoignit les deux autres tandis que le géant se figea devant son créateur.

  • Comment va-t-il ? Demanda-t-elle inquiète.

Rejoins par Maistro et Idish, Cadmos déposa le guerrier au sol. Il était inconscient.

  • Qu’allons-nous faire contre cette chose ? Nous n’arrivons pas à l’atteindre. Impossible de l’incendier ou de la fracturer. Reprirent les fils-de-sorciers. La priorité est de mettre Flocon à l’abri. Nous devrions battre en retraite.
  • Je n’aurais jamais cru que nous aurions tant de difficulté face à un tel monstre. Cela ne lui a pris que quelques instants. Ajouta Ena.
  • Idish, Maistro, protégez-nous pendant notre retraite. Ena, aidez-moi à le porter. Ordonna Cadmos.

En tirant le guerrier sur leurs épaules, Cadmos passa à côté de l’épée et la maintenue fermement pour la sortir du sol. A cet instant même, une voix raisonna :

« Où est-il ? »

Il se souvint de l’esprit qui existait depuis tout ce temps au cœur de cet objet. A sa rencontre, la première fois, dans la Faille, il l’avait ressenti. Cette fois-ci, il semblait plus présent que jamais.

  • Epée, qu’es-tu réellement ? Je te décèle avec autant de facilité que si je te voyais face à moi. Comment est-ce possible ?

« Il a besoin de moi. Je le sens. »

  • De quoi parles-tu ?

« Qu’il m’empoigne. »

  • Pourquoi ferais-je cela ? Nous devons partir d’ici.

« Il ignore qui il est, j’ignore ce que je suis. Mais nous sommes liés, c’est certain. »

  • Flocon ? Par quel maléfice es-tu lié à cet homme ? Aucun esprit ne peut ainsi être lié aux humains. Rien ne peut vaincre ce monstre. Pas même lui dans son état actuel. Et je n’ai plus ma force pour…

Rappelé à la réalité par le géant de pierre qui fit trembler le sol de ses pas en directions des autres, Cadmos lâcha le corps de son camarade sous le regard stupéfait d’Ena, et déposa la poigne de l’arme sur la main de Flocon.

  • Que faites-vous, Cadmos ? Ce n’est pas le moment de faiblir ! S’écria Ena.
  • Je n’en suis pas sûr… Répondit Cadmos incertain.

Est-ce une promesse ? –

C’est notre promesse. –

Je dois accomplir ma destinée. –

Je serai toujours là. –

En un instant les doigts se refermèrent autour du métal et le corps du guerrier se releva comme s’il ne s’était jamais évanoui. Les yeux fermés, son corps se couvrit doucement de la marque blanche suivis de près de la marque orangée qui brillèrent toutes deux. Sa cape rouge et blanche se mit à flotter, tandis que l’atmosphère se troubla autour de lui. Quand il ouvrit les yeux, ses paupières laissèrent apparaître des pupilles luisantes d’un blanc argenté parsemé de pépites flamboyantes. Son épée en main, il inspira profondément.

Idish, Maistro et Ena s’approchèrent de Cadmos et lui demandèrent ce qu’il venait de se passer :

  • Vous n’allez pas me croire. Répondit-il doucement.
  • Ce n’est pas le Flocon que nous connaissions. Répondit Idish.
  • Comment a-t-il fait pour se relever de cette blessure ? Demanda Maistro.
  • Dîtes-le nous, Cadmos, vous semblez savoir de quoi il s’agit.
  • J’ignore comment cela est possible. Il est… Flocon est unique.
  • Que voulez-vous dire ! S’impatienta Ena.
  • Il n’est pas celui qu’il prétend être. Il n’est peut-être pas conscient de sa véritable identité, mais qui qu’il soit, je n’ai aucune idée de la véritable puissance qu’il renferme. Et cette épée y est pour quelque chose.

Le sol se mit à trembler, des irrégularités se créèrent sur le sol sec, créant des craquelures tout autour des héros, des fissures, des tranchées de toute part, grandissant et gagnant de plus en plus de terrain tout autour d’eux.

Cadmos compris à quoi faisait référence l’esprit de l’épée. Il comprit le lien immuable entre les deux et ressenti un frisson lui traverser l’échine quand, du sol, émergea une colonne d’air tel un geyser en forme de lance qui traversa de part et d’autre le géant. Une deuxième, puis une troisième lance suivirent. Le géant fut immobilisé par des lames aussi hautes et épaisses que lui, et dont l’humidité ramollissait doucement la terre qui le recouvrait partiellement.

Le créateur démoniaque qui attendait jusqu’alors silencieusement derrière la bête s’étonna d’un tel pouvoir et dégaina aussitôt son arme, une longue hache dentelée apparut.

En un instant, alors même que Cadmos fixait Flocon, il le vit disparaître, aussi rapide que l’éclair, et apparut à hauteur de l’adversaire. Ce dernier fit aussitôt demi-tour évitant de justesse cette étrange armure de feu qui se dressait devant la cape rouge et blanche. A un mètre l’un de l’autre, l’ennemi vit le regard perçant de Flocon se diriger dans sa direction. Une fraction de seconde après, la hache et l’épée brisèrent le silence. Le choc des métaux fit jaillir des étincelles et des ondes de chocs firent virevolter la poussière autour d’eux. Leur combat était plus incroyable encore que l’existence du géant. A tour de rôle, le démon envoûta le géant pour qu’il se libère de ses piques, et Flocon, percutant la hache et apposant une main au sol, fit à nouveau sortir ces lances de pression atmosphérique.

Tous restèrent sans voix face au combat surréaliste qui se jouait devant eux.

Le démon attaqua telle une toupie contre l’épée de Flocon qui ne put que se défendre à deux mains, l’empêchant d’immobiliser davantage le géant. A deux contre un, Flocon devait faire un choix.

« A gauche ! » S’écria Ena.

Le géant, libéré, s’apprêta à frapper de son point immense lorsque le duelliste, repoussant son adversaire frontal, se dégagea un instant et s’élança telle une flèche enflammée à travers la carapace rocheuse du golem. La pointe de son épée pénétra la structure terreuse et ramollie par les attaques antérieures,  et traversa l’intégralité du géant qui, sous l’impact, se renversa sur le sol.

A peine le pied au sol que Flocon se retourna pour parer l’attaque mortelle du Démon qui s’abattit sur lui. Les coups retentirent à nouveau au loin et le maniement de l’épée avait laissé place à un combat unique et imprévisible où les attaques s’envoyaient dans tous les sens, parant de çà-et-là les contre-attaques, repoussant le Démon pour s’attaquer au géant qui continuait à se relever malgré les blessures superficielles dont la lame affûtée et rallongée d’un vent tranchant et brûlant découpait la pierre avec plus de facilité qu’auparavant, le fissurant à de nombreux endroits.

  • Le géant ne tient plus debout ! S’écria Idish. C’est le moment de le faire fondre Ena !
  • Comment ?
  • Vous l’avez dit vous-même. Dans cet endroit, vous ressentez davantage la puissance magique. Concentrez-vous et faîtes brûler ce monstre !
  • Non… J’ai une meilleure idée, fit Cadmos en observant la chose.
  • A quoi pensez-vous, Cadmos ? S’interrogea Maistro.
  • Visez les cristaux qui le surplombent. Ces cristaux semblent être sa source vitale, n’est-ce pas ? Si nous les brisons, nous allons faire exploser ce géant.
  • Mais tout risque d’être happé. Leur taille est si imposante, cela pourrait engendrer une véritable catastrophe. Nous pourrions tous être absorbé.
  • C’est le seul moyen d’y mettre un terme. L’ennemi est capable de donner la vie à la pierre. La faire fondre ne ferait que ralentir le problème. Nous devons détruire la source de cette magie.
  • Les cristaux… Remarqua Idish.
  • Nous allons le faire. Affirma Ena. Et vous nous protégerez de vos barrières magiques au moment de l’explosion !

Cette dernière se concentra et puisa dans toutes ses forces pour faire apparaître un gigantesque arc de feu surmontée d’une unique flèche qu’elle pointa en direction du géant. Cadmos resta tout proche des trois autres et donna l’ordre d’exécution.

Au même moment, Flocon fit un large geste de son épée pour repousser son adversaire, et s’enveloppa d’une épaisse tornade derrière l’armure de feu qu’il érigea de nouveau pour se protéger de la déflagration qu’il avait anticipé.

Le démon, quant à lui, regarda dans la direction du géant et eut à peine le temps de se rendre compte de l’impact sur les cristaux, qu’un tourbillon dévastateur enveloppa tout le lit du fleuve, broyant tout en lui et laissant en quelques instants le terrain entièrement vide.

Les Ours, restés sur le plateau, ne voyant plus devant eux qu’un trou béant sans une once de vie, ni d’alliés, ni d’ennemis pensaient que ce lieu de sorcellerie venait d’être débarrassé d’un terrible démon.

A la réapparition d’Idish, de Maistro, d’Ena et de Cadmos, protégés par la barrière des sorciers, ils se retrouvèrent face à un tas de poussière monstrueux, là-même où siégeait le géant juste avant.

  • Nous avons survécu ! S’exclama Maistro qui constatait l’ampleur des dégâts autour de lui.
  • C’est un miracle ! S’ajouta Idish, ces cristaux ont servi de pont de déphasage ! C’était inespéré mais… ça a réussi… Dit-il tremblant en s’avançant dans la direction de la boule protectrice de Flocon.

Quant au démon à leurs côtés, il n’avait plus que sa moitié supérieure pour exister. Il agonisait au sol.

  • Vous avez réussi à détruire ce monstre. Dit fièrement Flocon à ses compagnons en rengainant son épée et gagnant un teint si pâle qu’il en tomba au sol.

Ses alliés accourent à ses côtés, inquiets, voyant leur ami inerte joncher le sol.

  • Va-t-il s’en sortir ?
  • Ne t’en fais pas Idish, il est juste évanoui. Il a besoin de repos. Nous devrions le soigner. Viens m’aider. Affirma Ena.

Cadmos repensa à cette épée. Se pouvait-il que Delfic n’est pas été le forgeron à l’origine d’une arme aussi exceptionnelle. Il craignait qu’aucuns, ni de Delfic ou d’Enaelle n’ait de réponses à apporter à cet homme.

La troupe regarda autour d’elle et remarqua que l’explosion des cristaux les avait déphasés encore bien davantage au Nord de leur dernière position. Il n’y avait plus que quelques lieux à traverser pour être enfin aux royaumes.

A quelques pas seulement, le démon gisait sur le sol, défait de sa parure métallique et écailleuse qui lui servait de protection, s’étouffant dans son sang, incapable de se mouvoir ou de fuir. Sa tête déformée, ses cornes fines et longues sur sa tête trahissaient sa nature. Il n’avait rien d’un homme ni d’une bête. C’était un chose dont on comprenait l’essence même de sa création. Le mal rongeait sa chaire et tout en lui rebutait l’attrait et l’intérêt.

  • Nous devrions lui soutirer les informations que nous cherchons avant qu’il ne cède. Remarqua Ena qui s’en approchait.
  • Comment comptez-vous vous y prendre ? Demanda Cadmos intrigué.
  • Gentiment bien sûr, sourit-elle amusée, après l’avoir brûlé vif, reprit-elle.

Elle s’approcha du corps et d’un geste de la main, une flamme imposante s’allongea devant son membre. Tous restèrent intrigués jusqu’au moment où ils froncèrent les sourcils en entendant hurler le démon. Elle venait de lui cautériser le bas du corps pour qu’il cesse de saigner.

  • Pourquoi ! Pourquoi… où m’avez-vous emmené ? Que m’avez-vous fait ? Je n’arrive pas à me régénérer. Fit Xéro.
  • La magie n’est plus en aussi grande quantité semble-t-il. Le lit du fleuve devait être particulièrement propice. Répondit Maistro.
  • Vous allez répondre à nos questions, sinon je vous jure que votre vie sera la dernière de vos préoccupations. Reprit Ena dont le corps tout entier émanait une chaleur funeste.
  • Qu’êtes-vous ? Vous attaquez à notre Roi et à son armée vous en coûtera la torture la plus exaltante qu’il soit. Expliqua le démon qui se mit à hurler à la proximité du feu ardent.
  • Ecoutez-moi bien, votre règne de terreur est terminé. Nous venons détruire tous les vôtres. Et votre roi est en tête de liste. Alors dites-nous où le trouver sinon vous souffrirez mille tourments avant de connaître la mort.
  • Personne n’affronte notre roi. Vous êtes si ignorants. Il ne se rabaisse pas à perdre son temps avec de tels êtres inférieurs. Vous ne me faites pas peur.

Les souffrances que Xéro endura étaient si intenses que les oiseaux nichés dans cette dense végétation s’envolèrent aux cris répétés. Même les frères sorciers se retournèrent et se bouchèrent les oreilles. Idish, tout particulièrement, voyant de quoi était capable celle qui lui plaisait tant. Quant à Cadmos il regardait patiemment et silencieusement aux côtés de l’interrogatrice.

  • Ah ! S’exclama le démon, toute cette douleur, ce n’est rien en comparaison de ce qu’ils vous feront subir.
  • Si vous y croyez, dîtes-nous où les trouver, et votre vœu se réalisera. Alors ? Où se trouve le Roi Démon ?
  • Vous… Croyez-vous que nous ignorions votre présence ? Même le survivant Sage ne peut plus rien contre nous.
  • Pas besoin d’être Sage ou Mage pour vous imposer la défaite. Se moqua Cadmos.
  • Vous vous croyez en sûreté pour m’avoir vaincu… J’étais seul, c’est dans ma nature, et sans votre misérable tourbillon, vous seriez à mes pieds.
  • Croyez ce qui vous plaira démon, vous, et tous les autres, nous vous ferons payer vos ères de tourmentes. Parlez ! Ordonna Ena.
  • Votre échec est assuré… au nord de mes terres, au cœur de la forêt d’Anon se trouve la « Taverne des Fauves ».
  • C’est une très ancienne auberge. Plus ancienne encore que celle des « Dix Lieux » dans laquelle nous nous sommes rencontrés avec Flocon. Expliqua Maistro.
  • Uh ,uh, toussota Xéro. A chaque pleine lune, nous nous y retrouvons.
  • Dans quel but ? L’interrogea-t-on.

Il sourit alors. Ena se pencha vers lui pour lui infliger plus de souffrance encore, quand Xéro attrapa de sa main, l’une de ses cornes sur sa tête qu’il brisa pour s’en servir d’arme. La femme n’eut pas le temps de se reculer que devant elle, traversant le crâne de son ennemi, la lame de Flocon s’enfonça jusque dans le sol. Xéro était mort, emportant avec lui toutes autres informations utiles.

Chapitre 11 :  La Taverne des Fauves

Flocon et l’épée sont intiment liés, c’est certain, Cadmos l’a vérifié. Dans un moment de faiblesse, Flocon se souvint de quelques mots, d’une promesse, et aussitôt un pouvoir incommensurable s’éveilla en lui. Du vent et du feu, il se leva et affronta le Démon. Prochaine destination : la taverne des Fauves, ultime rempart avant les royaumes de l’Eveil.

 

Ils se reposèrent jusqu’à l’aube suivante et se remirent en route. Malgré que les fils-de-sorciers aient entendu parler de ce lieu, il n’en était pas moins qu’ils ignoraient si cet endroit était régit par la même magie de déphasage que celle de « l’Auberge des Dix Lieux » de leur contrée.

Cadmos n’arrivait pas à se sortir de l’esprit ce qu’il avait vu lors du combat de Flocon contre Xéro. Et s’il n’avait pas lui-même tenu cette épée, sans doute n’en aurait-il jamais cru la possibilité qu’une pareille existence ait croisé son chemin. Et comme il réfléchissait à trouver autant d’hypothèses que possible, il se rendit rapidement compte qu’aucune de ses idées n’étaient vraiment plausibles. Seul l’intéressé pouvait détenir ces réponses, voire celles de l’esprit de son épée.

Durant la nuit qui suivit l’assassinat du démon, les trois hommes sains d’esprits admirèrent la femme par son habileté à chasser. A peine trouvait-elle un terrier qu’elle y entrait ses mains et y faisait brûler tout l’intérieur. La chaleur poussa les lapins et autres animaux cachés à sortir avant qu’elle ne les achève d’un superbe arc de feu, dont les flèches flamboyantes cuisirent ses victimes aussitôt.

Toute la trique apprécia cent fois ces repas à tous ceux qu’ils avaient pu goûter par le passé, même ceux que préparaient les Fils-de-sorciers aux festivités.

Les anecdotes que racontait Flocon sur son passé avec Idish et Maistro, au coin du feu de camp, fascinait Ena, tandis qu’Idish jalousait son camarade dont il craignait un concurrent pour le cœur de sa bien aimé :

  • Peut-être que là où existe le mal, existe en toute autre chose le bien. Remarqua Idish.
  • Ladite stabilité naturelle. Je n’ai jamais cru à ces choses-là. Remarqua Cadmos. Des forces s’affrontent, certaines plus puissantes que d’autres, et en ceci, il n’existe pas de stabilité ou de neutralité. Les plus forts l’emportent sur les plus faibles.
  • Et que faites-vous des plus nombreux ? Ajouta Maistro.
  • S’ils sont plus nombreux, peut-être sont-ce ceux-là les plus forts, et dans ce cas, ils écraseront les faibles comme les plus forts isolés. Aucune fin ne décrit de neutralité. Le mal et le bien sont des termes subjectifs employés pour excuser ce que nous sommes face aux autres. Les Sage n’étaient pas le bien, ils étaient ce qu’ils étaient. Les Mage étaient différents, et malgré nos différences et nos conflits, je ne peux imaginer nous cacher derrière des termes que d’autres définiront pour nous.
  • Si vous devez combattre, vous le ferez, non pas pour ce qui est bon, mais pour ce en quoi vous croyez l’être. Ajouta Flocon.
  • Malgré tout, s’accorder sur le sens de nos actes, je veux croire en une juste pensée. La souffrance qu’endureront certains feront le bonheur d’autres ailleurs. Que ce soit dans le passé, le présent ou l’avenir, il existera toujours des forces qui s’opposeront. Ou peut-être existait-il à l’origine un seul parti ? Réfléchit Maistro.
  • Croyez ce qu’il vous plaira, fils-de-sorciers. S’indifféra Cadmos.
  • Cessez de vous chamailler, c’est à mon tour de raconter ! Dit Ena qui s’approchait des flammes.

Debout, elle mima tout ce qu’elle racontait, brandissant des flammes, manipulant le feu pour imager ses pensées. Les spectateurs virent des silhouettes enflammées de chevaux, de loups, et d’hommes qui dansaient aux mots prononcés. Maistro rêvait de maîtriser pareille magie. Ils en rirent tous ensemble mis à part Cadmos grincheux, et s’accrochèrent à la trame de l’histoire jusqu’à la fin.

A la fin elle s’adressa à Idish avec amusement :

  • A toi maintenant. Raconte-nous ! Et ne fais pas le timide, je veux tous les détails.
  • Voilà de bonnes paroles. Viens mon frère, nous allons leur raconter ! Répondit-il.
  • Ah non, moi je ne raconte rien, rétorqua Maistro, c’est à toi qu’on a demandé. C’est à toi Idish !
  • Quel rabat-joie. Très bien, je raconte : « Nous étions à la sortie du camp. La chef avait pour habitude de vérifier que ses sorciers étaient toujours irréprochables. Nous devions tous nous mettre en rang sur la place principale, et de sa baguette magique elle nous inspectait un à un. Généralement c’était toute la famille des Bomech qui faisait bonne figure. Puis la plupart d’entre nous, dont on se fichait vraiment de savoir qui c’était, avait toujours une tenue irréprochable. Mais Maistro et moi, c’était une autre histoire. Déjà parce que Maistro a toujours pris l’habitude d’arriver en retard. Même s’il n’était qu’à quelques instants de l’endroit, il ne pouvait arriver à l’heure. Et la Chef le savait bien. Sans doute pour cela qu’elle finissait toujours son inspection avec nous. Elle devait nous laisser une chance d’être présent, pensait-on. Quoiqu’il en soit, cette fois-ci, ce fut différent. Je m’étais concerté avec mon frère pour lui tendre un piège afin qu’on ne soit plus simplement les « fils-de-sorciers » comme tout le monde nous surnommait. Nos parents ayant disparus, nous vivions l’un et l’autre dans une communauté qui ne nous reconnaissait pas comme membre à part entière. C’est d’ailleurs pour cela que vous nous avez trouvé à l’extérieur du camp, Flocon. Alors il fallait changer cela ! Je m’étais donc positionné sur la place, comme les autres, et j’avais conçu un sort d’emprisonnement sur le sol, juste devant l’endroit où aurais dû être Maistro. »

Son frère ajouta : « Cela consiste à immobiliser l’individu pendant quelques instants ».

Idish reprit en hochant fièrement la tête, comme s’il allait annoncer une bonne nouvelle : « C’est alors qu’elle arriva devant moi, regarda ma cape et m’interrogeant du regard, elle demanda où était encore passé mon frère ? Je tremblais à l’idée qu’elle découvrit ce que nous avions prévu, ci-bien que mes mains devinrent moites comme jamais. Soudain, Maistro arriva avec un sourire béant et s’installa juste devant le piège. « Me voici, Chef » dit-il. Ah, je me souviens, c’était un moment unique. Elle marcha sur la rune magique et comme nous l’espérions, elle se figea quelques instants. Maistro bondit derrière elle et activa son propre piège. Il avait créé un « Pont » ! Il sortit le seau d’eau du sol et le déversa sur la tête du Chef. Tous firent un grand bruit d’effrois et nous partîmes aussitôt avant qu’elle ne s’en dégage ! Que nous avons vite couru cette fois-là ! »

Maistro riait aux éclats en écoutant son frère raconter cette histoire qui leur avait fait tout de même bien peur, et ajouta pour conclure :

  • Au final, elle nous a rattrapés et nous avons tout de même passé un mauvais quart d’heure !
  • C’était une drôle anecdote. Répondit Ena en souriant gentiment.
  • Vous dîtes avoir fait un « Pont ». Qu’est-ce que cela ? Demanda Flocon intrigué tout en souriant pour ne pas paraître impoli.
  • Un « Pont », reprit Cadmos, c’est un transfert de matière. Les sorciers sont capables de faire passer des objets d’un endroit à un autre dans la terre. Cela peut prendre du temps. Mais tout objet est issu de la terre. Le seau d’eau ne s’est pas déplacé sous terre. Il a disparu à un endroit pour apparaître à la sortie. Les sorciers sont très habiles pour utiliser la magie à des fins communautaire. Mais jamais ils n’ont été un peuple de guerrier. C’est pour cela qu’ils n’étaient pas présents aux côtés des Mage. Que ce soit leur espèce ou celle de notre ennemi, la magie fait leur pouvoir.
  • Et tant mieux. Nous n’avons jamais eu l’envie de ressembler à ces êtres de souffrance, pères des démons. Affirma Maistro.
  • Voulez-vous dire qu’il est possible de déplacer des objets enterrés d’un endroit à un autre sans avoir à les sortir de terre ? Reprit le Flocon.
  • Oui, répondit Idish, mais certaines conditions sont nécessaires. Il faut, par exemple, que l’objet soit magique ou entouré de magie avant sa mise en terre. La magie a tout de même certains pouvoirs pratiques, n’est-ce pas ?
  • Mais il a aussi ses limites. Comme nous maîtrisions les forces naturelles, il faudrait pouvoir maîtriser aussi la magie pour devenir invincible. Imaginez pouvoir appeler les éléments et augmenter leur puissance avec la magie. Un être capable de cela pourrait refaire le monde à sa guise. Conta Cadmos.
  • Encore un point sur l’équilibre. Il n’y aurait plus de neutralité si un être était aussi puissant existait, Cadmos. Termina Idish.

Après la deuxième nuit de repos, ils décidèrent de la direction à suivre pour trouver la « Taverne des fauves » dont avait parlé le démon. Direction le Nord. Ils traversèrent les plaines jusqu’à atteindre l’orée d’un bois. À l’Ouest, une grande chaîne de montagne s’étendait jusqu’à l’épaisse forêt qui leur ferait front plus tard. À l’Est, une autre lignée de pointe rocheuse caressait les denses nuages et justifiait leur marche à tous vers l’étendue boisée. Ils marchèrent pendant plus d’une journée, s’éclairant la nuit avec leur magie.

Chacun prenait la tête de la troupe à tour de rôle jusqu’au moment où Ena vint remplacer Flocon. :

  • Je me demande ce que sont devenu les Ours. S’interrogea-t-elle à haute voix aux côtés du guerrier.
  • Je pense qu’ils ont regagné espoir. Peut-être feront-ils bien davantage même, délivrant les autres camps de leur peur.
  • Vous les avez sauvés, Flocon. Votre combat avec ce Démon nous a tous impressionné.
  • Je comprends votre allusion, mais je ne saurais davantage vous expliquer ce qu’il s’est passé. Cette épée, elle est unique. Quand je la tiens entre mes mains, j’ai l’impression de ressentir des choses que je ne m’explique pas.
  • Ne croyez-vous pas en votre propre force ?
  • Que voulez-vous dire, princesse Ena ? Pensez-vous que tout ce pouvoir venait de moi ? Je ne saurais dire.
  • Vous savez pourtant maîtriser le souffle du vent. Peut-être que vous êtes plus capable que ce que vous croyez. Je suis un bon exemple. Je n’ai appris ce que je sais que par les grâces d’une magicienne. Jamais je n’aurai cru pouvoir maîtriser une telle source magique. Cela signifierait-il que je n’en étais pas capable ? Ou simplement, que j’ignorais comment faire ? Vous ignorez aujourd’hui comment vous avez fait cela, mais peut-être que c’est au fond de vous.
  • Croyez-vous que je n’ai pas essayé de le faire à nouveau ? Dès que j’en ai le temps, j’essaye de comprendre, j’essaye de retrouver cette sensation mais rien n’y fait. Rien.
  • Alors peut-être que j’ai tort. Si je suivais cette logique, je devrai être capable de maîtriser la magie pour faire pleuvoir ou que sais-je d’autre encore, et pourtant, seul le feu me sied. Peut-être est-ce vous qui avez raison, Flocon.
  • Ces capacités semblent imprévisibles. Ajouta Cadmos qui marchait derrière eux.
  • Vous écoutiez ? Je ne vous avais pas entendu. Fit Ena.
  • J’écoutais.
  • Vous qui êtes un Sage, ne voudriez-nous pas nous raconter comment c’était à votre époque, de ce que vous vous souvenez ? Demanda Ena.
  • Mon passé ne regarde que moi. Aujourd’hui je ne suis plus que l’ombre de moi-même.
  • Qui étiez-vous ? Reprit Flocon.
  • Vous le savez. Le garde des aînés. Je défendais les miens lorsque les Mage ont attaqué. Je…

Flocon et Ena laissèrent Cadmos conter ce qu’il avait sur le cœur. Il était peut-être enfin prêt à faire confiance aux autres.

  • Je me suis battu jusqu’à la fin. Ces lâches ont rompu nos remparts dès la nuit tombée et se sont immiscés au centre de notre camp principal avant d’attaquer. Leur stratégie était de nous exterminer. Ils s’en sont d’abord pris à toutes nos familles, jusqu’au dernier nourrisson. En un instant, toute notre communauté fut privée de nos femmes et de nos enfants. Il ne restait plus que les hommes, et même si nous remportions ce combat, ils savaient que notre destiné était perdue.
  • Je suis désolé. Dit doucement Flocon suivit des condoléances d’Ena.
  • Ces lâches, ils ont eu ce qu’il méritait jusqu’à la fin. Notre colère était telle qu’à chaque fois que l’un d’entre-nous tombait, dix d’entre-eux périssaient. Rongés par la tristesse, aveuglés par la haine, nous avons combattu avec l’intime conviction que cette nuit serait la dernière de notre existence à tous. Et lorsque je les découvris… ma femme et ma fille… inertes à mes côtés, assassinées dans leur sommeil, observant le fourbe regard de mon ennemi qui s’apprêtait à faire de même avec moi, je ne puis croire davantage qu’il existait un quelconque équilibre qui régissait la vie. Cette peine n’avait aucun sens, et je m’étais promis qu’aucun bourreau n’échapperait à sa destinée, celle que j’avais décidé de leur infliger.
  • Que s’est-il passé cette nuit-là, quand le monde s’est dissocié ? Demanda doucement Flocon attristé par les songes de son ami.
  • J’aurais préféré que le monde implose plutôt qu’il se divise. Jusqu’à l’aube, je combattis aux côtés de mes frères, je défendis l’entrée du temple où étaient restés nos aînés, et me vengea de tous nos assaillants. Ils étaient peut-être cent, peut-être mille, mais à quinze, déchirés par nos pertes, nous en valions plus encore. Quand je fus le dernier debout, au milieu de tous les miens, face à leur force qui ne semblait cesser de croître, que tout semblait perdu, j’eu une pensée pour mon ami d’enfance, Delfic. Je le savais loin de tout, caché du mal qui venait de s’abattre sur nous, et à ce moment-là, apaisé par cette dernière pensée j’étais prêt à disparaître. Prêt à retrouver ma femme et mon enfant partis plus tôt.
  • Vous voulez dire que… ce n’est pas votre combat qui est à l’origine de la séparation du monde ? S’interloqua le Flocon qui, stupéfait, regarda Ena.
  • J’ignore ce qu’il se passa ce jour-là, mais je regrette de n’avoir pu mourir avant. Je me le serais infligé à mon réveil, si je n’avais pas été intrigué par votre épée, Flocon. Avoua le Sage qui songeait encore au passé.
  • Nous atteindrons bientôt cette taverne et rejoindrons Delfic. Ses réponses vous permettront sûrement de comprendre. Ajouta Ena avec douceur.

Cadmos resta à la tête du groupe avec Ena tandis que Flocon retrouva les deux frères qui se demandaient déjà la raison de son regard attristé. Son résumé fit froid dans le dos à Idish et Maistro.

  • Quand nous allons mal, rien ne vaut un peu de bière. Proposa Idish.
  • Je crois que pour une telle douleur, il n’y a aucun remède. Laissons-le un peu tranquille. Nous arriverons bientôt à l’orée de la forêt. Répondit Maistro.
  • Vous avez raison, mon ami. Qui ne serait pas tourmenté par de pareils souvenirs. J’espère qu’il trouvera ce qu’il cherche. Ajouta Flocon.

Gardant le silence, songeant à ce que la vie pouvait leur réserver, tous restèrent silencieux jusqu’à destination.

Quand ils entrèrent enfin dans la forêt, le crépuscule déjà bien avancé laisserait bientôt place à la pleine lune. Ena y reconnu le principal sentier qu’elle avait emprunté par le passé et qui s’enfonçait dans l’obscurité d’une flore plus dense encore que dans ses souvenirs. L’atmosphère pesante n’était que le voile qui cachait la véritable apparence de cet endroit.

Ils suivirent le chemin, persuadé de trouver l’Auberge des Fauves. Le groupe marcha en rang serré pour ne pas être surpris du moindre danger, certains qu’ils finiraient tôt ou tard par rencontrer leurs ennemis.

Quand ils arrivèrent enfin à l’endroit, la lune venait à peine d’atteindre son zénith. Sa clarté illumina les lieux comme s’il y faisait jour. Ils observèrent l’endroit avec méfiance et dégoût.

 Les corps de nombreux hommes et de femmes étaient embrochés sur des piquets, les uns à côté des autres formant ainsi une basse palissade tout autour de l’auberge. Cette dernière était surmontée d’une planche bois où était gravé un loup dévorant un nourrisson.

  • Quelle horreur ! Fit Maistro en se détournant du décor et se retenant de cracher.
  • C’est ici… Plus nous nous enfonçons dans les terres, plus le mal trouve des formes rebutantes pour se révéler. Reprit Cadmos.
  • Que faites-vous ? Demanda Idish en s’adressant aux guerriers qui passèrent le muret de chaire vers la terrasse de la bâtisse.
  • Qu’attendez-vous ? Rétorqua Ena.

Cadmos s’avança prudemment et ressentit un grave danger :

  • N’y allez pas Idish, Maistro. Cette demeure est protégée ! Elle est entourée par la magie qu’utilisèrent les Mage pour créer leurs démons. Observa Cadmos.
  • De la magie noire ? Je croyais cela disparu. Reprit Maistro.
  • Cet endroit sent le piège à plein nez. Restez sur vos gardes. Argumenta Cadmos.

Idish, qui n’avait jamais vu une telle magie à l’œuvre  se senti affaiblit et recula de quelques pas.

  • Il nous faut entrer, c’est notre seul indice. Expliqua Ena sur un ton décidé.
  • Nous vous attendrons au dehors. Ce n’est pas sûr ici. Ajouta Cadmos qui s’en éloigna accompagné des deux autres.

Les deux guerriers s’avancèrent devant la porte de l’auberge. Une grande porte de bois immaculée dont la poignée de fer, rougit par les âges, promettait une ouverture bruyante.

Flocon l’empoigna et la relâcha aussitôt tandis qu’un coup de vent souffla puis disparut aussitôt. Ena le regarda avec étonnement puis, croyant qu’il craignait ce qu’il pouvait y avoir de l’autre côté, elle prit le relai sans qu’il ait le temps de réagir. Elle sentit une froideur intense lui brûler la paume. En un instant elle se métamorphosa en un grand feu, puis plus rien.

  • Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle inquiète.
  • Je crains que cette poignée, si ce n’est toute la demeure, soit baignée dans un maléfice qui vient de nous ôter nos capacités magiques. Je ne ressens plus rien, je n’arrive plus à appeler le vent.
  • Moi non plus, remarqua-t-elle, je suis incapable de m’enflammer.
  • Même mon épée ne semble plus habitée. C’est comme si nous étions privé de nos sens.

Ils se retournèrent et virent avec effroi que tout avait changé. L’endroit était dorénavant entouré d’une basse barrière de bois sur laquelle grimpait du lierre et des ronces. La demeure en elle-même gardait sa façade de pierre surmontée d’un toit en chaume et parsemé de trous que le temps avait fait s’élargir.

  • Comment est-ce possible ? S’étonna Ena.
  • Ce n’est pas impossible. C’est comme cette fois-là, où je rencontrais les sorciers. Ils me l’avaient pourtant dit. Cet endroit est une zone de déphasage naturelle. Cette poignée a dû activer ce phénomène. Nous nous sommes déphasés !
  • Cela veut-il dire que nous sommes à un autre endroit ?
  • Cela veut surtout dire que les autres sont seuls face au danger !

Dans sa précipitation, Flocon empoigna à nouveau la poignée de la porte d’entrée et sentit à nouveau une empreinte magique se déposer sur lui. Il se retourna et cette fois-ci, la barrière était redevenue de chair et d’os. Aucun doute que derrière cette porte se tenait le mal.

  • Entrons ! S’exclama-t-il en tournant la poignée.
  • Flocon ! Fit Ena qui se sentit happer à l’intérieur.

A l’ouverture, une bourrasque puissante s’échappa dès l’entrebâillement, puis, tel un filet, les deux guerriers furent propulsés vers l’intérieur, jusque dans une cage ensorcelée.

  • Ena ! Flocon ! S’écria Idish devant les deux prisonniers.
  • Que faites-vous là ? Vous…

Au même moment, Flocon regarda tout autour de lui. Les recoins sombres de la pièce gardaient d’innombrables créatures dans l’ombre, et dont seules les armures et les armes que les spectres portaient étaient encore visibles. Au-delà des sorciers et du Sage à genoux devant lui, enchaînés par d’énormes maillons métalliques, une silhouette leur tournait le dos.

« Vous devez être ce fameux Flocon dont tous mes subordonnés encore en vie parlent. » Dit l’inconnu en se retournant doucement.

Le casque surplombé de deux cornes qu’il portait ne laissait paraître que ses yeux de vipères, d’un orange assombris. Quant à sa carrure et sa démarche, elles le dissociaient nettement des autres qui restaient silencieux.

  • Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Questionna Ena fermant les poings.
  • Qui suis-je ? Ricana-t-il de sa voix grave. Veux-tu le leur dire ? S’adressa-t-il soudain à l’un de ses serviteurs qui se cachait dans l’ombre de la pièce derrière-lui. Après tout, tu connais bien l’un d’eux. Dis-leur donc qui fait face à la troupe de ce Flocon. Ajouta-t-il doucement tout en s’approchant des trois autres au sol.

Les deux guerriers se regardèrent et attendirent de savoir face à qui ils étaient.

« Non ? » Reprit l’inconnu casqué dont sa taille colossale en imposait tout autant que son armure noire et tachetée de sang.

Tous restaient muets.

« Je suis, » s’interrompit-il avec calme en attrapant une dague sur l’une des armures des siens, « je suis… curieux, Flocon. J’ai ouïe dire que tu avais terrassé Xéro, notre précieux allié, » continua-t-il en passant doucement la pointe de l’arme sur la nuque des camarades agenouillés. « Lui qui créait de si belles choses. Lui qui donnait la vie à nos plus puissants soldats. Comment a-t-il pu perdre face à de simples humains ? Au plus des sorciers ? »

Il continua sa lente marche autour d’eux.

  • Il n’était pas si robuste que cela, il nous supplia de l’épargner. Mentit Cadmos fièrement. Et vous le ferez tous quand ce sera votre tour, démons.
  • Le Sage, c’est cela ? Ce sera bientôt ton tour, ne sois pas si pressé de découvrir ta destinée. Ta résurrection est une erreur que nous allons corriger d’ici peu.
  • Que voulez-vous ? Tenta de s’interposer Flocon qui serrait fermement son épée sans ne rien maîtriser.
  • Ce que nous voulons ? Ria fortement l’interlocuteur, suivis de ses soldats qui étaient restés silencieux jusqu’alors.
  • Vous riez beaucoup, comme votre Xéro avant qu’il ne soit au sol, misérable et impuissant. Termina Cadmos.

Un coup de genoux dans le visage le fit tomber face contre terre, desserrant ses chaînes qui le privaient encore de se mouvoir. Le choc de son crâne sur l’armure l’assomma tandis que le chef ennemi fit un geste de la main aux siens pour le réveiller à coup de poing.

  • Que lui faites-vous ! Cessez ! Arrêtez ! S’écrièrent Maistro et Idish qu’on empêchait alors de bouger.
  • Ne vous en faîtes pas, je vais m’en occuper. Dit une autre personne en entrant dans la lumière, face aux prisonniers.
  • Je te le laisse, Naku, ricana de nouveau le plus respecté, mais n’oublie pas, Il s’intéresse aux autres.

Il se détourna des prisonniers, lâcha l’arme et s’éloigna tranquillement vers la sortie. L’armure imposante et sombre qu’il portait laissait paraître une marque, le symbole d’un fauve couronné. Le Flocon sortit son épée et s’apprêta à défaire sa cage quand l’interlocuteur fit un léger mouvement de tête pour regarder la lame. Il disparut après avoir ajouté : « Cette épée, j’ai bien cru qu’elle était habitée. Ce doit être mon imagination. »

  • Cet être n’aurait jamais dû survivre à son passé, reprit Naku. Sans leur capacité, ils ne valent pas mieux que des humains. Cependant, je m’étonne que vous soyez encore en vie, misérables insectes. Vaincre Xéro, je ne peux rester qu’intriguer. Allez, réveillez-vous. Je veux voir votre expression quand enfin je vous tuerai, s’adressa-t-elle à l’assoupi.
  • Cadmos ! Ne lui faites pas de mal ! S’exclama Ena.
  • Et que ferez-vous fillette ? Vous ne pouvez rien contre notre armée. Nous vous écraserons bientôt, soyez en sûre. Je serai là pour vous le prouver.

Au même moment, Cadmos ouvrit les yeux, crachant du sang, encore sonné.

  • Vous… remarqua le Sage, comment est-ce possible ?
  • Vous vous souvenez de moi, Cadmos ? Le dernier des vôtres ? Je suis flattée, chuchota-t-elle.
  • Vous devriez être morte… dit-il à peine conscient.
  • J’étais là pour vous tuer. J’aurais tué le dernier des Sage ce soir-là. Il a fallu que nous soyons interrompus.
  • Vous étiez là, je me souviens. Vous avez tué tous les aînés. Vous…
  • A présent, je peux enfin achever ce que j’avais commencé. Sourit-elle.

Et ramassant la dague que le chef avait laissé tomber au sol, elle lui trancha la gorge d’un coup net.

  • Cadmos ! Ce n’est pas possible ! Non, non, non ! Cadmos ! S’écrièrent-ils tous horrifiés.
  • Enfin ! Enfin ! Je l’ai enfin tué. Cinq siècles pour y arriver ! Quel soulagement. Soupira Naku qui se délecta du sang sur la lame.

Toute l’assemblée se mit à ricaner puis rire aux éclats quand ils virent les chocs inutiles de l’épée du Flocon, désespéré de ne pouvoir aider son ami qui se vidait de son sang sous ses yeux.

  • Vous êtes un monstre ! Vous nous le paierez ! Affirma Ena pleine de rage.
  • Ah ! Croyez-y autant que vous le souhaitez, et j’aurais plaisir à vous montrer que seul le désespoir et le supplice vous attend. Ma mission s’achève là, mais nous nous reverrons, soyez-en sûr, et je serai présente. Souvenez-vous de mon nom, Naku la Mage.

« Revenez ! Revenez ! Je vous tuerai ! Je vous tuerai ! » S’écria Flocon qui les voyait tous sortir de l’auberge, se déphasant à l’extérieure.

Leur cage se mit à se désagréger naturellement et leur force leur revenir en l’absence des monstres. Les chaînes de Maistro et Idish s’étaient déjà brisées. Ils se rapprochèrent de Cadmos, tentant de le réanimer. C’était trop tard.

  • Non ! Non… Cadmos… S’écria Flocon qui se pencha sur son ami, nourrissant une haine intense pour cette femme et pour tous les Mage et les Démons.
  • Flocon, nous le vengerons. Aujourd’hui il a rejoint sa femme et son enfant, demain, nous nous occuperons du sort de nos ennemis. Expliqua d’une douce voix Ena qui voyait la tristesse de son camarade.
  • C’était un homme bon, c’était un être puissant et sage. Nous n’oublierons pas sa force et ses convictions, et nous lui rendrons hommage. Fit Idish qui cautérisa la plaie.

Ils pleurèrent de leur perte et emmenèrent la dépouille de Cadmos à l’orée du bois où ils lui édifièrent un grand bûcher pour l’y déposer et lui rendre hommage. Silencieusement, Ena embrasa la base de l’édifice et tous regardèrent leur ami disparaître. Ils se promirent de tout faire pour protéger chacun d’entre eux et tous ceux qui seraient dans la difficulté et le besoin, comme le faisaient jadis les Sage.

Flocon, qui avait regagné ses capacités et ses sens, empoigna son épée pour lui assurer qu’il verserait tout le sang que l’âme souhaiterait, tant que ce seraient des démons, des monstres et des Mage.

Chapitre 12 :  Mont de l’Éveil

Cadmos est mort par la main de Naku la Mage, obéissant à un puissant démon, lui-même serviteur du roi démon. A présent, les 4 rescapés doivent se rendre au royaume.

Le temps passa tandis que la troupe voulait préparer les leurs aux dangers de l’Est. L’armée des royaumes des hommes arrivait après 10 jours de patience. Les camps se dressèrent rapidement et Efferus, le bras droit de la reine, vint immédiatement à la rencontre de son ancien ami :

« Flocon ! » S’exclama-t-il en l’apercevant devant le bois.

Le guerrier vêtu de blanc et tacheté du sang de son ami l’observa s’approcher avec étonnement.

Maistro s’avança vers l’allié et lui demanda comment ils avaient fait pour les retrouver si vite :

  • Nous nous apprêtions à suivre l’Est quand un terrible bruit se fit entendre au Nord. Nous avons dû traverser le lit d’un ancien fleuve où un campement d’Ours nous a accueilli prétendant avoir vu passé cinq individus dont deux sorciers aux compétences extraordinaires. Ils nous ont indiqué la plus probable direction à suivre avant de s’en retourner vers l’Ouest que vous avez libéré. La reine a insisté pour que nous remontions cette piste, et nous voilà devant vous. Et vous, reprit Efferus, que faites-vous ici ?
  • Nous nous sommes faits…

Flocon coupa la parole au sorcier et prit Efferus à part :

  • Nous sommes tombés dans une embuscade.
  • Une embuscade ?
  • Efferus, écoutez-moi. Vous êtes un ancien garde du royaume de l’Eveil. Nous savons tous deux que le passé n’est pas la meilleure partie de votre vie, mais nous avons besoin de vous. Il ne s’agit pas de guerre…
  • Que voulez-vous dire, Flocon ?
  • Ce qu’il veut dire, rétorqua Ena, c’est que nous avons besoin d’un guide pour atteindre le « Mont de l’Eveil ». Ajouta-t-elle à leur hauteur.

L’interlocuteur se tût en entendant ces mots. Il se caressa la barbe et fixa ses confrères du regard.

  • Qui est cette demoiselle ? demanda-t-il.
  • Je suis Ena, princesse du sixième royaume, Ardrea.
  • Le royaume d’Ardrea. Vous devez être la fille de la magicienne. Une personne de bonté.
  • Allez-vous nous aider ? Notre ami vient d’être assassiné. S’imposa Idish qui tremblait toujours, légèrement déboussolé.
  • Flocon, le Mont que vous souhaitez atteindre est un lieu interdit et qui plus est, personne n’y a jamais mis les pieds à ma connaissance.
  • Vous n’êtes pas l’ami de cet homme, Efferus, si vous êtes incapable de nous aider. Il a cette manie de s’entourer de gens qui veulent l’aider, je me trompe ? Affirma Ena.
  • Je suis prêt à vous aider. A vous guider jusque là-bas si c’est ce que vous désirez, mais vous devez savoir une chose. Le « Mont de l’Eveil » est protégé. Personne ne sait ce qu’il y a sur cette montagne flottante.
  • Cela importe peu. C’était le souhait de Cadmos. Je dois y arriver coûte que coûte. Nous n’avons pas une minute à perdre. Pourriez-vous expliquer l’importance de ce voyage à la reine ? Demanda Flocon avec insistance, se gardant de montrer sa haine.

Une voix vint de derrière :

« Vous souhaitez me demander quelque chose ? »

C’était la reine, dont l’armure dorée ravivait sa chevelure onduleuse et ses formes féminines. Elle s’approcha du groupe, entourée de ses gardes, et d’un geste de la main elle fit rompre sa garde.

  • Ma reine, fit Efferus avec révérence, le temps file et nous devons nous hâter.
  • Vous partez, Efferus ? Quels sont là vos projets ?
  • Ma reine, nous devons…
  • C’est donc vous, cette fameuse reine du royaume des hommes dont j’ai entendu parler. Répondit sans crainte Ena qui fit face à la dame.
  • Vous devez être Ena, reine du « désert aquatique », rétorqua l’autre qui se défendit de l’impolitesse. N’est-ce pas votre peuple que vous avez laissé derrière vous ?
  • C’est ainsi que se comporte les femmes, dans les terres reculées, à l’abri du mal ? Vous portez de bien belles parures, mais savez-vous au moins vous battre ?
  • Ena ! S’exclama Flocon, nous avons des choses plus importantes à faire ! Nous n’avons pas besoin de pareilles querelles. Nous avons tous nos responsabilités. Pensez à Cadmos.
  • Que se passe-t-il, Flocon, expliquez-moi. Reprit la reine en armure.
  • Efferus est un vieil ami, c’est aussi un homme du royaume que nous nous apprêtons à rejoindre. Il connaît mieux que quiconque les terres du passé. Nous avons besoin de lui pour nous y guider. Si vous voulez nous suivre, faites donc, et s’il reste des bourgs, assurez-vous qu’aucun n’abrite le mal et la discorde. Nous partirons dès l’aube. Nous vous informerons de notre passage par des marques aux arbres, afin que vous puissiez suivre la bonne direction. Le temps presse, je ne peux vous en dire davantage. Veuillez accepter.

La femme, dont le pouvoir lui avait donné dix mille soldats, écouta attentivement les dires de son ami et comme il semblait être plus inquiet encore que pressé, elle fit un léger mouvement de tête vers le bas et s’avançant vers son bras-droit, elle ajouta :

  • Faites ce qu’il faut pour les aider, prenez quatre de mes meilleurs chevaux, mais revenez-moi vivant. Vous êtes de trop bonne compagnie pour que notre armée puisse se passer de vous trop longuement.
  • Je ferais selon vous souhaits, majesté. S’inclina Efferus.

Ce dernier s’arma de sa courte dague et de sa cotte de mailles avant de retrouver ses nouveaux compagnons à la tombée de la nuit.

Ena l’attendait la première au pied d’un arbre. Elle avait dans ses mains une brindille dont elle faisait brûler le bout avec magie, et dessinait des formes avec la fumée qui s’en dégageait. Lorsqu’elle le vit arriver, elle se mit en travers de son chemin :

  • Je n’arrive pas à savoir où j’ai déjà entendu votre nom, mais je suis sûr que cela me reviendra.
  • Je suis également enchanté de faire votre connaissance. Rétorqua-t-il en soupirant et contournant l’obstacle.

Les fils-de-sorciers se consolèrent de la disparition de Cadmos et écoutaient ce que Flocon avait à dire sur ce « Mont de l’Eveil ». Au même moment, ils virent Ena et Efferus entrer dans le bois pour les rejoindre.

  • Êtes-vous certain d’être prêt ? Demanda Flocon à son ainé.
  • C’est bon. Je voyage toujours léger, comme au bon vieux temps. J’attends des explications concernant cette mission.
  • Après nous avoir expliqué d’où vous venez, nous parlerons de là où nous allons. Reprit sèchement Ena qui s’impatientait de savoir où elle avait entendu parler de lui.
  • Flocon ne vous a pas parlé de notre rencontre ?
  • Je n’en ai pas eu l’occasion. Pourquoi est-ce si important pour vous, Ena ? Répondit sèchement le guerrier tâché de sang.
  • Puisque nous partirons à l’aube, je peux vous raconter l’histoire qui nous lie, Flocon et moi. Reprit Efferus.
  • Oui, faites dont. Ajouta Idish qui souhaitait avoir d’autres pensées en tête.
  • Nous vous écoutons avec plaisir. Ajouta son frère qui s’assit tout proche.
  • Pendant que vous racontez, Efferus, je vais préparer les bêtes pour notre départ, et faire du feu. Reprit Flocon qui s’en alla chercher du bois.

Ena, quant à elle, s’accolait à un tronc d’arbre et écouta avec attention ce que l’homme avait à raconter.

Au beau matin, Ena se leva la première et amena les chevaux au campement. Elle fit claquer de petites étincelles aux pieds des quatre hommes afin de les réveiller sournoisement et de les presser.

  • Fini de roupiller, on doit se mettre en route ! S’exclama-t-elle bruyamment.
  • Je ne suis décidément pas fait pour ce genre de réveil matinal. Ajouta somnolant Idish.

Les chevaux hennissaient si fort que les hommes n’eurent d’autres choix que de se lever et de se préparer à partir. Déjà en selle, Ena les regardait d’un air dépité. Elle n’acceptait toujours pas que ce traitre, dont son passé n’avait plus de secret pour elle, malgré la souffrance qu’il avait pu endurer durant sa vie, les accompagna. Elle n’avait pas confiance en cet homme qui leur servirait de guide.

Les deux frères se mirent sur une seule bête sans rechigner, et Idish aux commandes, se hâta de se mettre à hauteur de la femme sur qui il ne se cachait pas d’avoir des vues. Les deux autres à la traine gardaient la même allure et restaient silencieux.

  • Vous semblez mécontente, Ena. Dit Idish en s’intéressant à la colère de la dame.
  • Je n’aime pas être prit en traitre. Et cet homme, dont nous ignorons tout, est notre guide. Trouvez-vous cela normal ?
  • N’avez-vous pas confiance en Flocon ?
  • Flocon est naïf. Traitre ou non, je resterai sur mes gardes.
  • Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Répliqua Maistro.
  • Que veux-tu dire mon frère ?
  • Le Flocon est un guerrier, qui reste sur ses gardes la plupart du temps. Mais il ne pense pas suffisamment à la suite des événements. Ena est une guerrière, redoutable et impatiente. Cadmos arrivait à les canaliser tous les deux. Maintenant qu’il n’est plus là, je me demande si Efferus ne sera pas de trop.
  • Ne vous inquiétez pas, reprit Ena fièrement, Cadmos et moi n’avions pas partagé les mêmes idées jusqu’ici, mais il avait le mérite de nous avoir appris à conter les uns sur les autres. Je n’oublierai pas ce qu’il aura tenté de faire pour nous.
  • Que je vous admire. Reprit mielleusement Idish qui rapprocha son cheval de celui de la femme.

Ena sourit à cette intention et d’un air mesquin, elle s’apprêta à faire galoper le destrier des deux sorciers. Elle fit apparaître une brusque étincelle à l’arrière de la bête qui, au moment de la détonation, se mit à galoper. Idish et Maistro s’écrièrent autant qu’elle souriait. Aucun d’entre eux ne l’avaient vu sourire ainsi depuis leur rencontre. Leur bruit sortit Flocon de ses songes qui fit signe à Efferus d’accélérer la cadence pour rattraper l’avant du groupe.

Pendant leur voyage, ils n’évitèrent pas les anciennes routes commerçantes. Efferus conseilla à maintes reprises de ne pas emprunter les sentiers battus, mais les deux guerriers étaient bien décidés à battre n’importe quel mal qui se mettrait sur leur chemin. Ils ne pouvaient plus supporter que celui-ci leur ait prit leur ami, et continuerai à semer la terreur tant qu’ils n’auraient pas réussi à l’éliminer.

Il se rendit compte de la douleur et des maux que ces terres avaient vécus. « Ena sait ce qui nous attend là-bas, Efferus doit s’en douter mais je suis incapable d’imaginer ce qu’ils ont dû endurer pour n’avoir aucune peur d’affronter ce qui se dessine devant nous. » Pensa-t-il. Il dévisagea ses compagnons, et malgré les rires, la mélancolie l’avait regagné. Ses combats avaient-ils eut un sens ? Tout ceux qu’il avait côtoyé jusqu’à ce jour, ce voyage vers ses origines, tout cela comptait-il vraiment ? Pourrait-il faire la différence là où les Sage, où Cadmos avaient échoué ? Qu’est-ce qui le poussait plus loin ? Il songea à tous les gens qu’il avait rencontré : de sa rencontre avec Efferus, de l’innocente Aude et des premiers monstres, des Mage, des Ours, des frères et des sœurs de ces royaumes, d’Ena la guerrière flamboyante, d’Idish et de Maistro, des démons qu’il avait dû combattre… Tout cela avait-il eut un sens ? En aurait-il un ? Malgré tout, il n’était plus seul, et entourés d’amis, de compagnons qui lui faisaient confiance, il se sentait incapable de les abandonner, de s’abandonner lui-même à la difficulté. Il y avait trop à découvrir, sur son origine, sur cette épée, sur le mal et le bien. Il avait toujours guerroyé, et aujourd’hui encore, pour venger la mort de son ami, pour se venger de la fourberie des Mage, il était prêt à donner sa vie.

Ils avancèrent plus rapidement qu’ils ne l’espéraient sur le dos de leurs bêtes. Efferus montra à Idish et Maistro le nom des montagnes qui dominaient l’horizon dont il se souvenait malgré le temps passé loin de ces terres. Parmi eux, le plus élevé de tous, à l’Ouest des royaumes, en plein cœur de la chaîne de montagne, le Mont Dabrail, où de vieilles légendes parlaient d’un géant de pierre du nom de Dabrailla. Ils arrivèrent sur une grande plaine dont le paysage dégagé permettait d’observer ce qu’était devenu ces territoires pendant son absence.

Avec étonnement, il n’y avait aucun danger qui se dessinait au loin. Les terres étaient laissées à l’abandon et la nature reprenait le pas doucement, les chemins n’étaient plus de terres mais de friches, de fougères et de buissons en tout genre, les champs n’étaient plus que de grandes plaines où vivaient les animaux rescapés. Aux extrémités du plateau, deux grandes montagnes pointues se faisaient face et délimitait l’entrée d’une profonde vallée.

  • Voyez-vous cette ombre au-dessus des montagnes ? Demanda Maistro qui montrait l’endroit d’un geste de la main.
  • Cette ombre, répondit Efferus avec frisson, est le Mont de l’Eveil. C’est là-bas que nous nous rendons.
  • Une montagne flottant dans les airs ? Est-ce une plaisanterie ? Interrogea Idish qui n’y croyait pas ses yeux.
  • Ce Mont a toujours culminé au-dessus des royaumes. Ce n’est pas tant une montagne qu’un gigantesque rocher. Mais nous avons placé bien des croyances en ce lieu pour qu’il existe une force assez puissante pour le maintenir au-dessus du sol. Répondit Ena qui jeta un regard vers Flocon.
  • C’est cela. Le Mont de l’Eveil prend son nom du sens qu’il révèle. S’éveiller pour savoir qu’il existe des forces qui nous dépasse, capable de faire voler de pareils rochers. Ajouta le guide.
  • Comment allons-nous voler jusqu’à lui ? S’il flotte comme cela dans les airs, il n’y a aucun moyen de le rejoindre ? S’interloqua Idish.
  • Jamais aucun homme n’a pu poser le pied sur cette surface. Nous ignorons ce qui peut y avoir dessus. J’ignore comment l’atteindre. Répondit honnêtement Efferus.
  • Aujourd’hui, nous savons ce qu’il y a sur ce rocher.
  • Pardon ? Comment le savez-vous ? Reprit Efferus intrigué.
  • Cadmos… Cadmos le Sage, notre ami, m’a parlé du Mont de l’Eveil et de ce que nous y trouverons.
  • Le Sage, voulez-vous dire qu’ils existent encore ?
  • Je suis venu jusqu’ici pour rencontrer les Sage qui vivent depuis des siècles sur ce Mont. Ils se nomment Delfic et Enaelle. Leurs pouvoirs et leur savoir me permettront d’obtenir des réponses. Ajouta Flocon.
  • Des Sage vivraient depuis tout ce temps au-dessus des royaumes ? C’est impossible. Nul écrit n’a jamais fait référence d’une pareille présence. S’interloqua le guide.
  • Il nous faut aller là-haut. Nous trouverons bien un moyen. Affirma Maistro.
  • Si tout cela est vrai, je suis ravi de faire partie de cette aventure. Je vous emmène de l’autre côté de la vallée, au cœur des douze royaumes, sous le Mont. Là-bas, vous trouverez peut-être le moyen d’y arriver. Accepta Efferus qui s’enjoua à l’idée de faire partie de cette trépidante aventure au beau milieu de ces terres qu’il n’avait plus approché depuis de longues décennies.

Ils arriveraient bientôt au pied des montagnes face à face, berceau de la vallée, d’où ils s’étonnèrent de ne rien distinguer de particulier, comme si aucune trace de civilisation n’avait jamais foulée le sol. Jusqu’ici aucun village n’avait été repéré, aucun être vivant, si ce n’étaient quelques animaux, n’avait montré signe de vie, pourtant il y avait bien eu en ces terres des fermiers, des paysans, de la vie. Et jadis le peuple de ces royaumes traversait nuits et jours ces contrées verdoyantes.

Ils longèrent et remontèrent un ruisseau qui s’écoulait devant eux et prenait source dans les montagnes. Arrivés devant l’embouchure de la vallée, Ena fit un mouvement brusque vers l’arrière :

  • Arrêtez-vous ! S’exclama-t-elle. Il y a quelque chose ici.
  • Qu’est-ce que cela ? S’interrogea Maistro qui s’avança la main tendue vers l’avant.
  • Fait attention à toi ! Ajouta son frère inquiet.

Flocon les regarda faire, et tandis que le premier fils-de-sorcier s’avança tout seul, il sentit sous la paume de sa main une étrange sensation. En un instant, le décor changea, l’écran se dissipa laissant apparaître avec stupéfaction, ce que le voile magique cachait : une gigantesque muraille taillée dans une pierre d’un blanc immaculé, s’allongeant d’un bout à l’autre de la vallée, grimpant dans les hauteurs montagneuses, et qui s’élevait à plusieurs dizaines de mètres de hauteur.

  • Comment est-ce… Efferus en perdit les mots tant l’apparition était époustouflante.
  • C’est une magie très puissante. Créé une pareille barrière d’occultation, cela demande beaucoup d’efforts. Reprit Maistro en observant le phénomène se dissiper.
  • C’est plus que cela. C’est un mirage magique, ajouta Idish qui s’approcha pour toucher à son tour l’étrange barrière qui s’affinait. Il n’y a rien à craindre, cette enveloppe n’est pas dangereuse et nous pouvons passer au travers, expliqua-t-il en y passant la main.
  • C’est la première fois que je suis témoin d’un tel spectacle. Reprit Efferus émerveillé.
  • Ce n’est pas tant le sort qui est impressionnant, c’est l’amplitude de l’occultation qui est gigantesque. Pour que nous ne puissions pas distinguer quoique ce soit depuis le point de vue à la sortie du bois en amont, c’est que cette barrière doit s’étendre sur des milles tout autour de la chaîne de montagne. Nous ne pouvons distinguer le véritable décor que lorsque nous sommes du bon côté du voile. Reprit Maistro.
  • Comment est-ce possible ? Demanda Ena. Il n’y a jamais eu de murailles ici. Lorsque nos royaumes brûlaient – je ne l’ai pas rêvé ! – il n’y avait aucun mur. Avec une pareille protection, il est difficile d’imaginer quiconque passer au travers sans y être invité.
  • Je savais bien que c’était étonnant qu’on ne vît rien à l’intérieur de la vallée. Nous avons tous connus les populations de ces terres jadis. Reprit Efferus.
  • Nous devrions rester sur nos gardes, si ce mur a été construit puis occulté ce n’est certainement pas pour rien ! Suggéra Flocon en voyant les fils-de-sorciers pénétrer à l’intérieur de la zone protégée.
  • Il est certain qu’un ennemi s’approchant jusque-là n’aurait aucun moyen de contrer une attaque envoyée depuis les remparts. Des attaques à distances seraient maîtres depuis ce côté du voile. Qui a bien pu construire cela ? Ajouta Efferus.
  • Ma mère y a peut-être participé. C’était une reine et une magicienne. Espérait la princesse.

Un bruit fracassant se fit entendre. Devant Idish et Maistro, le mur se fendit en deux. C’était une gigantesque porte taillée dans la pierre qui se confondait avec le reste de la muraille. Efferus, Ena et Flocon les rejoignirent et virent s’ouvrir les royaumes. De l’autre côté, ils aperçurent de grandes bâtisses comme il était coutume d’en voir par le passé. Au loin, dans la continuité de la vallée, ils aperçurent la base du Mont de l’Eveil qui flottait au-dessus d’une très haute tour.

Rapidement, au pied de la muraille, des troupes armées arrivèrent et formèrent un rang. Les armures des soldats brillaient d’un argent poli qui semblaient n’avoir jamais été usées par la guerre. Un chevalier arriva sur son destrier et fit face aux arrivants. Son casque était orné d’une magnifique plume d’oiseau méconnaissable et les ornements des spallières dorées qui surplombaient le plastron argenté étaient encore plus merveilleux que ceux de la reine de l’Ouest. C’était un fantastique mélange d’argent et d’or qui décorait toute l’armure.

Il descendit de son destrier blanc et vint à hauteur de la troupe. Derrière lui, les soldats tenaient la garde et sur la muraille, d’innombrables archers argentés dont les arcs eux-mêmes été faits de métal, gardaient l’endroit.

  • Halte là, inconnus. Vous n’êtes pas les bienvenus en ces lieux. Repartez sur le champ ou nous vous y forcerons. Dit le chevalier à la troupe.
  • Je suis Efferus, dit-il en s’avançant vers l’autre, et nous sommes ici…
  • Je sais qui vous êtes. Efferus « le Malicieux ». L’histoire n’oubliera jamais votre visage ni votre traitrise envers la couronne. Et je connais vos compagnons. La princesse Ena qui disparue depuis de cinq longues années avant de refaire surface comme par enchantement ? Vous devez être des monstres envoyés des démons pour espionner nos terres. Nous vous laissons une chance de partir la vie sauve. Partez !

Ils se regardèrent et tous choqués des termes employés à leur encontre et se crispèrent.

  • Qu’avez-vous encore fait ! S’exclama une voix qui venait de la ville et dont personne n’avait encore remarqué la présence. La prophétie a été claire, leur arrivée est un signe pour l’avenir de nos royaumes.
  • Pour moi ce ne sont rien d’autres que des sornettes. Aucun mot dicté par un individu dont on ignore tout n’aura jamais de sens. Rétorqua le chevalier qui continua de fixer les cinq autres.
  • Ecoutez, Roffus, vous avez vos convictions, j’ai les miennes. À cela près que je représente notre peuple. Alors éloignez-vous d’eux immédiatement.
  • Comme vous voudrez, Conseillère Delia.

Le chevalier fit demi-tour et retourna de l’autre côté de la muraille, suivi par ses nombreux gardes.

  • Je suis ravi de vous rencontrer enfin. Nous vous attendions depuis longtemps. S’adressa la femme vêtue d’une grande cape blanche semblable à celle de Flocon.
  • Qui êtes-vous ? Demanda Ena.
  • Venez, suivez-moi, je vous raconterai tout, Ena Naliagard. Vos parents étaient de braves personnes. Et ne craignez rien, Efferus, les tords du passé ont été pardonnés. L’avenir a besoin de vous tous.

Ils suivirent la femme du bon côté des murs, traversant l’épaisse muraille de pierres taillées et se retrouvaient face à une ville plus grandiose et plus belle que toutes les merveilles que le monde avait pu offrir à chacun d’entre eux jusqu’alors.

Au loin, de l’autre côté de la vallée, en aval, ils observèrent que les cités ravagées avaient été rebâties et que les douze royaumes s’érigeaient à nouveau. Comment cela se pouvait-il ?

  • Ce que vous voyez au loin, fit Delia en remarquant l’émerveillement des arrivants, c’est votre nouveau chez vous. Au début de la guerre, il y a de ça cinq années, les démons et les monstres ont mis à sang et à feu toutes les cités de la vallée. Les douze royaumes, sans exceptions, ont été brûlés et détruits. Il ne restait plus qu’une partie du peuple et les derniers gardes face à la horde ennemie. Mais tandis que nous perdîmes alors espoir de survivre, du Mont vint notre sauveur. Il arriva entre l’ennemi et nous, vêtue de tenue encore jamais vu. Son armure semblait légère et cristalline. Il repoussa les forces maléfiques, à un contre mille, peut-être plus. Et les survivants qui furent présent lors de ce miracle exécutèrent ses volontés.
  • Comment est-ce possible ? Demanda Maistro. Un seul homme contre toute une armée ? Ce sont des histoires !
  • Ce n’est pas impossible. Reprit Efferus. Si ce que Flocon a dit est vrai, que ce sauveur n’est autre qu’un Sage, alors nul doute qu’une telle bataille est eu lieu.
  • Un Sage ? Comment le savez-vous ? Ajouta Delia. Il s’est présenté comme Delfic le Sage. Un nom que seuls les plus cultivés d’entre nous avaient pris connaissances grâce au mythe conté dans les manuscrits anciens. Ces œuvres remontent à plus de cinq cent ans à l’origine de notre civilisation. Et l’espace d’un instant, nous l’avons vu… Je ne saurais dire ce qu’il s’est réellement passé, tout se dérégla autour de nous. Le feu, la pluie, les orages, la tempête, le sol, tout semblait se déchaîner devant nous. J’étais l’une des personnes présentes et après ce miracle, notre vie lui appartenait. Nous l’écoutâmes avec attention et gravirent ses mots dans notre esprit : « Le peuple de l’Eveil n’en a pas fini. Vous reconstruirez un unique royaume et vous attendrez leur venue ». Pendant ces quatre dernières années nous avons guetté mais jusqu’à ce jour, aucun être s’était présenté. Delfic le Sage n’est plus jamais redescendu de la montagne et nous n’avons aucun moyen d’y monter. Nous avons donc décidé, les douze principaux témoins de ce miracle, de rebâtir un unique royaume, de consolider nos défenses, de fonder le « Conseil de l’Eveil » afin que nous soyons tous prêt à vivre en harmonie et à nous défendre d’un avenir sombre.
  • Les douze royaumes n’existent donc plus. Songea Flocon à voix basse.
  • C’est mieux ainsi. Il n’y aura plus de tyran pour décider de notre avenir. S’exclama Roffus qui suivait la troupe à l’arrière, fermant la marche.
  • Pourquoi cet homme nous suit-il ? Demanda Ena qui le trouvait méprisant.
  • C’est l’un des douze conseillers et c’est aussi le commandant de notre armée. Il est peut-être un peu rustre mais il ne cherche que le meilleur pour la cité. Il a voué ces cinq années à construire et consolider les fortifications sous ce voile magique que Delfic le Sage lui-même nous a légué.
  • Je vous ai entendu Delia. Ne prenez pas leur parti. Pour le Conseil, ils ne sont pas encore nécessairement ceux que nous attendions. Nous en jugerons tous ensemble.

Chuchotant l’un comme l’autre, Idish et Maistro reprirent les termes de la conseillère et affirmèrent qu’un Sage, aussi puissant soit-il n’était pas capable d’utiliser pareille magie pour occulter des terres. Tous continuèrent d’avancer jusqu’au pied d’une grande écurie où des soldats préparaient les chevaux. Tous firent un signe de respect en voyant la femme vêtue de blanc et leur commandant.

  • Conseillère Delia, les selles sont prêtes. Expliqua un garde qui s’éloigna aussitôt.
  • Nous ferons la suite à cheval. Ajouta-t-elle en s’adressant à la troupe.
  • Nous partagerons le dos d’une seule bête mon frère et moi. Répondit Idish qui craignait de se retrouver seul.
  • Faites comme bon vous semble. Nous arriverons aux quartiers du Conseil dans une heure. Vous voyez cette tour sous le Mont ? C’est là que nous nous rendons.

Cette grande tour culminant à l’horizon, s’élevant comme une montagne et semblait frôler le Mont de l’Eveil qui flottait au-dessus. Au loin, la tour semblait frôler la pointe inversée du rocher, mais au pied de la bâtisse, on découvrait que l’écart entre les deux pics était au moins d’un demi-mille. Sur leur route, le peuple saluait les nouveaux arrivants. Tous avaient entendu parler du prodige de Delfic et de sa prophétie. On aurait dit des héros de guerre qui rentraient après avoir vaincu l’ennemi.

  • Comment allons-nous faire pour atteindre le Mont s’il n’est pas relié au royaume ? Demanda doucement Flocon.
  • Ne pensez-vous donc qu’à cela ? Mon peuple a survécu et regardez-le ! Il est sain et sauf ! Tout ce que j’avais cru ces dernières années étaient faux. Nous sommes enfin chez nous. Rétorqua Ena dont l’humeur maussade et triste avait bien changé.
  • Je suis enfin chez moi. Et ce qui est arrivé ici est un miracle, Flocon. Je ne suis plu l’ennemi ! Que ne donneriez-vous pas pour pouvoir revivre comme par le passé, avec les vôtres, chez vous ? Interrogea Efferus qui s’émerveillait de la nouvelle vie qui s’offrait à lui.

Le guerrier à la cape serra le poing, lui qui ne connaissait ni ses origines ni s’il avait un peuple pour l’accueillir, puis se tourna vers ses deux fidèles amis.

  • Je peux comprendre leur enthousiasme. Je donnerai beaucoup pour pouvoir revoir notre Chef et les autres de notre tribut. Mais je suis aussi persuadé que nous sommes ici pour accomplir autre chose avant de rentrer. Lui répondit Maistro compréhensif.
  • D’après nos estimations, il est peu probable que le Mont soit relié au sol d’une quelconque manière. Ni ici, ni ailleurs. Si ce Delfic ne souhaite pas se montrer, il n’a aucune raison de garder une quelconque passerelle le reliant aux peuples terrestres. Ajouta Idish.
  • Il est bien remonté sur ce rocher d’une manière ou d’une autre. Reprit Flocon irrité.
  • Je pense qu’avec l’aide du Conseil, nous pourrions construire une tour suffisamment haute pour l’atteindre. Dit Maistro.
  • Mais s’ils refusent, comment ferons-nous ? Ena et Efferus semblent avoir d’autres motivations à présent. Et le Conseil ne voudra sans doute pas risquer de mettre à mal leur sauveur. Reprit Idish.
  • Puisqu’ils sont douze, je n’aurais qu’à m’expliquer devant eux quand nous y serons. Il faut qu’ils écoutent, qu’ils me disent comment Delfic est remonté là-haut. Affirma le guerrier.

Ils continuèrent d’avancer et contemplèrent ce nouveau royaume. La population ayant été réduite lors des attaques, tout semblait spacieux et incroyablement précieux. Flocon pensa au récit de Delia, que ce peuple ignorait tant de choses sur les forces qui s’affrontaient réellement dans ce monde.

Vu du ciel, le royaume était encadré par une chaîne de montagnes qui faisait tout le tour. Le tout ressemblait à un cercle et à l’extérieur, les Plaines de l’Eveil étaient jadis cultivées pour nourrir toute la population. Depuis l’intervention de Delfic, cette chaîne de montagnes circulaire les protégeait des dangers extérieurs. Ayant passé l’embouchure, ils arrivèrent au cœur du territoire où la chute du soleil envoyait l’ombre gigantesque du Mont de l’Eveil jusqu’à la mer de l’Est.

Des feux avaient été allumés au plus haut de la cité, et sur les flancs des montagnes avoisinantes, justifiant l’arrivée des individus tant attendus. Depuis leur entrée dans ce royaume renaissant, le peuple se présentait pour célébrer l’arrivée des leurs.

« C’est comme dans un rêve. Si seulement j’avais acquis mon pouvoir auparavant, j’aurais pu les protéger et rester auprès d’eux. » Pensa Ena qui était émue par l’accueil des siens.

Au pied de la grande tour, descendant de leurs destriers, Delia s’avança jusqu’aux premières marches qui menaient vers l’entrée. Là elle retrouva les dix autres conseillers couverts de blanc, rejoint par Roffus qui arriva dans son armure argentée.

  • Ils sont enfin arrivés ! S’exclama le Conseiller le plus à droite, Olui.
  • Oui ! Efferus, anciennement le Malicieux et la fille des Naliagard. Répondit Delia enthousiaste.
  • La fille de la magicienne. Rétorqua mécontent la voisine, Alea.
  • Je suis ravi de savoir qu’il y a quelqu’un de censé dans ce groupe. Ajouta Roffus qui ricana.
  • Peu importe qui ils sont, ils sont ici chez eux. Ajouta Notila, ancienne domestique de la royauté du troisième royaume.
  • Vous dites cela maintenant, mais quand ils voudront reprendre le pouvoir et déciderons de faire couler le sang pour leurs désirs personnels comme d’autres l’ont fait par le passé, vous ne serez plus aussi enthousiaste. Se moqua Loen.
  • N’êtes-vous jamais rassasiés d’être en conflits les uns avec les autres ? Demandèrent les trois autres.
  • Et vous, les trois frères Ili, Imi, Ini, n’êtes-vous jamais capable de prendre parti ! Venez donc faire un petit tour de garde à l’extérieur de la muraille, et vous parlerez librement après ! S’exclama Roffus avec mépris.
  • C’est assez, reprit Delia qui restait la plus respectée de tous.

À présent, ils entrèrent dans cette immense structure de marbre et de pierres blanches. La première salle était un vaste hall où il ne résidait personne. Seuls de grands escaliers se distinguaient du décor somptueux. La superficie de la tour permettait d’accueillir aisément chaque Conseiller en son sein, ainsi que toute leur famille s’ils en avaient une. Les survivants des massacres étaient, quant à eux les artisans et paysans, les seuls pouvant rebâtir de pareils lieux.

Roffus ordonna aux trois frères d’emmener chacun des invités dans les résidences prévues, à l’exception d’Efferus, qu’ils commenceraient à écouter en premier.

L’homme suivit les neuf autres personnalités jusque à l’étage, et derrière une grande porte ornée de dorure, il fut installé sur un fauteuil sculpté dans la pierre qui faisait front à une grande table de marbre. Delia se positionna au milieu, face à Efferus, entourée directement de Roffus à gauche et Olui à droite, puis des six autres.

« Nous vous écoutons, Efferus. » Fit Delia alors que les gardes refermèrent la porte en sortant.

Dirigé par Ili, Imi et Ini, les sorciers ne pouvaient s’empêcher de satisfaire leur curiosité en observant chaque détail, touchant chaque objet qui leur paraissait unique. Ena, quant à elle, rêvassait encore, songeant à son avenir dans cette société qui n’était encore pas si longtemps la sienne. Tout ce qu’elle pouvait apporter à son royaume. Elle y songea tant qu’elle ne remarqua pas l’allure inquiétante de son aîné. Flocon restait sur ses gardes. Il avait vu de trop belles choses par le passé pour croire que tout ceci n’était l’œuvre que du bien.

  • Où ont-ils emmené Efferus ? Demanda-t-il aux conseillers.
  • Dans la salle d’audience. Nous prévoyons de vous écouter chacun votre tour pour connaître les raisons de votre venu, ou ce que vous avez vécu le temps passé à l’extérieur. Répondit Ili, le plus honnête des trois frères.
  • Nous ne sommes pas vos ennemis. Ajouta Imi, le plus franc.
  • Certes oui, si vous aviez été des démons, la barrière entourant la muraille vous aurait maintenu à l’extérieur. Rétorqua Ili, le plus suspicieux.
  • Que voulez-vous entendre de nous que vous ne sachiez déjà ? Rétorqua le guerrier.
  • C’est que, la prophétie exprime l’arrivée de quelqu’un. Mais si nous sommes ceux à qui la prophétie a été partagée, c’est que nous sommes les seuls à pouvoir juger les véritables sujets de celle-ci. D’autres pourraient vous succéder. Oui, plein d’autres. Nous savons qu’il y a de nombreux royaumes humains à l’extrême Ouest. Peut-être sont-ce d’autres parmi ceux-là que nous attendons ? Ajouta Imi.
  • Qui sera le prochain à être interrogé ?
  • Ce n’est pas un interrogatoire, Flocon, nous sommes là pour vous écouter. Lui répondit-le même.
  • Dans quel but ?
  • Dans le but de savoir comment nous pourrions leur être utile à l’avenir. Répondit Ena qui s’était offusquée du comportement de son camarade.
  • Voici votre appartement. Ajouta Ini en s’adressant à Flocon. Chacun d’entre vous en aura un équivalent, à cet étage. Je vous laisse vous installer, nous viendrons vous cherchez quand Efferus aura parlé. Si vous voulez bien me suivre, reprirent les trois Conseillers en s’adressant à Ena, Idish et Maistro.

Face à la porte en bois de chêne, Flocon n’osait pas tournée la poignée. La couleur sombre s’accordait avec ravissement au mur blanc, mais il n’avait jamais apprécié les joyaux d’un tel royaume, ci-bien qu’il hésitât un moment avant d’entrer.

Il entra. L’appartement semblait plus spacieux qu’une maison toute entière, et la luminosité de l’extérieur traversait chaque fenêtre avec intensité. Sur le balcon, il pouvait contempler tout le nord du royaume, et apercevoir la pointe du Mont Dabrailla dont parlait Efferus plus tôt. Il observa dans toutes les directions qui lui était possible tant la vue était extravagante. Il y passa tout le temps jusqu’à ce qu’on le fasse demander.

  • Est-ce tout ce dont vous avez à raconter ? Demanda Loen qui s’interrogeait sur la véracité des propros d’Efferus.
  • Vous dîtes ne pas en savoir davantage sur la princesse Ena ni qui sont vraiment les gens qui vous accompagnent, après toutes ces années ? Reprit Olui septique.
  • Comme je vous l’ai dit, je n’ai croisé la route de Flocon que deux fois depuis mon exil, et celle de cette femme, que très récemment. Je vous ai dit ce que je savais, et je suis intimement persuadé qu’elle est heureuse, tout comme moi, d’avoir retrouvé son chez elle après tant d’années. Vous n’aurez qu’à le leur demander. Tenta d’expliquer Efferus.
  • Nous vous remercions pour le temps que vous avez pris à nous expliquer tout cela. Bienvenue chez vous, Efferus. Vous êtes désormais libre de rester parmi les vôtres. Termina Delia qui raccompagna Efferus à l’extérieur de la salle en demandant aux gardes d’amener Ena.

Le vieil homme sentit le poids de sa culpabilité et de toutes ces années de solitude se dissiper. « Je suis enfin chez moi » pensa-t-il heureux, sortant de la salle.

  • Vous ne croyez tout de même pas ce que le Malicieux a pu dire à l’instant. S’offusqua le Conseiller Loen qui méprisait la royauté.
  • Si ce qu’il a dit est vrai, alors nous pourrions avoir d’innombrables raisons de les garder auprès de nous. Ajouta Delia en retrouvant ses confrères.
  • Vous n’y pensez pas ! Si ce Flocon est aussi fort que dix hommes, nous ne savons pas de quoi il est réellement capable. Nous ne devrions pas les laisser sans surveillance. Reprit Roffus.
  • Que comptez-vous faire ? Les mettre en cage ? Et si leurs intentions sont aussi exemplaires que celles d’Efferus ? Nous n’aurions rien à craindre. Ou peut-être que vous avez peur de perdre votre utilité, Roffus ? Critiqua Notila.
  • Taisez-vous ! Je vous aurai prévenu.
  • Ecoutons ce qu’ils ont à dire plutôt que de supposer l’avenir. Termina Olui en voyant Ena entrer dans la pièce.

« Prenez place, princesse Ena. Veuillez nous raconter ce que vous avez vécu depuis la guerre, et vos intentions concernant votre peuple. » Demanda gentiment la Conseillère Delia.

Elle s’assit sur l’étrange siège qui ressemblait à un trône, et regardant fixement chaque Conseiller, elle répondit :

  • Je ne suis pas doué pour raconter. Efferus et Cadmos le font mieux que moi. Posez-moi vos questions, j’y répondrais.
  • Avec plaisir, fit Roffus, Efferus a admis que votre compagnon de route, Flocon, était capable de vaincre dix hommes à mains nues. Qu’est-il capable de faire d’autre ? Êtes-vous comme lui ?

Etonnée, elle sourit à l’odieux personnage qui, derrière sa fermeté, cachait sa crainte.

  • C’est exact. Mais Efferus, malgré son grand âge, ignore les véritables capacités de notre allié. Flocon est doté de puissantes capacités. Il est capable de maîtriser le souffle du vent comme les flammes d’un feu ardent. Il a vaincu à lui seul le monstre de la Forêt Sanglante et à lutter à égalité contre le démon du lit du fleuve au Sud.
  • Vraiment ? Comment est-ce possible, ce n’est qu’un homme. Songea déçu Roffus.
  • Et oui, je suis également capable de vous faire rôtir sur place. Plaisanta-t-elle en voyant l’air dépité de cet odieux.
  • Garde ! S’exclama le commandant.
  • Taisez-vous donc, renchérit Delia, vous l’avez bien cherché !
  • Je n’ai pas l’intention de faire du mal à qui que ce soit. J’ai toujours rêvé de cet instant. Rentrer chez moi. Quand nous sommes revenus sur les traces de ces royaumes, nous nous attendions à retrouver ces vallées en ruines. Moi-même ai-je abandonné mon peuple à ces événements tragiques. S’il m’est donné la chance de me racheter, je le ferais.
  • Nous comprenons. Dans ce cas, parlez-nous de vos capacités et de celles de Flocon. Ajouta Olui.
  • Lorsque je fuyais les incendies et les attaques, je me suis perdu dans le Sud proche d’un grand lac. Là-bas, j’ai utilisé les enseignements de ma mère pour survivre et protéger les habitants de cette contrée reculée. Expliqua-t-elle en faisant croître une flamme au-dessus de la paume de sa main droite.
  • C’est époustouflant. Admit Loen qui restait réticent à la présence de ces gens.
  • Cet homme, ce Flocon maîtrise le vent et le feu. Mais je crains qu’il ne souhaite pas rester parmi nous. Et je le comprends. Nous avons perdu un être cher pendant notre périple. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre son but.
  • De quoi s’agit-il, princesse ? Demanda Notila.
  • Ne vous méprenez pas, Flocon est un homme bon et juste. Je ne connais que très peu ses aventures et ce qu’il a dû traverser, mais il est une chose dont je suis sûre, c’est qu’il n’abandonnera jamais ses convictions. Il doit monter sur le Mont de l’Eveil et trouver les réponses à ses questions.
  • Personne ne peut monter là-haut ! Et même si c’était possible, nous n’en donnerions jamais notre bénédiction. Que veut-il y faire ? Demanda Alea qui s’offusqua d’un tel but.
  • Nous ne pouvons pas laisser une telle chose arriver. Notre sauveur est descendu de là-haut par sa seule volonté. Jamais nous ne permettrons à quiconque de perturber son existence après ce qu’il nous a donné : une seconde chance. Ajouta Olui désolé.
  • Vous semblez proche de cet individu, seriez-vous prêt à…
  • Je vous interromps tout de suite Conseillère, dit Ena en coupant la parole à Delia, jamais je ne me mettrais en travers de son chemin. Comme je l’ai dit, cet homme est le plus décidé des êtres qu’il m’a été donné de rencontrer. Et malgré tous les choix qu’il fera, malgré toutes les conséquences qui pourraient y avoir sur le monde, je ne m’y opposerai pas. Je suis heureuse de pouvoir retrouver mon peuple et mon chez-moi, mais cet endroit est autant sa maison que celles de tous les survivants, et il est prêt à sacrifier sa vie pour des buts plus grands et plus importants que sa propre personne. Je respecte cela.
  • Nous saurons faire preuve d’écoute et d’attention grâce à vous. Nous lui demanderons ce qu’il en est de cette quête. Je vous remercie, vous pouvez disposer. Finit Delia.

Ena sortit de la grande salle et respira profondément espérant n’avoir pas paru abrupte dans ses propos ni n’avoir causé de préjudice à son ami.

Les conseillers discutèrent ensemble pendant un moment. Ils échangèrent leurs opinions afin de savoir ce qui serait le mieux à faire face aux motivations intolérables de ce Flocon. Ils se mirent d’accord, malgré ce qu’avait dit leur icône, Delfic le Sage lui-même, ils décidèrent avant tout de protéger leur peuple. Alea, réticente à l’arrivée de cet individu, suggéra subtilement de poster des gardes devant et dans la salle avant de convoquer Flocon. Dans ce cas, s’il venait à être incontrôlable face à leurs décisions, ils pourraient l’arrêter sans désordre. Tous s’arrêtèrent de discuter et approuvèrent la proposition.

  • Nous ne voulons pas de guerre chez nous. Et malgré que nos avis puissent diverger au sein du Conseil, nous sommes tous d’accord que ce Flocon est un guerrier et qu’il est nécessaire de prévoir une mesure militaire s’il décidait de lutter contre nos positions. Remarqua Roffus.
  • J’ai entendu ce que vous aviez à dire. Et je ne vais pas m’opposer inutilement à la présence de la garde. Je comprends que vous souhaitiez être prudent devant un individu dont ne nous connaissons que peu de choses et dont les motivations vont à l’encontre de notre Conseil. Dans ce cas, répondit Delia, nous posterons ces soldats.
  • Je m’occuperai moi-même de la sécurité. Rétorqua le commandant.
  • Et si nous faisions appel aux sorciers ? Demanda Notila. Après tout ceux sont également des membres de la troupe. Au même titre qu’Efferus et Ena, ils devraient avoir l’opportunité de raconter leur histoire.
  • Nous n’avons que faire de ce que pensent deux sorciers. Je me rappelle d’un temps ou le peuple haïssait ces êtres doués de magie. Pourquoi cela devrait changer en ce jour ? S’exclama Loen furieux.
  • Quelle rancœur pouvez-vous bien nourrir à leur égard ? Interrogea Notila.
  • Assez ! S’interposa la principale. Nous avons entendu ce qu’Efferus et Ena avait à nous dire. Je pense que nous pouvons d’ores et déjà entendre la version de Flocon. Veuillez appeler Ili, Imi et Ini qu’ils se dépêchent de nous l’amener.
  • Bien, Conseillère Delia. Fit un garde de la salle.
  • Je vais préparer mes hommes. Fit Roffus en quittant la salle à son tour.

Non loin du Conseil, Flocon restait sur ses gardes. Seul le « Conseil » siégeait en maître dans ce nouveau royaume. Plus de monarchie. Douze individus pouvaient décider de ce qui serait le mieux pour tout le peuple. Allait-il pouvoir circuler librement au cœur de cette société ? Pourrait-il atteindre le Mont comme il l’espérait ? Ces questions germaient en son esprit. Au même moment, on toqua à la porte. C’était les frères Ili, Imi, Ini qui le demandaient.

  • Veuillez-nous suivre. Dirent-ils en ouvrant la porte aussitôt.
  • Un problème ? Demanda poliment Flocon sortit de ses songes.
  • Non, mais, le Conseil va vous recevoir.

Il acquiesça et suivit les hommes jusqu’à la salle. A l’intérieur de celle-ci, il s’asseyait sur le fauteuil de pierre face à l’assemblée. De part et d’autre de la salle Roffus et ses gardes étaient debout et armés.

  • Que se passe-t-il ici ? Demanda Flocon qui voyait bien que l’atmosphère n’était pas hospitalière.
  • Rien, je vous assure, affirma Delia, nous souhaitons simplement entendre ce que vous avez à nous dire sur votre aventure et sur vos dessins.
  • Aventure ? Vous plaisantez ? S’impatienta l’interroger.
  • Veuillez rester calme. Nous ne vous ferons aucun mal. Répondit Alea gauchement.
  • Me faire du mal ? C’est un interrogatoire ? Est-ce ainsi que vous accueillez les gens ? Questionna Flocon en se levant brusquement.
  • S’il vous plaît, contez-nous votre histoire. Ajouta Delia.

Ce dernier n’avait pas envie de créer de problèmes et s’exécuta. Il resta debout et raconta : « Je ne sais pas ce que vous savez du monde, ni du royaume que vous servez mais pour être certain de me faire bien comprendre, je vais tout vous expliquer. »

Les conseillers hochèrent la tête et écoutèrent.

  • J’ignore qui je suis, d’où je viens. J’ignore tout. Ce que je sais, de la bouche de mon ami Cadmos le Sage, qui a donné sa vie pour nous amener ici, c’est qu’il existe des siens sur ce rocher flottant et qu’ils sont probablement les seuls à avoir les réponses à mes questions.
  • Les siens ? Comment cela est-ce possible ? Demanda Delia.
  • Je n’ai jamais entendu pareille idiotie. Répliqua Alea.
  • Peut-être… Quand j’étais au service du troisième royaume, j’ai souvenir d’avoir entendu des rumeurs à ce sujet. Mais personne ne savait vraiment si c’était le cas. La royauté taisait aisément ce genre d’informations. Expliqua Notila qui était à leur service jadis.
  • J’imagine que si vous ignorez cela, alors vous ignorez toute l’étendue de la vérité. Rétorqua Flocon. Vous dîtes répondre à une prophétie, de la bouche même de Delfic. Pourquoi ne pas aller lui demander si nous ne sommes pas les personnes concernées ? Vos pensées sont limitées à votre ignorance.
  • De quoi ? Reprit Roffus irrité de n’y rien comprendre.
  • Je n’ai pas de temps à perdre.
  • Nous y voilà ! S’exclama Roffus qui n’attendait qu’une occasion pour bondir.
  • Vous me dégoûter. Vous vous êtes enfermés dans un cocon hermétique, derrière vos montagnes, à l’abri de l’extérieur. Vous croyez avoir survécu pour reconstruire un peuple décimé ? Réveillez-vous ! Vous êtes ici pour servir les intentions du mal. Vous avez des gardes, des murailles, une force militaire conséquente mais vous vous protégez de tout plutôt que d’arpenter les terres à la recherche de survivants, de population dans le besoin. Ouvrez les yeux ! Vous êtes aveuglés par vos peurs. Prenez les armes et allez combattre ! Voilà ce qu’étaient assurément les paroles d’un Sage qui vous sauva la vie à tous. Je mets ma vie en péril pour sauvegarder des gens bien, des gens courageux. Et depuis lors, de nombreuses vies humaines ont été sacrifiées pour lutter contre cet ennemi grandissant. Des alliances ont été faites partout dans l’Ouest. Mais quelle fierté ai-je ressenti quand j’ai vu que ce peuple, votre peuple, se cachait ? N’êtes-vous plus qu’un ramassis de faibles, incapables de défendre vos idéologies en combattant les oppresseurs ! C’est à croire que Delfic n’est pas redescendu de son rocher, désolé de voir la petitesse d’esprit des gens qu’il sauva. Et je vous le dis, personne ne m’empêchera, j’irais sur le Mont de l’Eveil, je rencontrerais Delfic le Sage, et j’aurais mes réponses ! S’exclama Flocon avec fougue, véracité et colère.
  • Arrêtez-le ! Ordonna Roffus qui voyait l’occasion de mettre un terme à cette plaidoirie et d’enfermer Flocon qui l’agaçait depuis sa venue.

Les gardes se jetèrent sur Flocon lui confisquant son épée. Ce dernier n’avait pas l’intention de se battre contre eux et se laissa emmener sans résistance. Les conseillers suivirent le prisonnier et le commandant vers le cachot. En chemin ils croisèrent Efferus et Ena qui attendaient de connaître l’issu de la discussion. Etonnés, ils accoururent auprès de leur ami et prirent parole :

  • Qu’est-ce que tout cela signifie ! S’exclama Efferus qui voulut s’interposer pour libérer son ami.
  • Vous devez le relâcher ! Quelle est sa faute ? Demanda Ena.
  • S’il vous plaît, écartez-vous. Dit Delia qui s’avança. Flocon a décidé d’être un frein au développement de notre société. Il souhaite établir un contact interdit avec Delfic le Sage. Il sera donc enfermé jusqu’à ce que l’on décide du sort qui lui sera réservé. Si vous tentez quoique ce soit pour sa libération, nous jugerons que vous êtes les ennemis du royaume et nous vous condamneront également. Dans le cas contraire, sachez que vous avez d’ores et déjà une place au sein du Conseil.
  • Mes amis, fit Flocon attaché, ne vous inquiétez pas. Vous avez retrouvé votre chez vous. Votre aide m’a été utile jusqu’alors. À présent, c’est à moi de prendre les choses en mains, c’est à moi qu’incombe le devoir de venger Cadmos et de continuer le combat.
  • Flocon… Fit doucement Efferus qui voyait la sympathie dans les yeux de son ami.
  • Emmenez-le ! Ordonna Roffus à ses gardes.

Flocon disparu derrière une porte menant au cachot.

  • Allons-nous vous comptez parmi nous ? Demanda Delia aux deux individus.
  • Ce serait un honneur. Fit Efferus en incitant Ena à ne pas lutter.

Un garde revint auprès des conseillers :

  • Conseillers ! Nous avons un problème !
  • Que se passe-t-il ? Interrogea Roffus qui semblait fier de ses actions.
  • Le Prisonnier… Il s’est libéré de ses chaînes.
  • Comment ! Où est-il ?
  • Toujours dans le cachot, commandant.
  • Conseillers, allez-vous mettre à l’abri dans la salle du Conseil. Je veux que tous les gardes soient réunis au pied du bâtiment dans les cinq prochaines minutes. Je garderai moi-même l’épée.
  • Devrions-nous intervenir ? Chuchota Ena à Efferus.
  • Non, ce n’est plus notre combat, Ena. Flocon nous a remerciés. Il ne veut pas nous mêler à sa décision. Ayez confiance en lui pour la suite.
  • Vous êtes aussi sage que lui, Efferus. Chuchote-t-elle.

Roffus se dirigea vers le cachot accompagné de son armée. Il haussa la voix : « Flocon ! Vous êtes cerné ! Rendez-vous sans faire d’histoire. Vous n’avez nulle part où aller. »

La porte s’ouvrit. Il se tenait là, devant eux, sa cape tacheté de rouge flottant au-dessus du sol. Ses cheveux dépassaient légèrement sur son visage et ses yeux brillaient dans l’obscurité tel un démon qui fit frissonner l’arrière-garde.

« C’est bien, avancez doucement. » Fit Roffus ravi.

Flocon s’avança sans un mot. Son regard fixait le fourreau que le commandant tenait au creux de ses mains. Quand il fut à hauteur des gardes, à quelques pas du commandant, il s’élança sur ce dernier, le renversant d’une impulsion du bout des doigts posés sur l’armure argenté.

« Merci de me l’avoir gardé. Maintenant, je la reprends. » Fit-il au-dessus du commandant, fourreau en main, croisant son regard et lui témoignant sa gratitude avec un grand sourire moqueur.

« Attrapez-le ! » Ordonna Roffus qui voyait Flocon courir en direction de la sortie.

Tous les gardes se mirent à sa poursuite. Le bruit des soldats en armures fit un vacarme dans toute la bâtisse. Les Conseillers entendirent la course poursuite sans la voir. L’évadé, quant à lui, atteignit la sortie avant tout le monde, face à l’armée que le commandant avait fait venir plus tôt en renfort.

  • Tu es cerné ! S’exclama Roffus qui arrivait depuis le hall du bâtiment.
  • Déposez votre arme ! Ordonna un adjudant à Flocon.
  • Et si je refuse ?

Il était conscient que plus jamais il ne pourrait être accueilli en ces lieux. Et au fond de lui, il savait que cet instant devait arriver. Une nouvelle sensation de liberté l’enveloppa.

  • Que comptez-vous faire, Flocon ? Maintenant que nous ne sommes plus que vous et moi… et aussi mon armée, ricana-t-il. Il me tarde de plaider n’avoir rien pu faire d’autre pour vous empêcher de nuire que de vous faire taire pour de bon.
  • Vous êtes un pauvre homme, Conseiller Roffus. Vous ne méritez pas que je vous combatte. J’ai une meilleure idée.

L’odieux s’étonna de la réponse et eut un étrange pressentiment. Il sentit son corps s’alléger. Ses pieds s’élevèrent au-dessus du sol. Puis tous semblèrent flotter un moment.

  • Que se passe-t-il ? S’interrogèrent-ils de vive voix.
  • Cessez de brailler. J’ai une requête à vous faire, Roffus. Dit Flocon qui était le seul à ne pas se mouvoir.

Sa cape, quant à elle, ondulait comme les vagues d’une mère agitée.

  • Je ne vous laisserai pas…
  • Ecoutez-moi bien, Roffus, je ne vous le répèterai pas : l’armée des hommes de l’Ouest arrivera très prochainement au pied du royaume. Vous ouvrirez vos portes et leur prêterez toutes vos forces. Vous accueillerez la reine avec toute la décence et le respect que vous lui devrez, et vous avez ma parole que je ne serais plus sur votre chemin.

À ces mots, Flocon savait que c’était là le seul moyen d’atteindre le Mont. Que seule la capacité d’un Sage ou d’un Mage pouvait permettre de surpasser la limite de l’humanité. Ce n’était pas une tempête qu’il venait de faire naître, mais une bourrasque si puissante qu’il se sentit aussi léger qu’une plume. Il disparut. Les soldats regagnèrent le sol de tout leur poids. Roffus fut à nouveau renverser en arrière à cause de son imposante armure ci-bien qu’il aperçût Flocon au-dessus d’eux. Il venait de se propulser à la verticale avec une vitesse époustouflante, montant jusqu’au Mont de l’Eveil.

Gravissant le sommet de la tour du Conseil, à quelques pieds seulement de la roche, il montait encore vers le plateau aérien jusqu’à ce qu’un vent inverse le freina au moment de poser les pieds au sol. Il s’agenouilla, ressentant l’herbe fraîche et humide qui jonchait cette terre qui n’avait jamais été foulée par l’homme.

 

Lorsqu’il releva le regard, il aperçut non loin de lui, deux individus immobiles qui lui faisaient face : Un homme, d’un âge avancé, d’un regard vif et de tatouages atypique comme ceux de Cadmos et une femme au regard profond, aux pupilles d’un jaune brillant, à la chevelure grisâtre et soyeuse, et tous deux vêtues de tenue simple mais parfaitement taillée. Flocon s’avança vers les inconnus et leur dit :

  • On me nomme Flocon. Je cherche Delfic le Sage. J’ai parcouru toutes les terres de l’Ouest, traversé celles de l’Est et suivit les conseils d’un ami pour le retrouver et lui…
  • Nous savons qui vous êtes, Flocon. Répondit l’interlocuteur de sa voix grave et familier.
  • Comment ? S’étonna-t-il. Savez-vous où je puis le trouver ?
  • Vous l’avez devant vous. Reprit calmement la femme à ses côtés.

Surpris de cette découverte, Flocon s’agenouilla et lui quémanda de répondre à ses questions.

  • Relevez-vous Flocon. Je ne suis ni roi ni tout puissant. Ce serait plutôt à nous de nous agenouiller.
  • Il n’a pas l’air de savoir encore. Chuchota la femme.
  • Mon ami… Cadmos le Sage, m’avait parlé de votre présence sur ce rocher et m’avait affirmé que vous auriez les réponses sur mes origines, sur cette épée que je porte, et sur tout le reste.
  • Cadmos a survécu ? S’étonna la femme à leurs côtés.
  • Vous le connaissiez ? Hélas, Cadmos a été assassiné il y a de cela quelques jours. Nous sommes tombés dans une embuscade tendue par un groupe de Démons. Et avec eux, une misérable Mage dénommée Naku l’a égorgé sans que je ne puisse combattre.
  • Une Mage dîtes-vous ? Reprit la femme.
  • Je n’en pensais plus d’autres vivants non plus. S’étonna Delfic.
  • D’autres ? Interrogea Flocon en relevant le regard vers la femme.
  • Je suis Enaelle, Mage et épouse de Delfic, le Sage. Notre venue sur…
  • Vous ! Une Mage ! S’écria-t-il en pensant au meurtre de son ami. Comment se peut-il que vous viviez encore après tout le mal que vous avez fait !

Flocon, prit de rage et de désir de vengeance, brandit son épée et s’apprêta à attaquer quand, d’un simple geste de la main, le Sage le figea pour l’empêcher de s’en servir.

« Où nous as-tu emmenés ? Pourquoi suis-je ici ? »

Enaelle s’approcha de son époux et posant une main sur son épaule, elle s’excusa auprès de Flocon :

  • Je suis navrée que certains d’entre nous soient devenus pareils monstres ou qu’ils aient pu engendrer des créatures aussi dangereuses. Mais tous les Mage n’étaient pas les êtres cruels que vous pensez. Nous n’avons pas tous choisis cette voie, mais notre espèce n’a eu d’autres choix que de vivre avec cet amalgame. Si certains Mage ont survécu après l’affrontement, il semblerait qu’ils aient rejoint leur progéniture. Sans doute que tous les autres, les Sage, ont péris ou soufferts comme notre regretté Cadmos.
  • Je me suis promis de venger sa mort. De découvrir qui je suis. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour…
  • Je comprends votre colère.

Le couple se retourna et chuchotèrent comme de vieilles personnes gâteuses :

  • Ils n’ont pas changé… Remarqua Delfic.
  • Sa colère est grande et sa frustration davantage encore. Nous ne pouvons pas le laisser sans réponse. C’était son dessin. Il nous l’avait demandé.
  • Je le sais bien, mais il semble si loin de la vérité. Ses directives étaient claires. C’est pour cela que nous sommes partis vivre loin des nôtres.
  • Cela fait maintenant cinq siècles qu’il ère sans se souvenir de qui il est. De qui ils sont. Ajouta Enaelle.
  • Ce n’est pas encore l’heure. Tout ce qu’il avait prédit est arrivé. S’il a fait ce choix c’est pour notre salut à tous. Nous ne devons pas encore lui révéler ses propres projets passés. Tu le sais aussi bien que moi. S’il recouvre la mémoire, il n’aura plus aucun choix.
  • Je le sais, hélas. Cette destinée est aussi injuste que nécessaire.
  • C’était le seul moyen. Il ne voudrait pas qu’on gâche tout ce qu’il aura enduré pour rien. Il doit continuer ainsi.

Ils se retournèrent à nouveau face à Flocon qui les dévisageait.

  • Nous avons de nombreuses réponses, reprit Delfic. Tu as sans doute souvent voulu savoir d’où tu venais, comment cette épée s’est retrouvée entre tes mains, capable de communiquer avec vous ? Capable de vous donner une force dont vous ignorez l’existence ? Ou encore quelles sont vos véritables origines ?
  • Comment savez-vous tout cela ?
  • Voilà ce que nous vous proposons. Notre cher Cadmos vous a affirmé que me trouver vous donnerai les réponses aux questions que vous cherchez. Mais il a oublié de mentionner que tout a un prix pour un forgeron. Si vous êtes capable de me prouver qu’il avait raison de mettre sa confiance en vous, alors je saurais en mesure de vous répondre.
  • Dîtes-moi ce que je dois faire, je vous prouverai ma force.
  • Alors viens avec moi, je vais vous montrer ce qu’il vous faudra réaliser pour obtenir toutes les réponses que vous souhaitez, et votre force n’en est qu’une infime partie.
  • Je suis prêt à tout.
  • Je l’espère bien. Là où nous allons, vous devrez faire un choix. Après quoi, jamais vous ne pourrez revenir sur votre décision. Expliqua Delfic.

Enaelle se sépara des deux hommes et les laissa s’éloigner.

  • Je me rends compte que toutes ces années vécues à traverser les terres du monde m’ont préparé à ce jour. Qu’importe le choix, j’atteindrai mon but. J’obtiendrai les réponses que vous me cachez. Je vengerai mon ami. Je sauverai les peuples du mal. Songea Flocon.

« Ces individus me semblent familiers.»

  • Que veux-tu dire ?

« Je ne saurais le dire. Accomplissons ces exploits et nous saurons peut-être ce que nous sommes ! »

Le Sage, observant son invité pensif, profita de sa distraction pour subtiliser son épée et l’empêcher de communiquer avec elle. Il l’a brandi à l’horizontale au-dessus de lui, et d’un ton audible pour que Flocon l’entende, il dit :

  • Je suis forgeron, Flocon, et je sais qui a forgé cette épée. Je connais tous les secrets qu’elle renferme. Et si vous voulez atteindre votre but, obtenir les réponses à vos questions, sachez que votre destin est lié à cette lame.

Tandis que le Sage donnait davantage de détail sur ce qui attendait Flocon, ils s’avancèrent jusqu’à l’autre extrémité du Mont, au pied d’un gigantesque saule et d’un puit dont le trou donnait sur le royaume en contre-bas.

  • Donnez-moi votre fourreau. Ordonna l’ancien.
  • Quel est cet endroit ? Pourquoi m’avoir amené jusqu’ici ? Demanda le guerrier en tendant l’étui.
  • C’est ici que tout commencera ou s’achèvera. Vous avez le choix, Flocon. Et rappellez-vous, vous ne pourras revenir sur votre décision. Dit le vieil interlocuteur en s’approchant du puit.
  • Je suis prêt.

Delfic le Sage déposa l’épée dans le seau suspendu à la structure en pierre puis s’approcha du tronc de l’arbre sous le regard estomaqué de Flocon. Au contact des mains sur l’écorce, le bois se décomposa, puis se reforma tout autour de l’épée, l’emprisonnant en son sein.

  • Voici votre choix, dit-il en se retournant et portant contre lui l’objet de métal et de bois : affrontez-moi jusqu’à ce que vous soyez en mesure de la récupérer, et vous aurez alors toutes les réponses que vous souhaitez tant, ou alors partez maintenant et vous vivrez dans l’ignorance.
  • C’est absurde ! Vous savez que je vous affronterais jours et nuits s’il le faut. Jamais je ne pourrais m’abandonner à une pareille lâcheté.
  • Le choix est toujours possible, mais n’oubliez pas, si vous décidez de m’affronter, vous ne pourrez partir d’ici qu’après m’avoir repris cette épée et montré que vous êtes digne de Cadmos, digne d’entendre la vérité.
  • Je combattrai, je vous en fais le serment. Fit Flocon qui venait de faire son choix.
  • Dans ce cas, il n’y a pas de temps à perdre. Prouvez-moi que mon ami n’est pas mort en vain, Flocon ! Ordonna Delfic.

En un instant, le vent se leva avec puissance, la poussière lévita au-dessus du sol, de fines gouttes d’eau apparurent tout autour d’eux et d’un seul geste de la main, face à Flocon, Delfic déversa toute cette puissance sur son adversaire. Le choc propulsa le guerrier à plusieurs mètres, déchirant sa cape, broyant sa soierie rouge et blanche.

Quand il se releva, consterné d’avoir été frappé aussi subitement par ces forces magiques, il repensa au choix qu’il venait de faire. Face à lui se tenait peut-être le dernier des Sage, et au moins respecté de Cadmos, il était probablement plus puissant encore que ce que les histoires racontaient sur leur force et leurs capacités. Il avait battu nombres de Démons en sauvant le peuple du royaume de l’Eveil. Ce n’était pas tant le choix qui comptait, mais ce qu’un tel combat pouvait signifier. Delfic était devenu le pire adversaire qu’il lui avait été donné de combattre. Maître de tous les éléments, il n’avait aucune chance de le vaincre aujourd’hui.

  • Qu’attendez-vous Flocon ? Affrontez-moi, c’est votre décision. S’il le faut, cela durera toute une vie.
  • Comment pourrais-je vaincre un Sage en pleine possession de ses capacités ? Comment pourrais-je…
  • L’abandon ne vous est plus permis. Vous avez toujours combattu épée en main. Mais pour me vaincre, il vous faudra user de la force de votre esprit, de votre habileté, de votre persévérance, de votre force physique, et plus encore des réelles capacités qui sommeillent en vous. Venez me chercher, et je vous parlerai d’un archipel lointain où vit un peuple de nains.

« Viens chercher ce qui t’appartient. C’est ce que tu avais prévu. C’est le seul moyen de s’assurer que tu suis ton propre projet, mon ami. » pensa Delfic face à son adversaire.

  • Des nains ? Qui sont-ils ?
  • Les nains étaient les maîtres des forges, enterrés dans les tréfonds les plus vastes de la Montagne Sacrée, un gigantesque volcan perdu dans les mers du Nord. Et ils forgeaient tout ce dont un royaume avait besoin pour faire la guerre.

 « Elle l’a faite forgée pour elle comme pour toi, et pour que ce jour arrive. » Se souvint Delfic pendant le dialogue. 

  • Pour quelle raison ?
  • Vous n’avez pas le temps de penser. Combattez ! Ordonna Delfic qui, d’un vent titanesque, le renversa encore, l’empêchant même de se relever, écrasant son corps contre le sol, l’obligeant à se concentrer.

« Comment vais-je faire ? Comment vais-je pouvoir vaincre un tel adversaire ? » Se demanda le guerrier en forçant sur ses muscles pour se relever. Genoux au sol, ses membres tremblèrent, incapable de rivaliser.

  • Est-ce tout cela qui vous définit, Flocon ? Est-ce en cette faiblesse que mon ami a mis son espoir. Il s’est sacrifié pour qu’un être à la maîtrise seule du vent soit écrasé par ma simple volonté ? Il n’était vraisemblablement plus le Sage qu’il avait été. Sa faiblesse a eu raison de sa perte. Malheureusement pour moi, où les racines de cet arbre s’étendent, sa magie protège et guérit tout être vivant au-dessus d’elle, et je pourrais vous renforcer bien au-delà de la faiblesse d’un vieux Sage.

« Mon vieil ami Cadmos. Tu as survécu et passé les derniers instants de ta vie sans savoir avec qui tu traversais ces terres. J’aurais voulu pouvoir te le dire de vive voix. Tu m’aurais ris au nez, de ce rire aux éclats qu’aucun d’entre nous n’auraient pu oublier. Sans doute le sais-tu à présent, où que tu sois. » Songea Delfic dans un moment d’égarement.

  • Taisez-vous ! Cadmos n’était pas faible ! Comment pouvez-vous dire une chose pareille. Comment osez-vous ! S’écria vainement Flocon.
  • Ce Mage a eu raison de lui, et ça n’a pas dû être bien difficile. Ma femme aurait pu s’en occuper si facilement. J’ai honte de savoir qu’il ait pu croire en un être tel que vous.
  • Taisez…vous…

Flocon, prit d’une colère intense, puisa dans la plus profonde de ses forces. Ses yeux suintaient d’un vert brillant, et frappant fortement le sol de son poing droit, des piliers de terre se levèrent du sol et dissipèrent le vent en un instant.

  • Vous allez regretter vos paroles ! S’écria-t-il en se jetant sur le Sage pour le faire taire.
  • Trêve de bavardage.

À peine crut-il pouvoir l’atteindre que Delfic riposta d’un coup rapide, précis, et incommensurablement puissant au creux de son estomac. La force du coup sembla transpercer le plus jeune qui s’étendit au sol, gisant inconscient.

« Ce combat va durer une éternité. J’ai au moins découvert un point sensible pour déclencher sa force. » Pensa Delfic qui s’asseyait contre le puit pour méditer et attendre le réveil de son adversaire.

 

Dans la tour du Conseil, les représentants se demandèrent ce qui pouvait leur arriver à présent que Flocon ait foulé le sol du Mont. La barrière magique allait-elle disparaître ? Leur royaume allait-il être à nouveau en danger ? Roffus entreprit de fortifier davantage les murailles tandis qu’Ena et Efferus rassurèrent les autres que tout se passerait bien. Ils mentionnèrent également l’arrivée prochaine de l’armée des hommes, venus des terres de l’Ouest, qui pourrait prêter main forte pour bâtir une alliance solide entre l’Ouest et l’Est afin de repousser toutes les menaces qui y résideraient encore. Soudain Idish et Maistro se présentèrent en ordonnant qu’on leur donne des réponses. « Pourquoi y avait-il tant d’agitation ? Que se passait-il ? Où était passé Flocon ? »

Quand ils arrivèrent dans la salle où s’étaient réunis les conseillers, ils s’offusquèrent de voir qu’ils avaient été totalement ignorés et mis de côté.

Alors qu’ils découvrirent ce qu’il s’était passé, ils décidèrent que leur présence en ce royaume n’avait plus aucun sens. Ils ne comptaient pas rester indéfiniment en l’absence de Flocon pour qui ils s’étaient engagés dans cette aventure :

  • Nous partirons pour l’Ouest dès l’aube et retrouverons notre chez nous.
  • Veuillez les excuser, ils ne pensaient pas à mal. Tenta de rattraper Ena qui voyait la déception dans le regard de son admirateur, Idish.
  • Ne perdez pas votre temps, princesse, répondit sèchement Maistro, nous souhaiterions avoir la carte des territoires de l’Est afin que nous puissions rentrer facilement chez nous.
  • Nous vous l’apportons sur le champ, répondit Leon en faisant signe à un garde de la ramener.
  • Votre ami, ce Flocon, a délibérément rompus nos conditions d’hospitalités. Nous ne pouvions simplement pas autoriser une pareille excursion sur le Mont. À présent qu’il nous a échappé, nous ne sommes plus en mesure de faire quoique ce soit à son encontre. Reprit Delia.

Lorsque les fils-de-sorciers sortirent de la tour du Conseil, désemparés, ils se sentirent coupables de ne pas avoir été présent pour leur ami. Leur déception les mena vers la Faille qui se trouvait à l’Ouest du royaume de l’Eveil.

C’était là le seul moyen de rejoindre l’Auberge des Dix Lieux et leur permettre de retrouver leur hameau. Accompagné par un groupe de dix soldats qu’avait expressément attribué Efferus, ils traversèrent les plaines de l’Eveil et se dirigèrent au travers des bois, bientôt face à une plaine dont l’horizon était visible du Nord au Sud. En effet, la Forêt Rouge qui avait été défaite grâce aux actions de Flocon, laissait le champ libre jusqu’à la Fausse. Là-bas, ils ne leur manqueraient plus qu’à la longer vers le Sud pour atteindre le pont qui donnait sur la forteresse épéiste, royaume de la reine, chef de la coalition des armées humaines.

Après plusieurs jours d’escales, ils atteignirent l’endroit.

  • N’entendez-vous pas ce grondement ? Demanda Idish qui tendait l’oreille en direction de la Faille, à quelques dizaines de mètres d’eux.
  • Qu’est-ce que cela peut-être ? Reprit la garde qui accrocha leur épée.

Le bruit gagna leur attention et les fit avancer avec prudence au-dessus du précipice. En contre-bas, ils virent cet épais voile noir qui recouvrait les profondeurs, et que jadis ils avaient traversé avec Flocon.

  • Que peut-il bien y avoir au fond de ce gouffre ? Demanda l’un des guerriers.
  • Si je me souviens bien, Flocon avait simplement fait mention d’une grande quantité de cristal. Ce n’est pas cela qui peut faire un pareil vacarme, ni même le vent qui s’engouffrerait à l’intérieur. C’est autre chose. Affirma Maistro.
  • Nous ne devrions pas rester ici. Si vous souhaitez atteindre le pont, il faudrait mieux se remettre en route. Si ce grondement continue sur toute la longueur de la Faille, nous en référerons au Conseil à notre retour. Ajouta un autre soldat.
  • Oui, nous y allons. Reprit Idish qui s’était décidé à oublier Ena le plus rapidement possible.

 

Après une nouvelle semaine de marche à longer le gouffre, entendant le bruit persistant des grondements, ils atteignirent enfin leur première destination. Le pont qui menait au château était fendu en son centre, impraticable. De l’autre côté, les tours des murailles étaient détruites et le fort brûlait encore de vives et grandes flammes.

  • Que s’est-il passé ici ? S’offusqua la troupe.
  • Je crains le pire. Regardez la porte au pied du gouffre, celle que nous avions emprunté avec Flocon. Elle semble condamner. Remarqua Maistro.
  • Crois-tu qu’il s’agisse de…
  • J’en suis persuadé, les monstres, les démons, ils ont réussi à venir jusqu’ici. Ce grondement, Idish, ce sont eux. C’est leur troupe qui grandit au fin fond de la Faille. Sans doute que la garde qui siégeait en attendant le retour de leur armée ont détruit le pont pour les empêcher de traverser.
  • Cela signifie qu’ils ont dû envahir les terres et s’en prendre au peuple sans défense qui était resté à l’arrière.
  • Nous n’avons pas une minute à perdre. Il faut regagner le royaume et prévenir de la présence de l’ennemi ! S’exclama le chef de la troupe.
  • Nous ne pouvons pas les laisser seul, Idish, reprit le frère. Malgré qu’ils nous aient laissé tomber, Flocon est toujours là-bas, Ena est toujours là-bas. Nous ne pouvons tourner le dos à nos compagnons et oublier le sacrifice de Cadmos. Qui sait combien de temps le mal patientera dans l’obscurité de cette Faille avant de trouver le moyen de remonter jusqu’ici. Alors, qu’en penses-tu mon frère, ne devrions-nous pas faire preuve de courage et de ténacité ? Ne devrions-nous pas, à notre tour, les sauver ? Questionna Maistro.
  • Tu as raison. Nous n’avons pas été suffisamment importants pour nos amis. Nous n’avons pas montré que nous sommes les maillons forts de notre alliance. Si nous les prévenons à temps, si nous acquérons la force nécessaire, nous pourrons les protéger, nous pourrons la protéger. Reprit Idish avec fougue.

Pendant ce temps, l’armée des hommes s’installait dans les Plaines de l’Eveil, et les forces des royaumes s’allièrent à celles des humains de l’Ouest. Ena gagna en puissance, servant son peuple avec toute l’énergie qu’elle possédait, protestant contre des efforts vains pour mieux rendre possible des projets méritants. Efferus, quant à lui, restait le plus sage conseiller de son royaume, remettant toujours en question les décisions de chacun, luttant contre le pouvoir militaire et s’opposant à l’anarchie.

Quand les fils-de-sorciers revinrent avec les désastreuses nouvelles du Sud-Ouest, le ciel s’assombrissait et s’éclaircissait simultanément. Au-dessus du Mont s’affrontaient des forces de plus en plus puissantes, tonnant et éclatant sans que personne ne puisse en voir les auteurs.

Rapidement, les armées s’unirent pour renforcer leur puissance et sauvegarder tous ceux qui avaient été sauvés jusqu’alors.

« Pourvu que Flocon et Delfic le Sage puissent nous rejoindre le jour venu. À présent, mon frère, protégeons tout le monde. »

Chapitre 13 :  L’Espoir

Tandis qu’ils s’affrontaient sans répit, Delfic et Flocon entendirent un bruit puissant qui fit écho jusqu’à eux. Une explosion, comme si une montagne venait de se fracasser. De quoi s’agissait-il ? Qu’avait-il pu se passer ?

Le plus jeune s’inquiéta aussitôt et demanda à son adversaire de s’arrêter le temps de savoir de quoi il en retournait.

  • Rien ne pourra arrêter notre combat. Votre combat, Flocon. L’avez-vous oublié ?
  • Il doit se passer quelque chose ! Nous devrions au moins vérifier !
  • Cessez de bavarder, même si le Mont devait s’effondrer sur la cité au-dessous de nous, je n’arrêterai pas ! Termina-t-il en foudroyant le sol au pied du guerrier.

Enaelle, l’épouse de Delfic, se présenta à eux. L’air inquiet sur son visage justifiait l’existence d’un véritable problème.

« La barrière magique vient d’être détruite. L’armée des démons est à nos portes. Sur la colline, la horde s’apprête à attaquer la vallée. »

  • Que dis-tu ? Repris l’époux choqué.
  • L’ennemi ? Comment est-ce possible ? D’où viennent-ils ? Qui a pu détruire votre magie ? Questionna Flocon.
  • Nous devrions aller voir cela, Delfic. Je crains qu’il s’agisse d’un cas de force majeur cette fois.
  • Tu as raison. Termina l’époux qui laissa Flocon partir au-devant.

Le Sage s’approcha de la femme et soutenant son menton, la regardant dans les yeux, il ajouta :

  • Que ne nous as-tu pas dit ?
  • Je ne voulais pas en parler devant lui. La magie qui émane de la forêt, ce n’est pas n’importe laquelle. Il est là. Je ne sais comment il a réussi, mais le Roi Démon est ici. Est-ce que Flocon est prêt ?
  • Il s’est nettement amélioré ces dernières semaines et il a intégré le fait que son épée fait partie intégrante de ce qu’il est. Mais il n’est pas encore prêt.
  • Alors nous n’avons pas le choix.
  • Je le sais bien. Si ce que tu crois s’avère vrai, alors ces quelques semaines n’auront pas été suffisantes. Au moins, il ignore toujours qui ils sont vraiment.
  • Il voudra certainement combattre, mais nous savons tous deux que si le Roi Démon est en ces lieux, alors aucun d’entre nous ne survivra.

Enaelle tourna la tête, s’empêchant de retenir ses larmes. « Je sais que ce jour viendrait » ajouta-t-elle doucement « mais j’espérais qu’il soit prêt. »

Delfic la prit dans ses bras et la fixant à nouveau droit dans les yeux, il ajouta :

  • Nous avons eu la chance de vivre ces derniers siècles d’une paix et d’un amour véritable. Mais nous lui avions fait une promesse, le protéger de sa véritable nature et par là-même protéger tous les peuples de ce monde. Nous avons œuvré pour nous préparer à ce jour. Et puisqu’il n’a pas pu acquérir suffisamment de puissances magiques pour me vaincre, il ne nous reste plus que notre plan de secours.
  • Je le sais bien, mais…
  • J’ai joui d’une vie bien remplie ma chère femme, aujourd’hui, je livrerai bataille aux côtés de tous. Je t’incombe la tâche de lever l’armée des anciens, de préparer le monde à ce qui va suivre. Je vous donnerai suffisamment de temps pour que tu puisses trouver le géant Dabrail et pour faire quitter Flocon de ce continent.
  • Que fais-tu des vérités qui l’entourent et le tourmentent ? Il ne se laissera pas faire. Il s’est battu pour en arriver là, jamais il ne voudra partir, Delfic.
  • Je ferais ce qu’il faut. Et puisqu’il cherchera à connaître la vérité, il s’en rapprochera bien davantage en l’envoyant sur les Îles Oubliées. À présent, nous devrions nous mettre en route.

Delfic et Enaelle retrouvèrent le plus jeune au bord du Mont, face au pays qui s’étendait en contre-bas.

« Où étiez-vous ? il n’y a pas une minute à perdre ! S’exclama-t-il. »

Le Sage s’avança vers lui pour lui rendre son épée, sortie de son écorce protectrice.

« Que se passe-t-il ? Cette sensation m’est familière. »  Fit la voix émanant de l’épée avant d’être attachée à la tenue recousue. 

  • Je dois remettre vos réponses à plus tard, Flocon.
  • Les questions attendront. Nous avons d’autres priorités à présent.

Delfic se présenta face à sa femme et d’un geste, elle lui fit apparaître son équipement : une petite pierre ovale et polie qu’il déposa au creux de son front, comme Cadmos avant lui.

« J’attendrai tes ordres. » Chuchota Enaelle au creux de l’oreil de Delfic.

À présent, ils s’avancèrent tous les trois au bord du Mont, contemplant le royaume sous leur pied et se jetèrent dans le vide. Flocon tendit ses bras vers le bas, ouvrant la paume de ses mains ce qui leur permit d’amortir leur chute.

« C’est Flocon ! Ce sont les… les… » En perdit la voix l’un des gardes de la tour du Conseil qui les vit arriver.

Ils furent accueillis sans bruit. Le peuple était stupéfait et ahuri de voir leur sauveur de nouveau à leur côté et à celui de Flocon et de cette femme aux cheveux gris et à l’apparence d’une guerrière. Mais cette fois-ci, le condamné, assuré, parut faire partie de cette élite qui venait en renfort. Le groupe s’avança au travers de la foule, récupérant les chevaux des gardes qui restaient immobiles, abasourdis.

« Il nous faut gagner le front au plus vite. Sans ma barrière magique, la dernière ligne de défense est le rempart ! » Affirma Enaelle dont la chevelure grise soyeuse flottait sous une brise légère.

Ils se mirent au galop sur la route principale en direction du front et traversèrent tous les campements militaires. La surprise en fit se lever plus d’un et en rassura d’autres en les voyant revenir à un tel moment. Au loin dans leur dos, ils entendirent les cloches de la tour du Conseil sonnées. Elles y avaient été installées dans ce cas même où Delfic réapparaitrait. De tout en haut de la tour, la mélodie des cloches parcourait la vallée avec rapidité, faisant écho entre les montagnes et gagnant plus vite encore le front.

À l’abri derrière le rempart, les compagnons de Flocon se tenaient là, armés et s’apprêtant à combattre. Ena et Efferus, d’anciens combattants, planifiaient avec la reine de la Coalition Humaine. Plus proche, les deux fils-de-sorciers accueillirent leur ami chaleureusement.

  • Flocon ! Vous voilà ! Nous nous demandions où vous étiez passé ! S’écria Maistro.
  • Cela fait tellement plaisir de vous revoir ! Vous êtes très élégant ! Ajouta Idish qui s’émerveilla de la nouvelle tunique blanche qu’il portait.
  • Déjà prêt à vous battre, n’est-ce pas ? On va leur montrer qui sont les plus impitoyables ! Sourit Idish.

Les deux frères ne prêtèrent aucunement attention au Mage et au Sage qui accompagnaient leur ami. Delfic comprit que ces deux-là étaient les plus proches compagnons qu’il avait pu avoir durant son périple. Suivi de sa femme, le Sage s’avança jusqu’à la réunion des chefs, face à Efferus, Ena, la reine de la coalition des royaumes des hommes et Dalia, la principale conseillère du royaume de l’Eveil. Quand cette dernière les aperçus, elle fit cesser toutes discussions :

  • Vous, vous, vous êtes, vous êtes revenus ! Bégaya-t-elle.
  • Nous n’avions pas le choix. Répondit le Sage avec lourdeur. Il semblerait que l’ennemi soit venu en force.
  • Vous devez être le Sage que cherchait Flocon. Je suis ravi qu’il vous ait trouvé. Remarqua Ena qui regarda dans toutes les directions afin de trouver du regard son compagnon.

Elle ne le reconnût pas tout d’abord mais quand son regard croisa l’émerveillement des deux frères sorciers, elle comprit que c’était cet homme, ce soldat en tenue, c’était bien lui.

  • L’ennemi, reprit Delia en inspirant profondément, occupe toute la colline voisine. Seule la vallée nous sépare de leur armée. Mais la barrière occultante a été détruire il y a peu par une femme. Elle s’est présentée juste devant notre fortification et, par je ne sais quelle magie… elle a fait disparaître ce que vous aviez mis en place.
  • Si la barrière n’est plus, ce n’est qu’une question de minutes avant qu’ils commencent à bombarder la muraille. Affirma Enaelle.
  • Qu’allons-nous faire ? Mon armée est à l’extérieur, nous sommes en première ligne. Ajouta la reine qui brillait dans son armure dorée.
  • Je vais combattre à vos côtés, fit Delfic avec un ton sérieux, et nous retiendrons ensemble leur force.
  • Avec vous à nos côtés, reprit Delia, la victoire est assurée ! Se rassura-t-elle en songeant au passé.

À ces mots, le Sage leur ordonna de prendre position afin qu’ils ne ralentissent pas Delfic dans ses projets. Efferus n’eut pas d’autres choix que d’accompagner Ena à l’armurerie pour s’équiper et préparer la défense.

Se retrouvant seul à seul, Enaelle et Delfic rebroussèrent chemin en direction d’Idish, de Maistro et de Flocon.

  • C’est donc vous les sauveurs de ce pays. Remarqua enfin les fils-de-sorciers.
  • J’ai hâte de voir avec quelle puissance un Mage et un Sage pourront faire front à la horde de démons. Dit Idish.
  • Ils ne seront pas seuls, c’est également mon combat. Renchérit Flocon fièrement.

Mais ne prêtant pas attention à son aîné, ce dernier se positionna derrière lui, et sous le regard ahurit des deux camarades sorciers, Delfic assomma Flocon d’un coup net et puissant au niveau de la nuque.

  • Pourquoi avez-vous fait une telle chose ! S’exclama apeurer Maistro.
  • Taisez-vous. Ordonna Delfic qui parlait gravement.
  • C’est donc l’heure. Fit Enaelle d’un ton triste.
  • L’heure ? De quoi parlez-vous ? Reprit Maistro inquiet.
  • Écoutez-moi vous deux. Vous semblez être proches de Flocon, alors je vais vous confier une mission dangereuse mais cruciale. Vous devez emmener Flocon au Port du Loup, sur la rive Est. Là-bas, prenez le premier vaisseau et partez loin de ce continent, m’avez-vous compris ?
  • Que voulez-vous dire ? Pourquoi ferions-nous une telle chose, il nous faut combattre ! Reprit Maistro abasourdit.
  • Personne ne survivra à ce combat. Mais Flocon oui. Je ne peux faire confiance à ceux qui se sont détournés de sa propre quête. Vous êtes toujours là, ignorants même notre arrivée ici bas. Seul l’état de Flocon vous importait. Je sais que je peux avoir confiance en vous. Ce jour ne doit pas être son dernier, vous comprenez ?
  • Vous voulez dire que… tous…
  • Oui, reprit Enaelle voyant la tristesse et la peur dans les yeux d’Idish, ce combat est perdu d’avance. Ce n’est pas simplement une armée qui nous fait front, c’est leur véritable armée, dirigée par leur propre roi. Comme Cadmos, nous ne pourrons pas l’emporter cette fois-ci. Mais notre priorité reste la vie de Flocon. Vous devez comprendre, si vous ne l’avez pas déjà ressenti, que Flocon est la clé d’une paix future et durable.
  • Et la vie de tous les autres. S’inquiéta Idish qui ne voulait pas réaliser ce qu’il entendait.
  • Tu as bien compris mon frère, fit Maistro plus attentif à toute cette histoire. Comme Flocon lui-même, nous ne savons que trop peu de choses sur les vérités de ce monde. Mais si le seul couple de l’histoire, formé d’un Mage et d’un Sage, fait passer la vie de cet homme avant la leur, c’est qu’il y a une raison.
  • Vous feriez un très bon Mage. Acquiesça Enaelle qui voyait en lui la force d’un puissant sorcier.
  • Si vous allez combattre, cela signifie que vous allez…

Maistro, observant le regard attristé des deux amants, compris que face à un sacrifice nécessaire, ils avaient été choisis, son frère et lui, pour donner une chance à Flocon de vivre.

  • Qu’allons-nous pouvoir lui dire à son réveil ? S’interrogea Maistro qui tentait de rester concentrer.
  • Il est venu jusqu’à nous pour obtenir des réponses, mais nous avons manqué de temps. Qu’il sache que toutes les réponses qu’il recherche se trouvent sur les Îles Oubliées, des terres qui sont devenues presque introuvables depuis que le monde s’est scindé en deux. Vous devrez voyager à travers la mer de l’Est et les retrouver. Toutes les réponses se trouvent là-bas. Expliqua Delfic.
  • Et vous, sorciers, ne craignez pas l’inconnu, vous y trouverez des merveilles plus grandes que ce que vous avez pu rencontrer en ces terres. Sauvez-le et vous finirez par comprendre.
  • Nous ne sommes que fils-de-sorciers. Rétorqua Idish tremblant.
  • Vous êtes bien plus que cela, je le sais. Vous êtes ses amis. C’est plus encore que ce qu’il espérait jadis. Affirma-t-elle.

Le couple les mit tous trois sur une monture et comptèrent sur eux pour mettre en lieu sûr leur protégé.

À cet instant, Efferus entrevit le départ de son vieil ami et se demanda un court instant ce qu’il se passait. Il regagna le front, bientôt rejoint par Delfic lui-même.

  • C’est ainsi que nous nous séparons, mon tendre époux. Fit Enaelle pleine d’amour pour le Sage.
  • Jamais nous ne serons séparés. Tu as été ma femme pendant tous ces siècles, et si je meurs en ce jour, nous nous retrouverons demain, sois-en sûre.
  • Mon Delfic, je trouverai Dabrail et je donnerai toute mon âme à la promesse que nous avions faite.
  • Sois forte et quand le jour sera venu, nous nous retrouverons, mon amour.

Il se détourna du regard d’Enaelle, et traversa seul la muraille, les yeux brillants de fines larmes.

« Sois forte, Enaelle ». Pensa-t-il en gagnant la première ligne de défense.

Elle monta en selle et galopa en direction des monts du Nord, en particulier celui de Dabrailla, où le géant de pierre devra la conduire aux êtres ancestraux, au Nord de toutes les terres.

Sous le regard confiant de tous les soldats, d’Ena, d’Efferus, même de Roffus le commandant des armées Éveillées, de tous ceux qui croyaient en la force de leur sauveur, Delfic fit apparaître sa toute-puissance, s’entourant d’une force incommensurable.

« Courez, fils-de-sorciers, et par vos actes de bravoures, sauvez le monde ! »

À cette pensée, une tempête se leva, le climat changea, et la pierre sur le crâne du Sage s’illumina de vives et multiples couleurs.

Un souffle chaud traversa les lignes alliées allégeant les armures, rassurant les âmes tremblantes, suivi du tonnerre et des éclairs qui jaillirent des cieux. Les poils s’hérissèrent, les guerriers frissonnèrent, et pouvant voir à l’œil nu la force naturelle qui se condensait sur cet individu mystique, une lumière bannissait toute ombre autour de lui, s’intensifiant encore et encore jusqu’à l’éblouissement total de toute la Plaine de l’Eveil.

« Voilà donc la véritable puissance d’un Sage. Si Cadmos disait vrai, Flocon est capable de pareille force. Où est-il d’ailleurs ? » Se demanda Ena.

En chemin vers le port, suivant le trajet que les soldats de réserves leur avaient indiqué, Idish et Maistro virent à l’horizon cette lumière intense éblouir tout le royaume.

  • Je me demande ce que c’était. Remarqua Idish encore apeuré par cette tâche.
  • Souviens toi mon frère, que sur nos épaules repose l’espoir d’une Mage et d’un Sage. Nous, simples fils-de-sorciers, avons la responsabilité d’une vie qui semble en valoir des milliers.
  • Oui mon frère. Mais je ne peux m’empêcher de penser à tous ces hommes et ces femmes qui semblent être condamnés. À ma bien aimée Ena que l’on sacrifie sans que je ne puisse rien y faire. Que dirait notre cheffe si elle nous voyait fuir de la sorte ?
  • Que dirait-elle, Idish, si nous tournions le dos à l’avenir de notre ami le plus cher ? Ces sacrifices ne doivent pas rester vains. J’ignore ce que nous trouverons là-bas, mais deux êtres d’exceptions étaient persuadés que nous y trouverions l’avenir.
  • Qu’a-t-il réellement de spécial ? Nous ignorons tout de lui. Son nom semble une énigme à lui tout seul. Flocon. Flocon. Lui-même ignore tout de ses origines.
  • Je crains qu’il ne faille découvrir tout cela avec lui. De ces cinq derniers siècles de survie et d’existence, nous sommes les premiers de notre espèce à avoir été en contact avec des Sage et une Mage. Je veux croire qu’en cette destinée se cache un but plus important que nous ignorons à ce jour.
  • Je l’espère, mon frère. Il me reste toutefois une dernière chose à faire. Termina Idish qui reprenait foi en cette mission.

 

« Tout ce que je peux faire est de détruire les premières vagues de monstres jusqu’au moment où il se décidera à envoyer ses démons. » Pensait Delfic tandis que son fléau broyait, carbonisait, givrait et électrocutait tous les êtres qui s’élançaient en leur direction. Le sol était jonché de cadavre, de mares de sang et de membres déchirés.

C’est alors qu’un cor retentit à l’orée du bois d’où provenait l’ennemi. Les hordes cessèrent d’arriver. Au lieu de ça, surplombant la cime des arbres, des bêtes géantes sortaient du bois. L’affreuse apparition de monstres à tête de loup, des fauves sanguinaires plus hauts et imposants que l’artillerie des hommes. Domestiquées, elles s’avançaient montées par ces êtres démoniaques à l’allure humaine et aux difformités reconnaissables : les démons.

  • Cette fois-ci, la guerre commence. Préparez-vous… fit le Sage.
  • Vous avez entendu ! Tenez les rangs, boucliers en avant, soyez unis et forts, nous sommes le rempart de notre royaume. À vos armes ! Ordonna Roffus.
  • Archers, préparez vos flèches. Lanciers, abaissez vos lances et tenez la position ! Ordonna à son tour la reine de la Coalition humaine, entourée des fiers généraux qui se tenaient à ses côtés.
  • Où est Flocon ? Questionna inquiète Ena.
  • La guerre commence jeune fille. Esquiva Delfic.
  • Où sont Idish et Maistro ? Renchérit-elle.

Un autre cor retenti, précipitant les bêtes vers les plaines en direction des hommes. Leur corps si imposant et robuste firent trembler la terre sous leurs pas tandis qu’ils se rapprochaient à grande vitesse.

  • Je suis désolé, fit soudainement Idish qui apparut aux côtés de Delfic. Je ne peux me résigner à partir sans elle.
  • Comment ? S’étonna Delfic qui vit apparaître puis disparaître le sorcier, emportant avec lui la princesse Ena.

« Je vois. C’est sans doute mieux ainsi, jeune socier » Songea Delfic qui venait de voir son guide attitré se déphaser pour emporter avec eux l’espoir d’une vie meilleure. »

D’un mouvement net, montant ses mains vers le ciel puis les baissant jusqu’au sol, Delfic fit tomber la foudre sur l’une des monstruosités, la tuant sur le coup, et une autre se fit broyer entre deux rochers sortis du sol. La demi-douzaine qui restait atteignit en quelques secondes les premiers soldats, les écrasants comme des mouches, les déchirants de leurs mâchoires féroces, terrifiant les hommes de l’Ouest qui n’avaient encore jamais vu de pareilles créatures.

Les premiers démons qui descendirent de leur monture marchaient avec une totale confiance. Quand les épéistes s’élancèrent sur eux, ils n’eurent qu’à étendre leurs membres tels des lames tranchantes, ou à retourner les épées contre leur propriétaire. C’étaient là des monstres, capable de modifier leur apparence ou de sacrifier quelques-uns de leurs aspects pour prendre l’avantage du combat.

« Archer ! Tirez ! » Ordonna la reine qui fit ainsi s’abattre une nuée de flèches sur l’ennemi.

« Lancier ! Tenez la position ! » Continua-t-elle.

Les pointes s’enfoncèrent dans la chaire flamboyante ou se brisèrent sur les griffes acérées.

Après un massacre de plusieurs centaines d’hommes, les quelques bestiaux se retrouvèrent au sol, enfin abattus.

« À ce rythme, nous ne tiendrons pas la journée. Ces fauves ont fait une entaille si profonde dans le moral de notre armée que même les troupes à l’arrière doivent trembler de peur. Et ces démons, ce ne sont que ceux remplaçables. Les arrêter ne m’a pas été d’une grande difficulté. Qu’attend-il pour lancer le véritable assaut ? » Songea Delfic qui analysait l’état critique du champ de bataille.

Soudain, ce n’était plus une horde qui s’avança, mais toute l’armée ennemie. À sa tête, un petit groupe mené par un être à l’allure étrangement normale. Il n’y régnait aucune agressivité, mais tous respectaient la marche lente du commandant et de ses principaux sujets. À quelques centaines de mètres de Delfic et d’Efferus, seul le plus proche, le principal, s’avança jusqu’à eux.

Bien que ce fut la première fois que Delfic le vit, il comprit aussitôt de qui il s’agissait vraiment. Le doute ne pouvait être possible tant le mal émanait de cette personne. Son apparence plutôt svelte, sa peau grise et sa fine carrure pouvait tromper les plus naïfs, mais pas lui, pas Delfic. Derrière cette silhouette banale, sous cette longue toge sombre taillée avec soin, se cachait le pire démon que ce monde ait vu vivre.

Cet ennemi quitta son groupe pour le front de l’armée humaine. Sa vitesse surpassa tout, et d’un clignement de paupières, il apparut devant eux. Il se présenta avec une totale indifférence du danger, sûr de lui, d’un ton calme et serein il se présenta :

« Mon nom est Cendre, mais la plupart me connaisse sous le pseudonyme de « créature », « erreur », ou encore, paraît-il que dans des pays plus reculés comme c’est le cas ici, le « Roi Démon ». »

C’était peut-être la première créature créée par les Mage, mais c’était sans doute la plus réussie. Antipathique, puissante, et d’une apparence physique incontestablement humaine. À peine plus grand que la moyenne, il se tenait là, devant Efferus tétanisé, jetant un regard apeuré comme s’il demandait de l’aide au Sage.

« Cet endroit est vraiment atypique, » reprit l’adversaire, « c’est la première fois que j’y remets les pieds. Il faut dire que j’ai longtemps craint de perdre ma force, si ce n’était ma vie, en revenant en ce lieu. Il y a cinq siècles, lors du cataclysme, je fus envoyé malgré moi dans un territoire inconnu, loin de tout, loin de mes créateurs comme de mes oppresseurs. Mais avec ce bouleversement, j’ai pu me reconstruire et chercher un moyen de revenir. Jusqu’à ce que je trouve une demeure abandonnée faisant pont vers un autre lieu et une Faille plongée dans une magie incommensurable qui traversait le monde, reliant de manière inexplicable ce continent au mien. Avec l’aide de cette précieuse Naku, la Mage, j’ai rapidement compris ce qui faisait le lien entre tout ce que j’ignorais au sujet du cristal. Vous devez le connaître, on m’a dit que vous étiez le plus grand forgeron de tous les temps, Delfic le Sage, c’est cela ? » Continua-t-il de conter en esquissant un bref sourire. « Vous ne pouvez imaginer ma surprise quand j’ai compris ce qu’était ce matériaux étrange et rare. Le moyen de traverser les lieux. La Faille en était recouverte m’avait dit Naku, l’inquisitrice de votre annihilation il y a cinq siècles de cela. Quelle surprise de la voir ressurgir d’entre les morts et de me raconter qu’un être mi-sorcier mi-monstre l’avait délivrée d’un sommeil improbable. Quand elle me conta cela, je ne pus m’empêcher de me demander comment cela pouvait-il être possible ? Comment un Mage dont l’espèce avait depuis si longtemps disparu, c’était retrouvé au beau milieu de la Faille ? Mais pourquoi je vous raconte tout cela ? »

À cette interrogation, Efferus tenta d’assainir un coup d’épée. Sa lame se brisa sur la paume de la main adverse. Cendre déposa cette dernière sur ce qui restait du tranchant et sans aucune difficulté, il referma ses doigts autour de l’acier et broya le reste. Sous le regard désabusé de tous, il finit par enfoncer d’un coup sec et violent son bras gauche au travers du guerrier qui s’effondra au sol aussitôt.

« Efferus ! » S’écria la reine en aval.

« Restez où vous êtes. » Suggéra Delfic dont on ressentait la crainte dans le ton grave de sa voix.

« Ah oui, je me souviens maintenant pourquoi je vous racontai cela, Delfic le Sage, » reprit-il comme si rien ne venait de se passer. « J’étais donc disposé à croire qu’il existait un moyen de revenir. J’ai fondé mon royaume et ai créé mes troupes. Et puis le hasard s’en est mêlé. Tandis que mes armées fouillaient les territoires du Nord, quelques-uns d’entre eux ont traversé cette fameuse auberge, sans en comprendre la véritable signification, ils ont cru se diriger vers la vallée de notre continent et ont découvert l’existence d’un peuple, votre peuple, sur un tout autre continent. Ils ont pour la plupart été décimés, mais ceux qui revinrent, racontèrent qu’il y existait un être d’une grande puissance. Vous, Delfic. C’était il y a cinq ans, cela vous dit peut-être quelque chose ? Et puis… » Il reprit son souffle et se dirigea vers son interlocuteur principal d’un pas lent, continuant à raconter ses découvertes, gesticulant de ses bras et de sa main ensanglantée.

Tous les soldats regardèrent la scène, horrifiés de ce qui venait d’arriver à leur plus respecté capitaine, Efferus.

  • Je ne me suis évidemment pas précipité au travers de cette ruine pour aller vérifier ces dires. Croyez bien que j’étais réticent au départ. Je fis fouiller toutes ces montagnes, ces collines, ces forêts et ces plaines, mais sur mes terres, il n’y avait rien qui ressemblait à ce qu’il m’avait été rapporté. J’ai fini par mettre le feu à toutes les terres, très ressemblante à la vôtre je dois dire, me persuadant enfin qu’il existait véritablement cette autre terre, ailleurs. Et en fin de compte, cette auberge devint mon seul point d’accès vers ces nouveaux royaumes. J’y envoyais régulièrement des troupes jusqu’au jour où, encore une fois, le hasard fit croiser mes disciples et une troupe atypique dont le chef se faisait connaître des miens sous le nom de « Flocon ». Est-il ici ? Il semblerait qu’il ait vaincu mon plus cher créateur de géants. Rivalise-t-il avec vous, Delfic ? J’aimerai grandement le rencontrer, mais le faire prisonnier n’aurait pas pimenté l’expérience. J’ai laissé le choix à mon commandant de décider du sort de ce guerrier et de son groupe. Au final, ce fut Naku qui intervint et elle me rapporta avoir enfin achevé un combat qu’elle avait entamé il y a longtemps de cela. Je vous passe les détails jusqu’à ce qu’on me rapporte avoir retrouvé la trace de ces troupes que j’avais envoyées il y a cinq années. Ils n’avaient pas disparu dans les mystères de la Faille, mais par la main de l’homme. Le dénouement final ! Je me réjouissais de cette découverte car je savais enfin une chose, je m’étais trompé tout ce temps sur vos contrées.
  • Vous êtes fou… Démon. Vous ne méritez aucun nom, aucun titre. Votre seule destinée est de mourir. Rétorqua sèchement le Sage.
  • Quelle présomption, vous me décevez. Mais dîtes-moi, puisque vous êtes probablement le dernier de votre espèce, que pouvez-vous me dire à son sujet ? Où s’est-il rendu, ce Flocon ? Dîtes-moi tout et je vous fais la promesse de vous laisser en de meilleures compagnies. S’amusa le roi.

Cendre fixa Delfic de ses yeux sombres et reprit en souriant :

  • Je le vois, c’est évident, vous me cachez quelque chose. Vous avez dû le croiser quand il a rejoint ces terres. Et après ? Cherchez dans votre mémoire. Je vous écoute.
  • Dire qu’un être aussi fragile que vous puissiez être le Roi des Démons.
  • Comme vous voudrez. Termina le démon se détournant de Delfic.

Il frappa deux fois dans ses mains et la Mage apparut agenouillée devant Cendre. Elle était aussi néfaste que lui :

  • Maître. Prononça-t-elle en attendant les ordres.
  • Je crois que tu as longtemps attendu de faire cette rencontre. Voilà chose faite, ce Sage est tout à toi. Je vais partir en avant pour le trouver. Tu t’occupes du reste.

Elle se releva et sourit à Delfic dont la pression ambiante lui faisait sentir la fraîcheur de sa sueur coulant le long de sa nuque. La meurtrière qui avait assassiné Cadmos se trouvait devant lui, au côté du Roi Démon, l’être le plus redouté de ces cinq derniers siècles. Pourtant, pensa-t-il, ils ne savaient rien de Flocon. Ils ne semblaient même pas conscients du danger qu’il représentait à leur égard. Même le Roi Démon ignorait la véritable identité et la raison de sa présence ici.

  • Après Cadmos, vous. J’espère que ce sera plus excitant que de tuer un être dépourvu de quelconques forces. Ricana-t-elle.
  • Je vous ferais payer pour tout le mal que vous nous avez fait subir.
  • J’ai hâte de voir la peur dans votre regard quand nous aurons tué tous ces gens. Peut-être me prierez-vous comme un faible de vous épargner.
  • Je vous laisse vous en occuper, reprit Cendre, je pars devant, à en juger par la réactivité de ce Sage, il n’est pas loin.
  • Attendez ! S’écria Delfic. Il n’est pas ici. J’ignore où il est ! Pourquoi cherchez-vous tant à le retrouver ? Questionna le Sage qui cherchait à gagner du temps.
  • Delfic, dit le plus puissant en le regardant du coin de l’œil, je m’ennuie. À présent, je vous laisse en compagnie de votre mort imminente. Termina-t-il en faisant signe de la main pour accorder le combat au Mage.

Et dans l’instant, il disparut comme il était apparu, traversant les lignes alliées à toute vitesse, traversant les corps sur sa trajectoire, les broyant sans résistance. La terreur s’envahit dans tous les rangs, les généraux perdirent le contrôle de leurs soldats et toute l’armée de monstres se mit en marche sur la muraille, tuant aisément les guerriers terrifiés, traversant les premières lignes, détruisant la muraille du royaume de l’Eveil, pénétrant dans la vallée, exécutant tous ceux qu’ils trouvèrent sur leur passage. Un bain de sang fut versé sans qu’aucun n’eut pu s’y soustraire, ni même Roffus qui fut vaincu et broyé par le premier démon qui apparut, se métamorphosant en une boule d’argile dense qui se fortifiait à chacune des attaques du guerrier.  Quant à Delfic, il combattit sans relâche cette Mage aux pouvoirs démesurés. Son âge le rattrapa, et malgré qu’elle existait depuis au moins cinq siècles, elle n’avait pas eu à subir les dégâts du temps durant cette période.

  • Un dernier mot, dernier Sage parmi les Sage ? Demanda Naku exaltée par ce combat qu’elle s’apprêtait à conclure.
  • Vous m’avez vaincu, et même si vous avez survécu à la Faille, les vôtres ont réveillé une force qui vous dépasse. Ce que votre maître cherche n’est autre que sa propre fin. Finit-il en souriant et feintant une nouvelle attaque pour recevoir le coût de grâce.

En un instant, le cœur d’Enaelle se crispa. Elle savait que quelque chose venait de se passer. Ses larmes se mirent à couler et du haut de la montagne qu’elle gravissait, surplombant le royaume, elle se retourna, s’écroula sur ses genoux tremblants et vit le rocher, le Mont sur lequel elle avait vécu son amour avec son tendre époux, s’écroulé sur la ville. La force vitale de son bien aimé avait toujours suffit à garder en l’air leur demeure. Aujourd’hui, sa chute signifiait la fin. Hurlant de tristesse, se crispant de toutes parts, s’abandonnant à la colère et à la haine, elle repensa à ses derniers mots. « Sois forte… mon amour ». Elle se les répétait encore et encore, cherchant à trouver le courage de se relever, de se dresser et de faire front comme il l’espérait d’elle. Une brise rafraîchit ses larmes et de la profondeur de son cœur elle trouva la force de continuer et d’entamer la mission qu’il lui avait confiée.

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